31 juillet 2017

[Édouard Cothenet - La Croix] Retour de la « messe en latin » : le lien entre Ecriture et Eucharistie

SOURCE - Édouard Cothenet - La Croix - 31 juillet 2017

Prêtre du diocèse de Bourges, Édouard Cothenet est professeur honoraire de l’Institut catholique de Paris. Il a publié notamment La Chaîne des témoins dans l'évangile de Jean (Éd. du Cerf, 2005) et L’Eucharistie au cœur des Écritures(Salvator, 2016)
Permettez-moi de vous faire part de mes réflexions sur l’article intitulé En dix ans, la messe en latin a trouvé sa place, paru dans La Croix du 7 juillet. Il n’aborde le sujet que par un côté, important certes, mais secondaire par rapport à l’enjeu théologique. Il est donc essentiel de reprendre l’enseignement du Concile.

Que dit le Concile ?Dans la constitution sur la liturgie Sacrosanctum concilium - votée presque à l’unanimité, y compris par Mgr Lefebvre -, il est dit que « dans la célébration de la liturgie, la sainte Écriture a une importance essentielle » et qu’il faut « promouvoir ce goût savoureux et vivant avec la Sainte Écriture » (n° 24).

Les deux tables, celle de la Parole et celle du sacrifice, sont étroitement associées. Tel est le fondement de la norme essentielle pour notre sujet : « Pour présenter aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, on ouvrira plus largement les trésors bibliques pour que, dans un nombre d’années déterminé, on lise au peuple la partie importante des saintes Écritures » (n° 51).

La constitution dogmatique sur la Révélation (Dei Verbum) déclare que l’Écriture est l’âme de la théologie (n° 24). La formule peut aussi être appliquée à la liturgie.
Quel enseignement de l’Église ?
Suite au Synode sur la Parole de Dieu, le pape Benoît XVI a rédigé une longue exhortation Verbum Domini (La Parole de Dieu, 2010) qui fait le point sur la doctrine du concile Vatican II et ses prolongements dans la vie de l’Église. Il vaut la peine d’en relire quelques pages relatives à notre sujet.

Sur le plan scripturaire, Benoît XVI met en valeur deux textes majeurs (n°54).

Le récit d’Emmaüs, d’abord, qui manifeste la pédagogie du Christ : après avoir écouté les disciples découragés, il leur explique le sens des Écritures jusqu’à se faire reconnaître dans la fraction du pain (Luc 24,13-35).

La catéchèse eucharistique de Saint Jean, si bien commentée par Saint Augustin, doit être lue dans son entier, pour entrer dans la dynamique du texte. Tout part d’un signe, la multiplication des pains, qui demande à être éclairé par le renvoi au récit biblique du don de la manne.

Dans un premier temps Jésus fait appel à la foi de ses auditeurs et se présente lui-même comme la Parole de vie à manger pour vivre. « Crede et manducasti », dira Saint Augustin (« crois et tu as mangé »).

La communion au Verbe de vie doit conduire à la communion à sa chair et à son sang, livrés pour la vie du monde. Tel est le cadre dans lequel Jean, par anticipation, fait écho aux paroles d’institution de l’Eucharistie. Contre une interprétation matérialiste de ces paroles, Jean conclut sa catéchèse par un dialogue de Jésus avec ses disciples « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » (Jn 6, 63)
Quel problème avec la tradition latine ?
Ce texte est décisif pour comprendre le rôle de l’épiclèse (1), trop longtemps oubliée dans la tradition latine. Parce que l’Esprit du Père a relevé du tombeau le corps de Jésus pour qu’il devienne corps spirituel, irradiant la vie (I Co 15, 45), il convient d’invoquer l’Esprit pour que le pain et le vin deviennent le Corps du Ressuscité. Parce qu’il n’y a qu’un seul Pain, nous invoquons aussi l’Esprit pour que les communiants soient en vérité membres du Christ (I Co 10, 16s).

La réforme du missel par Saint Pie V s’est faite sans aucune réflexion sur le lectionnaire. En vain, quelques Pères du concile de Trente avaient demandé l’autorisation d’une lecture en langue vernaculaire. L’heure était à la contre-Réforme, sans prise en compte de ce qu’il pouvait y avoir de légitime dans les requêtes des protestants.

Heureusement le climat a bien changé, avec la redécouverte des valeurs propres de l’Ancien Testament (Dei Verbum n° 14-16) et l’encouragement pour un dialogue avec le judaïsme (déclaration Nostra aetate).

Le refus de lire des passages de la première Alliance à la messe dominicale ne serait-il pas un relent du vieil antijudaïsme chrétien ? De ce point de vue, le nouveau Lectionnaire, préparé avec soin par un large panel d’experts, répond bien aux requêtes du Concile. Il se caractérise par le choix de passages de l’Ancien Testament en relation avec la lecture évangélique et la répartition sur trois ans d’une grande partie du Nouveau.
Vers l’adoption d’un lectionnaire unique ?
Benoît XVI en a fait un éloge appuyé, remarquant que, dans ses grandes lignes, il a été adopté par plusieurs Églises protestantes (n° 57). Des améliorations sont souhaitables, mais les grandes orientations resteront.

Concluons : la question du latin est secondaire par rapport à la mise en œuvre effective des enseignements du Concile sur le rapport entre Écriture et Eucharistie, et c’est bien sur ce point qu’il faut insister.

En même temps, il ne faut pas minimiser la requête de la grande majorité des fidèles à entendre la Parole de Dieu dans leur propre langue. L’enjeu pastoral est immense, comme peuvent en témoigner tous ceux et celles qui sont engagés dans le catéchuménat ou dans la préparation aux sacrements. Le choix des textes bibliques et leur explication constituent des moments essentiels de l’évangélisation.

L’autorisation plus large de la célébration en latin doit être comprise comme une concession et non comme une mise en cause de la réforme liturgique du concile Vatican II. L’adoption par tous d’un même lectionnaire serait un beau signe d’unité. »

(1) invocation au Saint-Esprit dans les liturgies chrétiennes afin d’évoquer sa puissance créatrice