13 juillet 2016

[L'Illustré] Moi, Etienne, 29 ans, nouveau prêtre intégriste

SOURCE - L'Illustré - 13 juillet 2016

Il est l’un des huit nouveaux prêtres ordonnés par la Fraternité Saint-Pie X, à Ecône (VS) et revendique son intégrisme comme une fidélité à l’Eglise d’avant Vatican II. Quelles sont les motivations pour un jeune homme d’aujourd’hui à rentrer dans l’un des mouvements les plus rigoristes de l’Eglise catholique? Reportage.

Etienne Ginoux Defermon est depuis quelques minutes un des huit nouveaux prêtres ordonnés le 29 juin dernier à Ecône (VS) par l’évêque Tissier de Mallerais, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. «Serai-je assez digne, serai-je assez saint?», murmure le jeune homme de 29 ans au milieu de ses camarades après une ordination sous tente qui a duré plus de quatre heures. Ses parents et ses cinq frères et sœurs sont venus de Nantes. Aucun Suisse parmi les nouveaux ordonnés, mais une majorité de Français. Depuis 9 heures, des centaines de fidèles ont pris place sur la prairie en dessous du séminaire; les chapeaux de paille ont fleuri, le soleil tape fort, des petites filles en jaquette jersey ou bérets très vieille France, des jeunes hommes, le cheveu aussi bien coupé que le costume-cravate, des jeunes couples avec enfants en bas âge qui supportent vaillamment la liturgie malgré la chaleur. D’autres sont agenouillés à des confessionnaux improvisés à même le champ: la France des catholiques traditionnels qui vont à la messe en latin et obéissent aux enseignements de Mgr Lefebvre, fondateur de la Fraternité en 1970. Etienne se rend très régulièrement dans la crypte où repose sa dépouille, «pour prier et demander conseil».
          
Sa chasuble, qu’il a gardée pliée pendant toute la cérémonie, est maintenant totalement déployée, signe de son changement de statut. Le prêtre nouveau s’en va rejoindre dans la prairie les membres de sa famille à genoux, qu’il va bénir pour la première fois. Ce matin déjà, il s’est préparé dans la crypte, un peu comme un athlète de Dieu dont l’épreuve cruciale sera la prosternation à plat ventre, pendant près d’une heure, tandis que l’assistance et l’évêque égrènent le rite en latin, la seule langue pour dire le sacré.
Fidélité intégrale au message évangélique
Qu’est-ce qui, au XXIe siècle, peut motiver un jeune de son âge à rejoindre un mouvement schismatique dont les évêques furent excommuniés, avant d’être réintégrés sous Benoît XVI, un mouvement tourné vers le passé et souvent décrit comme réactionnaire? Etienne était d’accord de répondre à nos questions quand le directeur du séminaire a demandé un volontaire. Avec courtoisie et gentillesse, même si l’on se méfie toujours un peu des médias, à Ecône. Pourtant, l’accueil est sympathique, le repas, partagé dans une pièce à part (le réfectoire étant interdit aux femmes, donc à la photographe), convivial.

Le mot intégriste fait sourire ce Breton de 29 ans, titulaire d’un master en droit privé. «Il ne faut pas se laisser impressionner par les mots. Nous revendiquons la fidélité intégrale au message évangélique que le Seigneur nous a transmis. On nous met une étiquette de fanatiques, mais ce qu’on fait aujourd’hui, c’est quasiment ce que l’Eglise a fait et que les papes ont dit pendant deux mille ans! La grâce de Dieu passe par la messe en latin et les sacrements.»

Pour sauver notre âme, pas de tergiversations possibles, le protestant que je suis le comprendra très vite, il faut se convertir à ce catholicisme d’avant le concile Vatican II, la liberté religieuse, l’œcuménisme… Etienne ne partage évidemment pas l’engouement médiatique autour de François, ce «pape imbu de modernisme et de relativité», selon ses supérieurs. La messe d’ordination a été encore l’occasion de l’affirmer. Même si des pourparlers avec Rome sont toujours en cours, «la Fraternité Saint-Pie X ne court pas après une reconnaissance canonique mais attend un pape qui consacrera le retour à la tradition et qui aura la force de proclamer intégralement la foi et la morale».
«Ordinations truquées!»
L’Eglise conciliaire est à la dérive et le prêtre n’est plus son horizon, a martelé encore l’évêque Bernard Tissier de Mallerais. D’où l’importance, pour les héritiers de Mgr Lefebvre, d’en ordonner de nouveaux, fidèles à la tradition. Les ordinations dans l’Eglise conciliaire sont «truquées», a encore affirmé le prélat devant Etienne et ses camarades couchés par terre, seule la Fraternité remet l’église au milieu du village en rétablissant au centre du catéchisme le pouvoir du prêtre de sauver des âmes. Celles des vivants comme des défunts. C’est «un homme d’éternité».

Oui, mais comment, en 2016, convaincre un jeune catholique de rester chaste avant le mariage? «La chasteté est souvent perçue comme une contrainte: ne pas faire, alors que ce n’est pas du tout cela. Il faut expliquer la beauté de se préserver, dire je t’aime puisque j’ai réservé mon corps pour toi.» Et que peut dire Etienne Ginoux Defermon sur la chasteté à vie dans laquelle il s’est lui-même engagé? «Au lieu de me donner à l’autre, je me donne totalement à Dieu. Mes deux mains vont servir à consacrer l’Eucharistie et pas autre chose. Certes, il y a des tentations, tous les prêtres la connaissent, on est des hommes et la lutte pour la maîtrise de ses instincts n’est pas toujours facile, mais la grâce nous rend capable d’aller au-delà de l’aspect animal de notre corps.»

Selon un sondage, évoqué durant l’ordination par l’évêque, 42% des prêtres d’un pays catholique ne prient qu’une fois par jour et même moins; il en va de même pour la confession. Inimaginable pour Etienne, qui passe de longues heures en prière tous les jours. Impossible de lui faire admettre l’idée qu’une relation singulière avec Dieu est possible, toutes les spiritualités ouvrant à un contact direct et sans chichi avec une divinité sont à ses yeux dans l’erreur. «Si Dieu avait voulu que le chrétien communique directement avec lui sans passer par l’intermédiaire du prêtre, il l’aurait dit!»

Doux, affable mais inflexible, ce garçon avoue pourtant avoir déjà douté. «Le doute est personnel à chacun. Je l’ai connu en cinquième année, avant le sous-diaconat. J’ai prié, demandé des conseils… «Suis-je digne de devenir prêtre et de suivre l’exemple de Jésus?» C’était mon interrogation principale.»

Le séminariste d’Ecône ne quitte jamais sa soutane. «Cela ne m’empêche pas de faire du roller, j’en porte les traces (il montre son plâtre au bras), de cueillir des cerises, faire du basket. Quand, de retour chez moi pendant les vacances, j’appelle mes amis pour aller boire un verre, ils me disent toujours, très étonnés: «Habillé comme ça?»

Le lendemain de son ordination, Etienne a célébré sa première messe pour ses proches dans la chapelle de Notre-Dame-des-Champs avant d’en faire de même dans sa ville natale. Le 15 août prochain, il recevra officiellement sa nouvelle affectation, mais il sait déjà qu’il va rejoindre un prieuré au Zimbabwe. Son cousin est déjà prêtre de la Fraternité au Gabon. Migrants de Dieu, dans la famille Ginoux Defermon on connaît! Ce nouvel apostolat, très loin des siens, n’effraie pas le nouveau prêtre. «J’étais volontaire. Mais, pour pouvoir porter la bonne parole, il faut que je l’aie, qu’elle soit définie, et c’est ce que j’ai reçu ici pendant mes six ans de séminaire.»

Du missionnariat à l’ancienne, monsieur le curé? «Non, nous n’imposons jamais la foi, mais nous répondons tout simplement à la demande des habitants!» A côté de son latin ordinaire, le jeune prêtre va devoir tout de même se mettre un peu au bantou. En shona, la langue que parlent ses futures ouailles, Tinotenda Mwari signifie Deo Gratias! Qu’elle soit avec lui.