27 août 2016

[diakonos.be] Un prêtre belge témoigne: j’étais traditionaliste

SOURCE - Abbé Pierre N., prêtre belge - diakonos.be - 27 aout 2016

Présentation
Prêtre diocésain depuis presque quinze ans, curé de plusieurs paroisses, j’ai toujours été intéressé par les questions liturgiques. Très tôt, j’ai découvert ce que l’on appelle de façon abusive “la Tradition” et la “Messe traditionnelle”. J’ai fréquenté les “fraternités sacerdotales” Saint-Pierre et Saint-Pie X… A l’heure de l’entrée au séminaire, j’ai décidé de devenir prêtre diocésain. Après une formation complète et dispensée par des professeurs consciencieux, j’ai été ordonné au début des années 2000.

J’ai appris à célébrer la “forme extraordinaire” du rite romain. Nommé vicaire de sept paroisses, j’ai évidemment célébré tous les jours la Messe de Paul VI. Néanmoins, je profitais de diverses occasions pour célébrer la “messe tridentine”. Mon cœur tendait vers cette liturgie que je souhaitais faire connaître à mon entourage. Avec le recul, je me rends compte que mes motivations étaient négatives. Je comparais sans cesse “l’ancien” et “le nouveau” rite en approfondissant le premier et en nourrissant une multitude de préjugés sur le second.

Les nombreux exemples d’abus liturgiques me poussaient dans ce sens. Dans ce domaine, j’ai plus ou moins tout vu et tout entendu : pains “pitta” à la place des hosties, absences d’ornements, diktats grotesques d’équipes liturgiques, célébrations plus proche du carnaval que du renouvellement du Sacrifice de la Croix… Le tout au nom de la créativité pastorale. En fait, je regardais la Messe de Paul VI uniquement sous l’angle des abus. Je dois avouer que je l’ai rarement vu célébrée correctement et jamais dans sa forme normative. Avec le recul, je me dis que si tel avait été le cas, je n’aurais sans doute pas eu autant de préjugés.
La découverte du monde “tradi”.
Désirant la célébration de la messe dite “traditionnelle”, j’ai fréquenté différentes fraternités : Saint-Pie X et Saint-Pierre. J’y connais beaucoup de fidèles et de prêtres. Je ne juge donc pas les sentiments de foi et de piété qui les animent. J’ai connu de saints prêtres et d’autres beaucoup moins… Comme partout. J’ai beaucoup lu, j’ai beaucoup questionné. J’ai rencontré, hélas, beaucoup d’orgueil. Que de prêtres et de fidèles de ces groupuscules ont la certitude d’être les dépositaires de la bonne manière de faire au milieu d’une Eglise “gangréné” par le “modernisme” et le « progressisme”.

Dans ce milieu aussi, j’ai plus ou moins tout vu et tout entendu, jusqu’à l’écœurement. Sans juger des bonnes intentions de nombreux fidèles, mais en regardant attentivement la situation, je ne peux m’empêcher de constater que ces groupes constituent une Eglise dans l’Eglise. Au fond – et cette appréciation n’engage évidement que moi – le discours de base de ces deux fraternités ne varient que très peu, à quelques détails près… Ce qui se dit à voix haute d’un côté est murmuré à l’oreille de l’autre avec cette même assurance que seule ce qu’ils considèrent comme “la Tradition” est la solution à la crise que traverse l’Eglise.

En y réfléchissant bien, je me dis que si on avait une solution universelleet immédiate, on l’aurait déjà appliquée Le problème de la perte de la foi est malheureusement plus profond qu’une simple question de rites.

Je crois que le danger est d’éclater l’Eglise en une multitude de “chapelles” qui deviennent de véritables “ghetto”, seuls bastions de la “vraie foi” et de la “Tradition”. Les dérives sont nombreuses et effrayantes. Je pourrais citer de nombreux exemples dont j’ai moi-même été le témoin direct. Je me souviens de cette demoiselle, fidèle de la fraternité Saint-Pierre. Obligée de travailler occasionnellement le dimanche, et ne pouvant assister à la “vraie messe” le matin, elle faisait le soir plus de cent kilomètres pour assister sans scrupule à une messe basse célébrée dans une église de la fraternité Saint-Pie X, de peur de perdre la foi en allant près de chez elle à une “messe… protestante”. Quand on connaît le statut canonique de ces prêtres de la fraternité Saint-Pie X, on se demande où est le protestantisme…

Je me souviens d’une autre personne qui communiait de ma main quand je célébrais la messe dans la forme extraordinaire et qui refusait cette même communion quand je célébrais dans la forme ordinaire… Je me souviens d’un jeune dérouté parce qu’un prêtre lui avait dit : “La nouvelle messe est de la viande avariée ou de l’eau croupie. On peut y assister si on n’a rien d’autres, mais si l’eau vive de la Tradition coule à proximité, il n’y a pas d’hésitation possible à avoir afin d’éviter à long terme l’empoisonnement. » Si on suit logiquement ce raisonnement, c’est toute l’Eglise qui a sombré dans l’apostasie.

Face à ces aberrations, le dialogue est quasiment impossible. On est directement accusé d’être un menteur (“On n’a jamais dit ça ”, “Vous exagérez… ”) ou un moderniste. J’ai personnellement attiré l’attention d’une connaissance sur le danger de l’intégrisme et de la radicalisation dans ces “saintes chapelles” : elle est partie… refusant le dialogue et m’assurant que ce n’était pas vrai. Comme si rectifier, aborder certains sujets, ouvrir les yeux, c’est risquer de perdre la foi, c’est quitter un système sécurisant et un certain milieu social.

La propagande interne de ces groupes assure que c’est au sein de la “Tradition” que se trouve la relève et qu’on y voit beaucoup de familles. Mais si l’on regarde froidement les chiffres (à l’échelle mondiale et même nationale), on se rend vite compte qu’on est loin du miracle. Lors de mes nombreux apostolats auprès des enfants et des jeunes gens, j’ai souvent constaté que ceux qui priaient le moins bien venaient précisément “du milieu” et que le vernis, si brillant soit-il, se craquelait assez vite chez ceux qui quittaient leur “milieu”.

De plus, j’ai pu constater que certains fidèles qui optaient pour ce “milieu” ne le faisaient pas uniquement pour une question liturgique, mais également pour “épouser” certaines idéologies qui s’éloignent fortement de la dimension religieuse. Greffer des idéologies sur la foi est une véritable tragédie car cela compromet fortement la fidélité à l’enseignement du Christ et un apostolat auprès d’un public large et varié. Ces idéologies sont généralement politiques et frôlent bien souvent l’extrémisme.
Redécouverte de la Tradition de l’Eglise.
Au fil de mes rencontres et de mes lectures, je découvre peu à peu une autre réalité. J’entends un autre son de cloche… J’aborde la question de la “Tradition” avec des confrères diocésains, j’accepte de lire autre chose.

Un paroissien, qui est devenu un ami, me fait découvrir le site internet “Pro Liturgia” et me donne quelques bonnes lectures, entre autres les écrits de Benoît XVI et de Denis Crouan. C’est tout d’abord l’étonnement, puis l’émerveillement. Je redécouvre certains textes du dernier Concile et la véritable Tradition de l’Eglise. Je m’aperçois que cette appellation a été indûment employée par des fraternités pour justifier une certaine pastorale et attirer les fidèles lassés par les abus liturgiques. Cette réflexion a pris du temps… Peu à peu, je tire quelques conclusions de cet approfondissement.

Contrairement à ce que ces groupuscules traditionnalistes font croire, il n’y a pas de rupture entre le passé et le présent, entre le missel de 1962 et celui de 1969. Les textes officiels (Concile, Présentation générale du Missel romain, les textes de S. Jean-Paul II et de Benoît XVI…) insistent précisément sur la continuité de la Tradition de l’Eglise.
La Messe restaurée.
La Messe restaurée par l’Eglise à la demande du dernier Concile et du Bx Paul VI n’est pas synonyme de pauvreté liturgique, très loin de là. Pour ceux qui le souhaitent, la célébration normative est aussi possible en latin et orientée. Tout prêtre peut célébrer de la sorte Les derniers propos du Cardinal Sarah, Préfet pour le Culte divin, l’attestent à nouveau.

A l’analyse, on se rend vite compte que la structure entre les deux missels est évidemment identique et que si certaines prières ont été supprimées lors de la réforme conciliaire, c’est pour éviter les “doublets” et les accumulations parfois tardives de l’histoire. Il n’y a pas une “Messe de toujours” mais une “Eucharistie de toujours” célébrée par un rite qui a inévitablement changé au fil du temps. Le souhait du dernier Concile était de rendre à ce rite F le rite romain F sa beauté primitive, en mettant davantage en lumière les deux grandes parties de la Messe : la liturgie de la Parole et la
liturgie Eucharistique.

Je pense que le mouvement traditionnel s’est développé en réaction aux abus liturgiques. Il est clair qu’il est plus facile de trouver une “messe tridentine” que d’assister à une messe célébrée dans la forme ordinaire en latin sur un autel orienté. Bien plus, je suis persuadé que si cette dernière solution avait été proposée dès la réforme du Missel, il n’y aurait pas eu cet éclatement liturgique que nous connaissons aujourd’hui.

Lors de mes nombreuses conversations avec des fidèles fréquentant des chapelles ou églises “traditionnelles”, j’ai souvent entendu la même réflexion : “Si la Messe était célébrée correctement dans notre paroisse, on ne ferait pas des kilomètres pour aller à tel endroit…” Dans beaucoup de cas, le déplacement n’est pas motivé par le désir de la “messe tridentine” mais tout simplement par l’attrait d’une célébration où l’on retrouve un certain sens du sacré, malheureusement souvent confondu avec un décorum pompeux, désuet et généralement de mauvais goût. Je me suis souvent
demandé si la plupart des fidèles seraient d’ailleurs capables de faire la différence entre la “messe tridentine” et une “messe de Paul VI” célébrée dans de bonnes conditions. La majorité trouverait sans doute une telle célébration selon le Missel actuel très… “traditionnelle”.
Le Lectionnaire
A l’usage, il faut reconnaître que le Lectionnaire de 1962 est étriqué. En ce qui concerne les messes quotidiennes, c’est quasiment tous les jours les mêmes lectures. A croire que l’Ecriture Sainte se limite à la “Femme vaillante” du livre de la Sagesse (messe des Saintes Femmes non martyres) ou au “Sel de la terre” de l’Evangile (messe des Confesseurs). Bien sûr, il est possible d’utiliser les messes votives et les messes pour certaines circonstances… Mais on ne fait dès lors plus mention du saint du jour. A l’usage, je comprends pourquoi l’Eglise a élaboré un Lectionnaire plus complet pour la célébration de la messe. Il me semble bon que le fidèle soit confronté à la Parole de Dieu (même les extraits déroutants ) pour ne pas sombrer dans une multitude de dévotions qui éloignent son cœur du sens même de la célébration.
Le danger d’idéaliser un passé qui n’a jamais existé
Quand on étudie l’histoire de la liturgie, on constate que la célébration présentée par certains comme “traditionnelle” n’est devenue la norme universelle qu’au courant du XIXe siècle. Dans ses nombreux écrits, Denis Crouan, Docteur en théologie, démontre qu’il ne faut pas confondre la grande Tradition de l’Eglise avec des habitudes et un décor hérité du siècle passé. Il semble acquis que la célébration a varié au cours des âges, étant sauves les parties essentielles de la Messe qui en constituent le fondement. On ne peut pas mettre sur le même plan les prières au bas de l’autel et les prières de la Consécration…

Je pense que la forme “extraordinaire” de la Messe que l’on voit aujourd’hui est “exemplaire” (et n’a dès lors pas existée historiquement) dans le sens où elle n’est choisie que par les prêtres qui la célèbrent et les fidèles qui y assistent. Dès lors, cette forme est conservée dans un bocal hermétique, ce qui est contraire à la vie même de l’Eglise au cours des siècles.

Affirmer que cette Messe est un rempart contre les abus liturgiques, c’est méconnaître l’histoire qui est remplie d’anecdotes savoureuses sur la façon dont certains prêtres la célébraient autrefois.

Vouloir utiliser une recette ancienne pour affronter les problèmes d’aujourd’hui, est-ce souhaitable et judicieux ? Bien sûr, l’Eglise doit puiser dans sa Tradition pour vivre le présent, mais elle n’a jamais absolutisé une situation ou une époque. Son génie a toujours été de s’adapter à chaque situation pour porter l’Evangile au plus grand nombre. La solution n’est donc pas dans la reproduction d’un passé aujourd’hui désuet : elle est dans une saine acceptation de la Tradition vivante de l’Eglise, comme l’a développé le dernier Concile.
Un chemin exigeant

Avec le temps, je pense que la vie de l’Eglise n’est ni dans le progressisme, ni dans le traditionalisme. L’attitude vraiment fidèle n’est-elle pas de vivre aujourd’hui dans l’Eglise en puisant dans la richesse de sa Tradition pour regarder l’avenir avec confiance ? Dans ce sens, le passé n’est ni à rejeter, ni à absolutiser. Qu’on le veuille ou non, les situations ne sont plus les mêmes qu’il y a cinquante ans Le nier et faire “comme si”, c’est faire preuve d’un aveuglement spirituel. On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu de Concile, comme s’il n’y avait pas eu de réforme liturgique.

On ne peut pas figer la vie de l’Eglise dans les usages d’une époque aujourd’hui révolue. Je connais des prêtres, religieux ou diocésains qui empruntent ce chemin : ils sont fiers de la Tradition de l’Eglise ; ils portent à l’occasion la soutane (qui n’est pas réservée aux prêtres des fraternités) et célèbrent la liturgie selon les véritables règles établies par l’Eglise. Je pense que les fidèles soucieux de Tradition doivent soutenir ces initiatives afin d’éviter que celle-ci ne soit confisquée par certains groupes qui en travestissent le sens. C’est un chemin exigeant car il ne satisfait ni les “progressistes” qui y voient une forme de “retour en arrière”, ni les “traditionnalistes” qui y voient du modernisme. C’est pourtant, selon moi, la seule attitude vraiment ecclésiale.

La voie facile consiste à tolérer quelques “chapelles tradis” dans un diocèse… et de laisser plus ou moins tout faire ailleurs. “Chacun fait ce qu’il lui plaît”, comme le dit la chanson… Mais est-ce souhaitable et catholique à long terme ? Il me semble que l’avenir passe par une saine réappropriation de la Tradition par tout prêtre. Celle-ci n’est pas l’apanage ou “la marque de fabrique” de tel ou tel groupe mais elle est le trésor de toute l’Eglise.

En guise de conclusion, il me semble important que chaque prêtre catholique célèbre la Messe selon les règles actuelles du Missel romain, c’est-à-dire dans la forme ordinaire, en utilisant toutes les possibilités du rite restauré et en refusant le “bricolage liturgique”. C’est, à mon humble avis, la seule solution contre la radicalisation de certains fidèles. Fort heureusement, la réalité et la vitalité de l’Eglise dépassent largement les groupuscules traditionnalistes, même s’ils font beaucoup de bruits en France et même en Belgique par l’importation de prêtres… français.

Il importe donc de considérer l’Eglise dans sa dimension universelle qui, pour être crédible face à nos contemporains, doit affronter les problèmes de ce temps avec audace et fidélité à l’enseignement du Christ.

Chaque prêtre a le devoir d’œuvrer pour l’unité de l’Eglise. Dans la crise de la foi et de l’autorité que nous vivons, le plus beau témoignage que le prêtre doit donner, c’est de vouloir ce que veut l’Eglise aujourd’hui, dans l’obéissance et la fidélité.
                       
Respecter la liturgie lorsqu’elle évolue dans le seul but de traduire la foi et la vie intime de l’Eglise, c’est manifester publiquement tant l’amour que nous portons au Christ que notre docilité à l’enseignement de son Eglise. C’est aussi favoriser, cultiver et approfondir la vertu d’obéissance par laquelle on a toujours su reconnaître les véritables disciples du Christ.” (Denis Crouan, Tradition et liturgie, Ed. Téqui., 2005)
                   
Abbé Pierre N. , prêtre belge