28 novembre 2015

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Dieu dans la famille

SOURCE - Le Seignadou - décembre 2015

Au terme de cette année où il a été beaucoup question de la famille, et où nous avons eu la belle joie de vénérer la sainteté de Louis et Zélie Martin, parents de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, j’aimerais vous faire connaître rapidement une sainte mère de famille, inconnue en France, au point qu’il n’existe aucun ouvrage en français consacré à Elizabeth Vaughan. Elle était anglaise et c’est donc outre-manche qu’il faut aller chercher quelques informations sur ce que fut sa vie. Mais, auparavant, quelques pensées relatives aux pères et mères de famille, glanées çà et là.

Combien de fiancés ont dit à l’élue de leur cœur ? « Je ne me marie pas avec vous parce que je vous aime, mais pour vous aimer. » ou encore « Je ne veux que la seconde place en votre cœur. Jésus-Christ doit occuper la première. » Et combien de pères chrétiens pourraient dire vraiment à leurs épouses ces nobles paroles ? « Madame, apprenez que je vous aimerais moins si je n’aimais Dieu plus que vous ».

Relevons aussi quelques lignes de Louis Veuillot donnant sa fille à Dieu.
« A dieu ! mon enfant bien-aimée et bénie et amère. Je t'assure que je suis très amoureusement soumis à la volonté du Bon Dieu sur toi et sur moi. Rien ne me fait plus de peine et de joie que ta résolution. Je ne peux m'y habituer en aucun sens. La joie est dans mon âme et ne peut entrer dans mon cœur: la peine est dans mon cœur et ne peut troubler mon âme. Les deux sentiments se confondent et chacun reste entier et distinct, et il me semble que je ne saurai et ne voudrai jamais perdre ni l'un ni l'autre. En vérité, mon enfant, j'ignorais à quel point tu m'es chère. C'est encore une joie et une douleur de le sentir. Je suis content et désolé de tout ce que tu me fais donner au Bon Dieu. Quand tu étais petite et que tu faisais présent à quelqu'un d'une épingle ou d'une paille, tu disais : "Je vous le donne, mais pas pour tout à fait !" J'en suis à peu près là. Je dirais bien au Bon Dieu : pas pour tout a fait ! Cependant, Dieu sait que c'est pour tout à fait, s'il le veut comme toi, et même de bon cœur. »

Ton ancien père – Du lieu quelconque de notre exil – un jour quelconque de notre existence terrestre – Dieu soit béni ! »
Et encore, du même Louis Veuillot :
« Ma très honorée dame et très chère fille, ta diligente petite lettre m'a ravi. J'approuve que tu t'appauvrisses de tout, et j'en loue Dieu: mais j'aime bien que tu gardes un petit coin de ton cœur a ton pauvre père. Laisse-le toujours là. Il considère que c'est sa place à l'église et à la messe. Il s'y tient bien, avec la déférence, le respect et l'esprit de pauvreté et d'humilité qui conviennent à la petitesse mais aussi à la dignité de son état. Je t'assure qu'il est bon et doux de penser qu'on est le père d'une religieuse. Cela rabaisse et relève en même temps. Quelle grande dame est devenue ce chiffon de Lulu ! Quelle splendeur ! Quelle majesté ! Elle sera dans le cortège spécial de l'Agneau: elle chantera ses louanges éternellement: Il entendra sa voix distinctement, Il en sera charmé, et, en même temps, elle est ma fille et j'ai fourni quelque chose de ses parures immenses et immortelles ! Elle est Marie-Luce, mais elle a été Luce Veuillot et elle s'en souviendra aussi longtemps que le Roi du ciel se souviendra d'avoir été Jésus de Nazareth. Voilà sur quelles échasses Louis Veuillot est perché pour de perpétuelles éternités. Je pense à tout cela en écoutant le grand bruit de la mer, et cela rehausse fameusement ma situation actuelle de grain de sable ... Adieu, mon enfant. Prie Dieu de me donner plus d'amour pour lui.
Pour toi, j'ai ce qu'il faut. Plus, tu ne voudrais pas. Ton père. »
Voyons un peu du côté des mères.

À Saint-Maximin, la maman d’un jeune frère dominicain pleurait en accompagnant son fils au couvent. Ému par les larmes de cette femme, le père Lagrange lui dit : « Madame, ma mère me disait : une mère ne connaît toutes les joies de la maternité que lorsqu’elle a un fils prêtre. » Loin de quitter et de perdre son enfant, cette mère allait découvrir une nouvelle facette de sa maternité.

Dom Guillerand écrivait sur ce sujet :
« Nous avons tous un jour, plus ou moins, brisé les cœurs de ceux que nous aimions le plus au monde et nous en avons été brisés. Ceux-là seuls qui ont manié des âmes savent combien il faut les estimer pour les faire souffrir.  Il le faut néanmoins pour les amener au céleste sourire du divin crucifié.
L'amour de Dieu n'éteint pas les tendresses légitimes, il ne s'y oppose qu'en apparence. Quand il s'empare d'une âme et l'emporte loin d'un foyer très cher, il laisse intact l'attachement à ce foyer et aux êtres qui le peuplent. Cette âme songe que derrière les murs d'un cloître, dans le silence d'une cellule, en confiant à Dieu le soin de dire à ces êtres sa tendresse et de réaliser à leur égard le rêve de sa tendresse, elle fait pour eux bien plus que sa présence matérielle ne pouvait leur assurer. »
Mais revenons à notre Elizabeth Vaughan, que tous désignent avec le diminutif Eliza. Née le 8 octobre 1810 dans une famille protestante, elle fut très impressionnée, lors d’un séjour en France, par le soutien exemplaire que l’Eglise Catholique apportait aux pauvres, et elle se mit à fréquenter les offices catholiques. Elle fit ensuite la connaissance d’un officier catholique, le colonel John Francis Vaughan, et elle l’accompagnait parfois à la messe.  Selon les lois en vigueur, c’est dans l’église anglicane de St. Mary qu’eut lieu leur mariage le 12 juillet 1830. Malgré la forte résistance de ses parents, Eliza se convertit formellement au catholicisme, et reçut le baptême sous condition le 31 octobre  1830. Eliza n’avait pas pris cette décision parce qu’elle appartenait désormais à une famille anglaise connue, de tradition catholique, mais bien motivée par une ferme conviction personnelle. Convertie du plus profond de son cœur et remplie de zèle, Eliza proposa alors à son mari de donner leurs enfants à Dieu. Cette femme de grande vertu priait chaque jour une heure devant le Saint Sacrement dans la chapelle de la résidence familiale. Elle demandait à Dieu une famille nombreuse et beaucoup de vocations religieuses parmi ses enfants. Elle fut exaucée ! Elle eut 14 enfants et mourut peu après la naissance du dernier, le 24 janvier 1853. Des 13 enfants (un mourut en bas âge), dont 8 garçons, 6 devinrent prêtres : 2 religieux, un prêtre diocésain, un évêque, un archevêque et un cardinal. Des 5 filles, quatre entrèrent dans la vie religieuse.

La prière et la Sainte Messe dans la chapelle de la maison faisaient partie de la vie quotidienne, tout comme la musique, le sport, le théâtre, l’équitation et les jeux. Eliza se faisait aussi accompagner de ses enfants pour les visites et les soins aux malades et aux personnes souffrantes du voisinage. C’était pour eux l’occasion d’apprendre à être généreux, à faire des sacrifices et à donner aux pauvres leurs économies ou leurs jouets.

Quand Herbert, le fils aîné, à 16 ans, annonça à ses parents vouloir devenir prêtre, les réactions furent contrastées. Sa mère, qui avait beaucoup prié pour cela, sourit et dit : « Mon fils, je le savais depuis bien longtemps. » Son père eut besoin d’un peu plus de temps. Il avait fondé de grandes espérances sur son fils aîné, l’héritier de la maison, et avait pensé pour lui à une brillante carrière militaire. Comment pouvait-il imaginer qu’Herbert, un jour, deviendrait l’archevêque de Westminster, fondateur en 1866 des Missionnaires de Saint-Joseph (missionnaires de Mill Hill) et plus tard Cardinal ? Il se laissa convaincre et écrivit à un ami : « Si Dieu veut Herbert pour Lui, Il peut avoir aussi tous les autres. »

Elle mourut peu après la naissance du quatorzième enfant, John, qui sera prêtre et évêque. Deux mois après sa mort, le colonel Vaughan, convaincu que son épouse avait été un don de la providence, écrivait dans une lettre :
« Aujourd’hui, pendant l’adoration, je remerciais le Seigneur d’avoir pu Lui redonner mon épouse bien aimée. Je Le remerciais de tout mon cœur de m’avoir donné Eliza comme modèle et guide ; je suis encore uni à elle par un lien spirituel indestructible. Quelle merveilleuse consolation et quelle grâce ne me donne-t-elle pas ! Je la vois encore, comme je l’ai toujours vue devant le Saint Sacrement avec cette pure et humaine gentillesse qui illuminait son visage pendant la prière. »
Saint temps de l’Avent ! Sainte et belle année chrétienne à tous et à toutes nos chères familles.