11 novembre 2015

[Paix Liturgique] Le 4e pèlerinage Summorum Pontificum affirme la visibilité de la messe traditionnelle à Rome

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°516 - 11 novembre 2015

Comme chaque année, nous avons suivi de près et participé au pèlerinage du peuple Summorum Pontificum à Rome. Depuis 2012, cette initiative permet de rassembler à Rome, auprès du Siège de Pierre, les prêtres, religieux, séminaristes et laïcs attachés à la liturgie traditionnelle de l'Église – la forme extraordinaire du rite romain – et à sa célébration dans le cadre paroissial permis par le motu proprio de Benoît XVI. D'année en année, sans bruit ou presque, ce pèlerinage se développe, se structure et rend de mieux en mieux visible cette portion du peuple de Dieu qui, même si elle a accès aux richesses de la liturgie héritée de saint Grégoire le Grand et de saint Pie V, est encore souvent maintenue aux marges des diocèses.

Ayant beaucoup parlé tant avec les organisateurs qu’avec les pèlerins, il nous apparaît évident que ce peuple Summorum Pontificum s'inscrit à bien des égards dans la lignée des Silencieux de l'Église dont Pierre Debray s'était fait le porte-voix dans les années de l'immédiat après-concile. C'est en ayant à l'esprit ce parallèle que nous vous proposons de dresser cette semaine un bilan de ce IVème pèlerinage international à Rome.
I - LE FILM DU PÈLERINAGE
Jeudi 22 octobre : accueillis par l'abbé Claude Barthe, aumônier du pèlerinage, et l'abbé Joseph Kramer, curé de la paroisse personnelle confiée à la Fraternité Saint-Pierre à Rome, une trentaine de prêtres et 200 pèlerins se rassemblent dans l’église de la Trinité des Pèlerins. Nonobstant ses 89 ans et le long voyage qui l'a contraint à quitter dès potron-minet San Giovanni Rotondo, où repose Padre Pio et où il réside habituellement, Mgr Juan Rodolfo Laise préside les vêpres pontificales que chante la Schola Sainte Cécile. Frère capucin et évêque émérite de San Luis en Argentine, Mgr Laise est connu pour avoir maintenu la pratique de la communion sur les lèvres dans son diocèse en dépit des pressions de sa conférence épiscopale qui l'abandonna en 1996.

Au matin du vendredi 23 octobre, une petite centaine de pèlerins se retrouvent à la Chiesa Nuova (Santa Maria in Vallicella), devant l’urne de cristal contenant le corps de saint Philippe Neri, le patron du pèlerinage, pour méditer un chapelet pour la famille alors que le Synode des évêques est sur le point de se conclure. Le chapelet, conduit par don Giorgio Lenzi (IBP), est chanté par les Sœurs franciscaines de l’Immaculée en présence du Très Révérend Père Dom Pateau accompagné de son secrétaire.

À 11 heures, les prêtres et séminaristes francophones ont rendez-vous à l'Angelicum, l'université dominicaine de Rome, pour une rencontre et un déjeuner avec le doyen de la faculté de philosophie, le Père Serge Bonino, qui les entretient sur les malheurs et heurs du thomisme depuis le dernier concile. 

Dans l'après-midi, non sans quelque péripétie, les jeunes frères de la toute nouvelle Famille de l’Immaculée Médiatrice de toutes grâces et de saint François (pour la plupart anciens séminaristes laissés pour compte au moment de la fermeture brutale du séminaire des Franciscains de l'Immaculée) conduisent les fidèles sur les pentes du Palatin pour le Chemin de Croix conclut par l'adoration d'une relique de la Sainte Croix.

En soirée, comme l'écrit Riposte catholique : « Les pèlerins se souviendront longtemps de la messe célébrée par Mgr Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, en présence du cardinal Walter Brandmüller, dans la somptueuse église Santa Maria in Campitelli, bondée de fidèles. La musique vocale assurée par la Chorale Sainte-Cécile de Paris, qui interprétait la messe de Charpentier pour quatre chœurs, fut d’une qualité exceptionnelle, servie en outre par une résonance très riche. À la fin, pendant le chant du Magnificat de Charpentier, était dévoilée l’image miraculeuse de la Vierge conservé dans l’église, au centre d’une fascinante gloire berninesque, nimbée de lustres étincelants ». Ajoutons juste qu'une telle célébration n'a pu être possible que par la grande bienveillance démontrée par le curé de la paroisse envers le pèlerinage.

Point culminant du pèlerinage, la journée du samedi 24 octobre commence par l'adoration du Saint Sacrement dans la basilique mineure de San Lorenzo in Damaso, à laquelle préside le Révérend Père Jehan de Belleville, fondateur des Bénédictins de l'Immaculée. À l'issue de l'adoration, la procession solennelle, ouverte par la statue de Notre-Dame de Fatima, part vers la basilique Saint-Pierre. Présidée par le Très Révérend Père Dom Jean Pateau, Abbé de Fontgombault, cette procession rassemble près de 150 prêtres et séminaristes et un millier de fidèles qui parcourent la via del Pellegrino (la rue du Pèlerin !) avant de traverser le Tibre devant le Château Saint-Ange et de remonter la via della Conciliazione pour entrer dans la basilique vaticane au milieu d'une foule ébahie. La messe pontificale, chantée par la schola Sainte-Cécile, est célébrée par Mgr Laise, assisté de Monseigneur Marco Agostini (l'un des cérémoniaires pontificaux !), du père Gabriel Díaz Patri et de don Matteo Riboli (Familia Christi). C'est Mgr Luigi Negri, l'archevêque de Ferrare-Comacchio et abbé de Pomposa, qui prononce d’abondance la forte homélie dont nous avons parlé dans notre lettre précédente.

Dimanche 25 octobre, c'est à la Trinité des Pèlerins que se conclue le pèlerinage. Dom Jean Pateau, qui aura ainsi accompagné les pèlerins tout au long de leur itinéraire romain, y célèbre la messe pontificale pour la fête du Christ-Roi, chantée par l’ensemble Cantus Magnus dirigé par Matthew Schellhorn, le musicien attitré de la Latin Mass Society britannique. L'église est pleine à craquer mais l'ambiance recueillie et les visages rayonnants. Dans l'assistance, le tout nouveau président de la Fédération Internationale Una Voce (FIUV), élu la veille au cours de l'assemblée générale de l'organisation : Felipe Alanis Suarez, fondateur d'Una Voce au Mexique. 

Signalons enfin que les pèlerins italiens ont eu le privilège d'assister le samedi 24 à l’Institut de patristique (l'Augustinianum) à la présentation de l’édition italienne du livre de Mgr Laise sur l'abus de pouvoir que représente la généralisation par les conférences épiscopales de la communion dans la main. Au cours de cette présentation où sont intervenus aussi avec force et clarté le jeune canoniste Daniele Nigro et don Nicola Bux, Mgr Laise a tenu des propos d’une virilité épiscopale remarquable, salués par l'assistance au sein de laquelle figurait l'abbé du Chalard de la FSSPX.
II - LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1/ Notre première remarque portera sur l’institutionnalisation de ce pèlerinage. La mise en place des cérémonies à Saint-Pierre et en d’autres lieux de la Ville soulève de moins en moins de difficulté. On sait que l’administration ecclésiastique romaine fonctionne volontiers par « précédents ». C'est le 24 mai 2003 que le premier précédent a été créé lorsque le cardinal Castrillón Hoyos célébra une messe pontificale selon le missel tridentin dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure. C’est à cette occasion que le cardinal avait déclaré, anticipant sous Jean-Paul II le Motu Proprio de Benoît XVI, que « l’ancien rite romain conserve dans l’Église son droit de citoyenneté ». Lorsque le cardinal Cañizares célébra dans la basilique vaticane le 3 novembre 2012 lors du premier pèlerinage du peuple Summorum Pontificum à Rome, il ne fut donc pas étonnant de l'entendre faire écho au cardinal Castrillón. Ainsi expliquait-il le 30 octobre 2012 au vaticaniste Andrea Tornielli que sa participation au pèlerinage était « une manière de faire comprendre que l’usage du missel de 1962 est normal ». Et d’appuyer : « J’ai déjà célébré avec le missel du Bienheureux Jean XXIII, et je le ferai volontiers cette fois encore ».
Avant cette première messe à Saint-Pierre du peuple Summorum Pontificum, les congrès organisés par le Père dominicain Vincenzo Nuara, avaient permis de réintroduire la messe pontificale en la basilique.
Du coup, d'année en année, considérant en outre la base stable que représente la paroisse personnelle de la Trinité des Pèlerins, la forme extraordinaire devient de plus en plus ordinaire à Rome, si l’on peut dire. Ce qui explique sans doute le ton très posé de l'article de La Croix que nous avons repris dans notre lettre 515. Certes, sa célébration demeure très minoritaire mais elle est rentrée dans la normalité romaine.

2/ Nous constatons aussi que l’événement fait pieusement « boule de neige ». D’année en année, sans grande publicité si ce n'est le bouche à oreille, le nombre des fidèles et des prêtres s’accroît. « Sono tanti! » [Ils sont beaucoup !] : se serait exclamé le pape François, en voyant passer sous les fenêtres des salles d’audience où il se trouve le matin, la procession du pèlerinage, le 26 octobre 2013. Nombreux en 2013, aussi nombreux en 2014 mais encore plus nombreux cette année puisque, pour la première fois, la police italienne a recensé plus de 1000 pèlerins dans la procession qui a traversé la place Saint-Pierre. Des pèlerins venus du Brésil, de Pologne, des États-Unis, de Suisse, de Hongrie, de Slovénie, des Philippines, d'Argentine, de Croatie, de Belgique, etc. Mais aussi, bien sûr, de France et, surtout, d’Italie. Pour la première fois, une paroisse italienne ordinaire, dont le curé célèbre in utroque usu, avait organisé un car pour l'occasion.
Comme le relevait Dom Pateau en repartant vers la France, l'originalité de ce pèlerinage, c'est précisément de rassembler tout ce peuple épars – laïcs comme prêtre et religieux – qui, parfois, ne bénéficie même pas de la célébration régulière de la liturgie traditionnelle mais se reconnaît dans la famille Summorum Pontificum. Nous avons ainsi croisé de nombreux séminaristes de tous les continents, aussi bien en soutane et surplis parmi le clergé, qu'en civil parmi les fidèles, en fonction de la bienveillance affichée ou non dans leur séminaire national pour la messe traditionnelle.

3/ Bien sûr, de nombreux membres des communautés Ecclesia Dei tout comme des fidèles de la FSSPX étaient aussi présents, ne cachant nullement leurs couleurs respectives. Mais le principe du pèlerinage est qu’il est « populaire ». Les organisateurs tiennent à cette idée de pèlerinage du « Peuple » Summorum Pontificum. Et, de fait, ceux qui y participent librement, sans aucune inscription préalable, viennent de tous les horizons. Cela permet un brassage plus important, une normalité plus appuyée, une référence plus évidente à l’esprit et à la lettre du Motu Proprio : faire que la messe traditionnelle soit célébrée normalement dans les paroisses ordinaires.
Dans son mot d’accueil aux pèlerins, l’abbé Claude Barthe, l’aumônier du pèlerinage, précisait ainsi : « Nous aimons à dire que nous représentons, à Rome, le Populus Summorum Pontificum, le peuple Summorum Pontificum. Soit l’ensemble de ceux, prêtres, religieux, séminaristes, fidèles, attachés à la messe traditionnelle. Si, en effet, nous nous reportons au demi-siècle qui a précédé, nous voyons que c’est par une sorte d’instinct de la foi du peuple chrétien qu’a été assurée la survie de la messe traditionnelle. Le sensus fidelium est un peu comme une prière qui presse instamment l’autorité d’intervenir, ce qu’elle a fait en 2007 par Summorum Pontificum, en confirmant le bien-fondé de la célébration de l’usus antiquior. Et ce qu’elle fera assurément encore dans l’avenir. Car cette histoire, notre histoire, n’est pas achevée. »

4/ Cette année, nous avons remarqué que l’impression exprimée constamment, y compris par les célébrants, était celle de l’émotion ressentie. Il faut dire que les cérémonies liturgiques ont été menées avec une grande précision par les cérémoniaires et soulignées par l'exceptionnelle tenue des chants de la schola Sainte-Cécile de Paris, sous la direction d’Henri Adam de Villiers, comme de l’ensemble Cantus Magnus, de Londres, dirigé par Matthew Schellhorn. En dépit du manque de places assises à Santa Maria in Campitelli et à la Trinité des Pèlerins, la piété sereine des pèlerins était pour ainsi dire palpable.Fidèles et prêtres savaient pourquoi ils étaient là. Mgr Pozzo, dans son homélie à Santa Maria in Campitelli, avait très bien saisi cet état d'âme des pèlerins : « L’invitation à sortir de soi-même pour évangéliser est un petit résumé de l’être chrétien. Et votre pèlerinage à Rome est le signe concret que vous voulez sortir de vous-mêmes pour communiquer la joie d’avoir rencontré Dieu aux hommes qui ne le connaissent pas encore ou qui s’en sont détournés. Votre pèlerinage doit vous faire sentir comme une communauté de disciples missionnaires. » Des missionnaires au service de ce que l'abbé Barthe a l'habitude d'appeler « l'éternelle jeunesse de la liturgie traditionnelle », une mission que le pape François, dans son message aux organisateurs, a tout simplement résumé ainsi : « maintenir vivante dans l'Église l'antique liturgie romaine ».

L'AN PROCHAIN, LE PÈLERINAGE SE TIENDRA DU JEUDI 27 OCTOBRE AU DIMANCHE 30 OCTOBRE 2016.