13 novembre 2015

[Annie Le Pape - Présent] Entretien avec Mgr Athanasius Schneider

SOURCE - Annie Le Pape - Présent - 13 novembre 2015

— Monseigneur, vous avez participé à l’élaboration de l’ouvrage Le Synode sur la famille en 100 questions, si clair et toujours d’actualité. A qui s’adresse ce livre?
— Le livre s’adresse d’abord aux familles, aux parents chrétiens, aux fiancés, et surtout à tous ceux qui travaillent dans l’apostolat et la pastorale familiale. De nos jours règne une grande confusion concernant la vérité sur le mariage et la famille, dans le domaine de la loi naturelle et même dans le domaine des vérités révélées et de la vie disciplinaire de l’Eglise. Pour cette raison, les fidèles ont besoin d’être munis d’une connaissance sûre et qui ne soit pas équivoque, pour être prêts à confesser la vérité divine sur le mariage et la famille devant quiconque demande raison de cette vérité (cf. 1 P 3, 15). Ils doivent être fermes et immuables dans leur conviction et dans leur confession (cf. He 10, 23), immunisés contre les sophismes et les stratagèmes astucieux de la nouvelle idéologie mondiale du genre, qui a réussi à avoir des collaborateurs au sein même de l’Eglise, spécialement dans les rangs du clergé.

Malheureusement on trouve, de nos jours, chez un nombre considérable des prêtres et même d’évêques, une connaissance insuffisante des textes du Magistère des temps passés et des deux derniers pontificats, qui cependant restent perpétuellement valides. C’est une des raisons pour lesquelles l’argumentation, dans notre ouvrage, s’appuie principalement sur les textes du Magistère. Notre livre peut donc être utile aussi au clergé.
— Les questions posées sont extrêmement directes. Ont-elles été inspirées d’objections que les trois auteurs, dont vous faites partie, ont pu entendre en tant que pasteurs ?
— Bien sûr, une partie des objections exposées auxquelles nous répondons proviennent de la vie concrète des fidèles. Une autre partie représente les objections typiques de la propagande de l’idéologie dominante, qui sont devenues également des objections de la part de membres influents de la nomenclature ecclésiastique.
— Tout un passage du livre analyse le détournement du vocabulaire, comme dans l’usage biaisé du mot « discrimination », par exemple, ou ce que les auteurs appellent les « mots-talismans ». Dans le domaine religieux, le choix et le maniement des mots vous paraît donc particulièrement important ?
— Depuis quelques décennies, nous pouvons observer dans la sphère ecclésiale une atmosphère où prédomine l’ambiguïté doctrinale, qui à son tour est exprimée en termes et paroles imprécis, souvent porteurs d’émotion. Une telle méthode intellectuelle et un tel langage ressemblent beaucoup au phénomène du gnosticisme chrétien du IIe siècle, qui a été magistralement analysé, démasqué et réfuté par saint Irénée de Lyon dans son ouvrageAdversus haerese. L’Eglise, de nos jours, a un besoin pressant d’un nouveau saint Irénée de Lyon !
— Quelles conclusions tirez-vous du déroulement de la seconde partie du synode, qui vient de s’achever ?
— La dernière assemblée du synode a montré au monde entier l’image d’un épiscopat profondément divisé, et cela concernant les questions doctrinales et disciplinaires, déjà tranchées par le Magistère pontifical et le Magistère ordinaire et universel, notamment : l’immoralité grave et le caractère contre nature des actes de sodomie, voire de l’homosexualité pratiquante, l’impossibilité d’admission des adultères impénitents aux sacrements, l’immoralité de toutes les formes pratiques du divorce. Depuis la crise arienne du IVe siècle, on n’a jamais entendu dire que des évêques catholiques avaient proféré insolemment et sans rougir des hérésies ou des semi-hérésies dans une assemblée officielle de l’Église. Le monde a pu être le témoin de ce fait consternant pendant les sessions du synode.

En outre il était également manifeste que le contrôle des principales structures administratives du synode (« les coulisses du pouvoir ») était résolument entre les mains des ecclésiastiques sympathisants des doctrines mentionnées et des pratiques semi-hérétiques. Reste donc l’impression que, de nos jours, on a la liberté et le droit dans l’Eglise de propager impunément des théories hétérodoxes et qu’à la fin on peut être récompensé pour cela. La nature du ministère magistériel des évêques consiste à garder et à administrer fidèlement le dépôt de la foi, dont ils ne sont pas propriétaires. Une des expressions les plus importantes de ce ministère consiste dans l’éclaircissement des vérités catholiques, sans en changer le sens. Dans le synode, au contraire, s’est produite une éclipse de la vérité, causant une situation générale de confusion concernant la discipline de l’Eglise en ce qui concerne les divorcés remariés. Le pape saint Grégoire Ier explique, dans la « Règle pastorale, II, 7 », que les évêques ont, dans la tête du corps de l’Eglise, la fonction des yeux, et dans le cas où les évêques s’adaptent à l’esprit du monde, ils remplissent les yeux de l’Eglise d’une poussière qui obscurcit sa vue.
— Les inquiétudes que vous avez pu formuler sur l’avenir de la famille se sont-elles révélées fondées? Certains pères synodaux redoutaient des déclarations ambiguës. Qu’en a-t-il été?
— Parmi les plusieurs déclarations ambiguës, je voudrais signaler celles que je considère comme les plus dangereuses, en tant qu’elles minent la base des vérités catholiques :

  • L’accent sur des qualités positives des personnes qui vivent dans un état objectif et permanent de péché, minimisant ainsi la réalité du mal et sa gravité. Il s’agit ici d’une sorte de camouflage moral et d’un trompe-l’œil spirituel.
  • L’application impropre et inadmissible du principe de l’imputabilité morale au cas des unions conjugales irrégulières. Cela présuppose, ou du moins favorise, la théorie de « l’option fondamentale » et la théorie de la négation de la distinction entre péché véniel et péché mortel ou grave, théories déjà condamnées par le Magistère.
  • Faire dépendre l’admission à la Sainte Communion, en fin de compte, de la décision des divorcés eux-mêmes, selon leur état de conscience et leur discernement dans au « for interne » avec l’aide du confesseur, sans l’exigence d’une vie en continence complète. Cela ouvre la porte au principe du jugement subjectif à la façon protestante, donc à une sorte de « protestantisation ».
  • Faire dépendre l’admission à la Sainte Communion des divorcés remariés de l’orientation de l’évêque local. Cela ouvre la porte au principe du particularisme doctrinal et disciplinaire, donc à une sorte d’« anglicanisation », qui mène à la dissolution de la vraie catholicité.
— La conclusion de ce livre sur le synode exhorte à l’action et interdit toute lamentation stérile. Cela vous paraît-il un point important ?
— Cela est sans doute un point important. Les vrais catholiques connaissent bien la foi divine et ses vérités doctrinales et pratiques. En effet, nous croyons, nous comprenons les vérités de la foi, nous célébrons la liturgie et nous vivons en substance tout comme ont cru, comme ont compris, comme ont célébré et comme ont vécu nos ancêtres et toutes les générations des catholiques depuis le temps des Apôtres jusqu’au temps de nos parents et nos grands-parents. Cette connaissance de la foi, cette conviction dans la foi, cette certitude dans la foi, cet orgueil saint de la foi et cette joie de la foi est notre vraie propriété, laquelle nous a été remise par Dieu dans le baptême. De l’administration de cette sainte propriété des talents de la foi catholique, Dieu exigera des comptes de chacun, à commencer par les détenteurs du Magistère jusqu’au simple fidèle. Et même si quelques détenteurs du Magistère, pendant le dernier synode, ont terni la pureté de la doctrine et de la pratique de la tradition apostolique, cela ne devrait pas diminuer notre fidélité et notre certitude, mais devrait au contraire enflammer le zèle de confesser et de défendre la foi, et nul ne nous « ravira la joie de notre foi » (cf. Jn 16, 22). « La victoire qui triomphe, c'est notre foi » (1 Jn 5, 4).

Dans le contexte des deux derniers synodes nous avons vu, et nous le verrons encore davantage, comment la sagesse et la vraie miséricorde de Dieu permettent que la fidélité et la pureté de la foi des petits, dans l’Eglise, triomphent de la défaillance, de la trahison et de la tromperie, en matière de foi, de la part de quelques membres d’un groupe ou d’un réseau puissant dans la structure visible de l’Eglise de nos jours. Dieu, cependant, aime, selon les paroles de la Bienheureuse Vierge Marie, « jeter les puissants à bas de leurs trônes et élever les humbles » (Lc 1, 52). Ces humbles et petits dans l’Eglise de nos jours sont tous ceux qui ont conservé la fidélité et la pureté de la doctrine, de la vie et de la pratique catholiques, à commencer par les enfants, les familles, jusqu’aux évêques. En ce sens, nous pouvons comprendre les paroles du Concile Vatican II qui restent lumineuses et consolantes dans la confusion de notre temps : « La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20-27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, “des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs [saint Augustin, De Praed. Sanct. 14, 27]”, elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel. Grâce, en effet, à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, pourvu qu’il lui obéisse fidèlement, le Peuple de Dieu reçoit non plus une parole humaine, mais véritablement la Parole de Dieu (cf. 1 Th 2, 13), il s’attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus profondément par un jugement droit et la met plus parfaitement en œuvre dans sa vie. « (Lumen gentium, 12).

Propos recueillis par Anne Le Pape