7 janvier 2015

[Paix Liturgique] Pourquoi tant de familles choisissent-elles la forme extraordinaire pour faire confirmer leurs enfants ?

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 471 - 7 janvier 2015

Pourquoi tant de familles choisissent-elles la forme extraordinaire pour faire confirmer leurs enfants ? Ou l’incompréhension des brebis face à ce qui leur semble un bricolage sans-limite...

Le sacrement de confirmation est la cérémonie qui rassemble le plus facilement les familles attachées à la forme extraordinaire du rite romain autour de leur évêque. Parmi les près de 400 évêques et cardinaux qui ont célébré ou assisté à une cérémonie tenue dans la forme extraordinaire du rite romain depuis 2007 (1), bon nombre n'ont en effet jamais célébré la Sainte Eucharistie mais en revanche conféré à une ou plusieurs reprises le sacrement de confirmation.

Il faut dire que les raisons de privilégier la forme liturgique traditionnelle du sacrement de la Confirmation par rapport au rite rénové ne manquent pas.
I – LA CONFIRMATION DANS LA FORME EXTRAORDINAIRE
Confirmations traditionnelles conférées par Mgr Dognin,
évêque auxiliaire de Bordeaux, en l'église Saint-Bruno (FSSP).
On sait que la réforme liturgique de la fin des années soixante s’est voulue totale et a transformé tout le rite latin : messe, sacrements, sacramentaux. Caractérisé par un rituel sobre et grave en même temps que solennel en raison de la présence de l’évêque, le sacrement de confirmation « parlait » de lui-même avec une grande éloquence. Pourtant, les rénovateurs en ont fait table rase.

Le rite de confirmation réformé est et se veut spectaculairement nouveau. Du point de vue liturgique, on pourrait même dire qu’il est un sacrement nouveau à l’état pur, celui pour lequel on a choisi d'innover formellement de bout en bout, comme par principe. Cette nouveauté est lourdement accentuée par les traductions en langues vernaculaires, qui sont de véritables adaptations de la cérémonie latine, comme en témoigne le rituel pour la France et les pays francophones approuvé par la Congrégation pour le Culte divin le 3 mars 1976, où le génie propre des artisans du Centre national de pastorale liturgique (CNPL) s’est surpassé.

Il faut rappeler que, dans ce sacrement qui imprime dans l’âme un caractère, un sceau indélébile, comme le baptême et l’ordination, la grâce sacramentelle conférée se qualifie par la notion-clef d’augmentum, d’augmentation, de passage surnaturel à l’âge adulte. Il y a effusion plénière de l’Esprit Saint, comme elle fut jadis accordée aux apôtres au jour de la Pentecôte (CEC, n. 1302). Le baptême est confirmé : on fait l’analogie avec l’accès, dans l’ordre de la nature, à l’âge adulte, « parfait », qui met en état de réaliser tous les actes humains. C’est le sacrement de la plénitude de la grâce, de la plénitude du Saint-Esprit et de ses dons, avec une force spéciale de l’Esprit Saint pour répandre et défendre la foi par la parole en vrais témoins du Christ (CEC, n. 1303). Ce sacrement est comme un enrôlement dans la milice sacrée du Christ, y compris des femmes, car l’Église est tout le contraire de misogyne (saint Thomas, Somme de Théologie, IIIa, q 72, a 8, ad 3).

Dans la forme extraordinaire, les cérémonies comprennent :
- le chant du Veni Creator et l'invocation de l'Esprit Saint ;
- une imposition générale des mains sur l’ensemble des confirmands ;
- le sacrement lui-même par une onction de Saint Chrême sur le front pendant que le ministre dit : « N..., je te signe du signe de la croix, et je te confirme de chrême du salut, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen » (dans l’Église grecque, on oint le baptisé pour le confirmer sur le front, les yeux, les narines, la bouche, les oreilles, la poitrine, les mains et les pieds, un peu comme dans l’onction des malades traditionnelle) ;
- à la suite de quoi l’évêque touche la joue du confirmé, en signe de paix, et en disant, comme pour un baiser de paix : « Pax tecum ».

Le saint-chrême utilisé pour le sacrement est fait d’huile d’olive – qui représente la plénitude du Saint-Esprit conférant la force – mélangée de baume (symbolisant la bonne odeur de vertu du Christ).

La principale oraison de cette relativement brève cérémonie est celle qui accompagne l’imposition générale des mains sur ceux qui vont être confirmés : « Dieu éternel et tout puissant, qui avez daigné faire renaître par l’eau et par le Saint-Esprit vos serviteurs ici présents, et qui leur avez accordé le pardon de tous leurs péchés, envoyez en eux du haut du ciel votre Esprit-Saint, notre Conseiller, avec ses sept dons. R : Amen. L’Esprit de sagesse et d’intelligence. R : Amen. L’Esprit de conseil et de force. R : Amen. L’Esprit de science et de piété. R : Amen. Remplissez-les de l’Esprit de votre crainte et, dans votre bonté, marquez-les du signe de la Croix du Christ pour la vie éternelle. Par notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils, qui vit et règne avec vous dans l’unité du même Esprit-Saint, Dieu, dans tous les siècles des siècles. R : Amen ».
II – LA PULVÉRISATION DU RITUEL DANS LA FORME ORDINAIRE
« On peut constater que le rituel est avant tout un cadre pour l’action liturgique. Il n’est pas un carcan. La variété des formules proposées pour les différents moments de la célébration de la confirmation montre que le rituel ne s’oppose pas à une créativité et qu’il laisse une certaine liberté. » Ces lignes, qui figurent en bonne place sur le site du service national de pastorale liturgique et sacramentelle, annoncent la couleur : le plus frappant dans la confirmation nouvelle est le nombre d’options dont disposent ceux qui organisent la cérémonie, chacune étant au reste objet de libre interprétation puisque le rituel conclut quasiment toutes ses propositions par « par exemple »...

Ainsi, le rituel permet :
- deux formes au choix d’accueil, selon que c’est l’évêque qui salue l’assemblée ou que c’est l’animateur qui intervient le premier, l’évêque lui répondant ;
- la préparation pénitentielle a elle aussi deux formes, chacune d’entre elles étant modulable à volonté (« évocation de faits de vie significatifs de nos résistances à l’action de l’Esprit Saint, avec une invocation, par exemple... ») ;
- la prière d’ouverture a trois formes possibles, la première offrant elle-même six options, la deuxième étant dialoguée, la troisième litanique ;
- la réponse à l’appel des confirmands peut se faire de diverses manières : se lever, s’exprimer, faire un pas en avant. L’énumération n’est pas limitative ;
- la profession de foi s’exprime alors selon six formes possibles, chacune d’elles présentant des sous-possibilités et des libres choix (« Pour introduire la profession de foi, l’évêque peut ... ou bien ... l'évêque peut également ... »). Si on choisit la dernière forme, ce sont les confirmands eux-mêmes qui élaborent le texte liturgique : « L’évêque invite les confirmands à exprimer leur foi en se servant de textes courts soigneusement mis au point par eux lors de la catéchèse préparatoire » ;
- des monitions libres vont s’intercaler : « Il est généralement souhaitable qu’une brève catéchèse accompagne les rites du sacrement. Elle peut être faite, soit par le commentateur pendant le déroulement des rites, soit par l’évêque avant l’ensemble ou chacun d’eux. » ;
- l’imposition générale des mains n’a que deux formes possibles, mais elles sont précédées d’invitations à la prière, pour lesquelles diverses options sont présentées ou que l’on peut composer librement ;
- la chrismation, c’est-à-dire l’onction du front avec le saint-chrême, ne comporte heureusement aucune option possible (2). Mais les paroles du sacrement ont été modifiées pour se rapprocher des paroles du rite byzantin (Constitution apostolique Divinæ consortium naturæ, de Paul VI, du 15 août 1971). La forme grecque est en effet : « Le sceau du Don du Saint Esprit », Signaculum Doni Spiritus Sancti. Elle est implicitement déprécative, selon la manière qu’affectionnent les Orientaux (« Sois baptisé au nom du Père... », au lieu de : « Je te baptise... »). La nouvelle formule réglée par Paul VI interprète ainsi la forme byzantine du sacrement : N., accipe signaculum Doni Spiritus Sancti, « N. reçois le sceau du Don de l’Esprit Saint ». Curieusement, elle est traduite en français de manière extrêmement large, approximative, pour ne pas dire désinvolte (avec approbation de la Congrégation du Culte divin) : « N., sois marqué de l’Esprit Saint, le Don de Dieu » ;
- il n’est pas besoin de souligner que le signe de paix (l’évêque touchant la joue du confirmé) peut être remplacé par un autre « geste d’amitié » ;
- la cérémonie s’achève, après la chrismation ou après la messe qui la suit, par une liturgie d’action de grâce et d’intercession, pour laquelle six formes au choix sont proposées, chacune comportant des variantes, lesquelles sont purement indicatives ;
- vient enfin la bénédiction de l’évêque, qu’il fait précéder d’invocations litaniques pouvant revêtir plusieurs modalités.

Il est clair qu’il est désormais devenu impossible de parler de « rite » de la confirmation. De fait, on est devant une véritable liturgie en kit, un ensemble adaptable à l’infini. Non seulement les réformateurs de ce sacrement ont voulu lui composer un habillage tout neuf mais, en outre, ils ont délégué un véritable pouvoir de création liturgique à ceux qui en organisent ou en assurent la célébration. La forme ordinaire est ici particulièrement informe.
III – LA BANALISATION DE LA CÉRÉMONIE
Elle est plus frappante encore que l’éclatement du rituel. Les indications données en rouge dans le nouveau livre de célébration – l’équivalent des anciennes rubriques qui décrivaient précisément les gestes rituels – tirent la cérémonie vers un mode banal de festivité contemporaine chaleureuse et conviviale :
- « L’évêque dit sa joie de rencontrer dans cette église toutes les personnes présentes, et de présider cette assemblée. Il se présente lui-même, et dit très brièvement ce que son ministère a de spécifique pour la confirmation. Il peut situer en quelques mots ce qu’il a appris de la préparation des uns et des autres au sacrement » ;
- « L’évêque fait un geste de paix (mentionner le geste accompli). Il invite en même temps le confirmé à continuer sa route dans la confiance et dans la joie puisque l’Esprit Saint est avec luiá» ;
- « Il arrive que les confirmands se présentent par équipe, chaque équipe étant accompagnée de la personne qui remplit pour l’équipe la fonction de parrain ou de marraine [cela signifie-t-il que ce curieux parrain d’équipe est en fait le parrain de chacun des confirmands de ladite équipe ?, ndlr] ».
Les formules de prières semblent vouloir s’adapter à la fête enfantine : « Voilà pourquoi, à vous les plus jeunes comme à vous qui les accompagnez, je souhaite au début de notre fête : la paix soit avec vous » ; « Dieu notre Père fait pour nous tant de merveilles ! Nous pouvons compter sur lui » ; « Notre simple présence doit déjà te réjouir. Mais nous voulons te dire que nous aussi nous sommes heureux » ; « Jésus veut être votre ami. Et vous, voulez-vous vivre comme des amis de Jésus ? R : Oui. Même quand c’est difficile et que vous avez envie de dire non à sa Parole ? R : Oui ».

On pense au terme de ce rapide examen d’un rituel désespérément plat, systématiquement banalisé, aux pages assassines que le Père Louis Bouyer réserve à la réforme liturgique à laquelle il a participé comme membre du Consilium pour la réforme des livres liturgique, dans lesquelles il énumère les « invraisemblables faiblesses », qui ont produit un « avorton » dont il ne fallait pas s’étonner qu’il ait suscité « la risée ou l’indignation » (3). Le nouveau rituel de la confirmation, comme toutes les parties de la nouvelle liturgie, mais ici de manière particulièrement évidente, est un cérémonial fabriqué, fabricable, et perpétuellement refabricable. Oui, de la merveilleuse liturgie latine, disant la foi cultuelle de Rome dans la langue de saint Damase, saint Léon, saint Grégoire, on a vraiment fait un «avorton».

L'on comprend aussi pourqui tant de familles catholiques - traditionnelles ou non - sont très attachées à ce que leurs enfants puissent recevoir le sacrement de confirmation dans sa forme traditionnelle !
ADDENDUM
Il y a quelques mois, Mgr Minnerath, évêque de Dijon, a publié de très intéressantes orientations pastorales sur le sacrement de confirmation (à lire ici). Constatant que moins de 5% des baptisés sont confirmés, il propose d'abaisser l'âge auquel est aujourd'hui proposé ce sacrement (à la fin de l'adolescence, 16/17 ans) pour le ramener à celui de l'entrée au collège. La confirmation est en effet aujourd'hui erronément comprise comme le choix personnel du jeune adulte de « ratifier » sa foi alors que Mgr Minnerath rappelle fort justement qu'elle est indissociable de l'autre sacrement de l'initiation chrétienne qu'est le baptême.
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(1) Selon le décompte minutieux que tient le site Acción Liturgica. 

(2) Signalons toutefois que le Rituel français de confirmation comporte une précision étonnante qui pourrait peut-être conduire à faire conférer invalidement le sacrement : « Le geste de la chrismation ne comporte plus l’imposition concomitante de la main sur la tête du confirmand » (La célébration de la confirmation. Nouveau rituel, Chalet-Tardy, 1976, Annexe II, p. 68). Or, Paul VI avait au contraire précisé (Constitution apostolique Divinæ consortium naturæ, 15 août 1971) : « Le sacrement de confirmation est conféré par l’onction de saint-chrême sur le front, faite en imposant la main, et par ces paroles, etc. »

(3) Louis Bouyer, Mémoires, Cerf, 2014, pp. 197-201.