26 mai 2015

[Paix Liturgique] Cas d'école: la diabolisation des demandeurs

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°492 - 26 mai 2015

Cette semaine, nous nous arrêterons sur une situation hélas encore observable de temps à autre dans toutes les parties du monde catholique. C’est celle de la diabolisation des demandeurs de la forme extraordinaire du rite romain. Nous ne citerons aucun diocèse en particulier mais puiserons nos exemples dans l’actualité récente, de l’Océan indien aux États-Unis, en passant par la Croatie, la France, l'Asie et les Caraïbes.

Les acteurs en présence : des familles désireuses de bénéficier des richesses de la liturgie traditionnelle à travers l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI ; des autorités ecclésiastiques malentandantes, si ce n’est hostiles, à la demande ; et aussi la Fraternité Saint Pie X, son flair pastoral et son esprit missionnaire.


I – UN SCÉNARIO BIEN CONNU



1er temps : une demande ignorée


La première phase est toujours la même. Le curé auquel est adressée la demande des fidèles souhaitant vivre leur foi au rythme de la forme extraordinaire les renvoie sur l’évêché, ignorant la lettre et l’esprit de la loi. Qu’une rencontre entre l’évêque ou le vicaire général ait été organisée ou pas, le diocèse répond qu’il va étudier la question. Faute de réponse, les fidèles finissent par se manifester de nouveau. Le diocèse répond alors que ce n’est pas simple car… (choix non exhaustif et réponses multiples possibles) :
> a) l’unité diocésaine serait menacée (alors qu’il y a déjà des messes en trois langues différentes dans la même paroisse) ;
> b) il n’y a pas de prêtre idoine disponible (alors que les fidèles ont donné le nom de deux célébrants possibles qui ont aussitôt été envoyés à l’autre bout du diocèse) ;
> c) cela suppose une formation préalable au latin (alors que même le séminaire diocésain ne propose plus de cours de latin) ;
> d) « l’impatience » des fidèles (alors que quatre mois ont passé depuis la rencontre avec le vicaire général) tend à donner raison à ceux qui doutent qu'ils soient bien en communion avec Rome : sur son blog, l'un des demandeurs n’a-t-il pas publié une photo de Mgr Lefebvre en Afrique ?
> e) il existe déjà une messe célébrée une fois par mois à moins d’une heure et demie de route du lieu de la demande (certes, c’est dans un autre diocèse, mais ils ne vont pas faire les difficiles quand même, non ?).


2ème temps : les fidèles vont de l’avant


> a) L’une des familles de demandeurs ayant un parent ou un ami prêtre dans un institut Ecclesia Dei, ses vacances dans le diocèse servent de prétexte à la célébration ponctuelle de la messe traditionnelle (ne pouvant rien faire contre, à part reléguer la messe dans un endroit isolé, l’évêque ferme les yeux).
> b) Les familles décident de profiter du livre d’un prêtre ou prélat connu pour célébrer volontiers la forme extraordinaire du rite romain pour organiser une conférence de présentation de ce livre et tenter d’organiser une messe à cette occasion. Là, la politique diocésaine et les ambitions épiscopales entrent en jeu et tout peut arriver : la paix, l’hostilité sourde mais aussi la guerre déclarée pour une pareille « provocation ».
> c) Les demandeurs écrivent à Rome, conformément à ce que demande le Motu Proprio en cas de situation bloquée. Hélas, à moins d’avoir de leur côté un célébrant prêt à s’exposer, cela ne sert à rien... si ce n’est à mécontenter un peu plus l’évêque et à lui permettre de dire que les demandeurs sont des agitateurs et même des provocateurs qui ne souhaitent pas le bien de l'Église !
> d) Les demandeurs décident de mettre l’affaire sur la place publique, via Internet voire, s’ils y trouvent une oreille favorable, via la presse locale. Dans ce cas, le courroux épiscopal est immédiat. Cependant, si l’évêque comprend qu’il ne pourra étouffer l’affaire, il peut vite être tenté de reprendre les discussions voire se montrer sincèrement désireux de trouver un terrain d’entente avec les fidèles… Mais fallait-il en arriver à ce point ?


3ème temps : la FSSPX entre en scène


Si, faute de générosité épiscopale, la situation s’enlise, la Fraternité sacerdotale Saint Pie X finit souvent par entrer en jeu. Ayant conservé l’esprit missionnaire que son fondateur, Mgr Lefebvre, lui a insufflé, la FSSPX est en effet toujours prompte à répondre aux besoins des fidèles quand ceux-ci ne sont pas satisfaits localement : « l’état de nécessité » n’est-il pas, comme elle l’affirme, la raison de l’indépendance qu’elle conserve ? Au minimum, elle se contente d’envoyer un prêtre en mission pour une conférence spirituelle et une messe – célébrée, si besoin est, dans la salle de réunion d’un hôtel – mais elle peut aussi, si elle sait compter sur un terrain favorable, décider d’ouvrir un lieu de culte permanent dans le diocèse. Que les demandeurs soient concernés ou non, la venue de la FSSPX provoque irrémédiablement la réaction de l’évêque qui (là aussi, choix non exhaustif et réponses multiples possibles) :
> a) rappelle qu’elle n’est pas en communion avec Rome ;
> b) la dénonce comme une secte ;
> c) l’accuse d’abuser des fidèles qu’il a lui-même rejetés aux marges de l’Église locale en les accusant souvent de n'être « que des lefebvristes » ;
> d) s’étonne de sa puissance financière (1), surtout si elle rend au culte une église historique du diocèse.


II – DES BREBIS INDIGNES DE MISÉRICORDE ?


Le scénario que nous venons de dérouler, quelles que soient ses variations locales dont certaines de nos prochaines lettres ne manqueront pas de rendre compte, a pour conséquence première et ultime de fragiliser l’unité de l'Église locale. Car, même si l’intervention de la FSSPX a souvent pour effet second de contraindre l’évêque à concéder la célébration de la Sainte Messe selon la forme extraordinaire du rite romain aux demandeurs qui ne se sont pas découragés dans l’intervalle, les blessures provoquées par le manque de charité et d’écoute épiscopal mettent toujours beaucoup de temps à se soigner.

De nombreux médias, dont La Croix, ont récemment relayé l’information selon laquelle, en Argentine, le successeur du cardinal Bergoglio à Buenos Aires, le cardinal Maria Aurelio Poli, était intervenu auprès des autorités civiles pour confirmer l’appartenance de la FSSPX à la religion catholique (2). Et dans le même temps, à Rome, les relations cordiales entre Rome et Menzingen, la maison généralice de la FSSPX se poursuivent : comme nous l’avons souligné dans notre lettre 477, les basiliques romaines ont fait le nécessaire pour accueillir au mieux le pèlerinage à Rome des dominicaines de Fanjeaux.

Que des évêques, qui se croient souvent, il est vrai, « papes en leur diocèse », continuent de rejeter hors du troupeau leurs brebis suspectes de lefebvrisme a toutefois de quoi surprendre aujourd’hui.Surtout quand le « lefebvrisme » commence à la simple demande, pacifique et paroissiale, d’application du Motu Proprio Summorum Pontificum.

Prions pour que l’Année de la Miséricorde voulue par le pape François soit aussi, pour ces pasteurs qui veulent encore interdire la messe traditionnelle, l’occasion de sortir de leurs palais épiscopaux pour sentir l’odeur de ces brebis dont ils n’ont cure. Peut-être découvriront-ils alors qu’il s’exhale d’elles comme une odeur agréable à Dieu ?

Incénsum istud dignétur Dóminus benedícere, et in odórem suavitátis accípere.
« Que le Seigneur daigne bénir cet encens, et le recevoir en odeur de suavité. »
(Offertoire de la Messe selon le Missel de saint Jean XXIII)
***
(1) Et oui, les fidèles savent se montrer (très) généreux pour qui vient en aide à leurs familles et à leurs enfants!

(2) Par décision du 13 mars 2015 du Secrétaire du culte de l’Argentine, la Fraternité Saint-Pie X a été reconnue comme personne juridique de droit civil, grâce au cardinal de Buenos Aires qui attestait qu’elle était «à l’intérieur de l’Église catholique» et qui demandait qu’elle «soit considérée comme» une association de droit diocésain.