4 décembre 2014

[Flavien Blanchon - Rivarol] Le Front National séduit par Bergoglio

SOURCE - Flavien Blanchon - Rivarol - 4 décembre 2014

C’est le triomphe des conciliaires conservateurs. Durant des mois, ils avaient été réduits à faire profil bas : même leurs habituels procédés de citations sélectives, d’extraits tronqués et de contresens volontaires ne parvenaient plus à faire dire à Bergoglio autre chose que ce qu’il disait. Ils se rattrapent à présent : le discours de François au Parlement européen, si élevé, si spirituel ! son appel à retrouver les racines chrétiennes de l’Europe ! Ah le grand pontife que nous avons, champion de l’âme européenne contre le matérialisme ! On ne leur disputera pas leur petit bonheur. Ils l’ont mérité, après tant de couleuvres qu’ils ont avalées et qu’ils avaleront encore. Il est vain, de toute manière, de tenter de discuter avec ces gens-là : ils nient le soleil en plein midi, ils ont la mauvaise foi dans le sang. 

Ce qui était moins prévisible, c’est la faveur que les propos de Bergoglio sur l’immigration ont trouvée au Front National. Présente au Parlement européen pendant le discours de François, le 25 novembre, Marie-Christine Arnautu l’a relayé en une série de tweets enthousiastes, qui ont été abondamment repris : « Il faut agir sur les causes de l’immigration illégale et pas seulement les effets » ; « la conscience de sa propre identité est indispensable dans les relations que nous entretenons avec les pays voisins ». Louis Aliot s’en est fait l’écho : « Les invités de “C dans l’air” n’ont pas écouté les propos du pape sur l’immigration. “S’occuper des causes”, “défendre l’identité européenne” ». Confronté à un invraisemblable tribunal inquisitorial qui, au « Grand Journal » de Canal Plus – oui, de Canal Plus –, lui opposait « le Pape », Florian Philippot a répliqué : « Il n’a pas dit que ça ; il a dit : “mais la première des responsabilités, c’est d’agir sur les causes”. Ça c’est extrêmement responsable ». Marine Le Pen elle-même « a confié sur BFMTV que le discours de François avait “résonné très agréablement à (ses) oreilles”. Elle a salué l'attachement “marqué” aux “causes de l'immigration, ce qui est extrêmement juste” ». Bruno Gollnisch, enfin, a publié sur son blogue un véritable dithyrambe à François : « Le message, ferme sur le devoir d’accueil, est extrêmement équilibré ».

Je ne cherche pas à me faire plaisir en sautant sur une occasion de critiquer le FN. Après les militants LGBT, les convertis à l’Islam et les nostalgiques de Jules Ferry, il ne manquait plus au Front mariniste que les zélateurs de Bergoglio : ce style-là est trop facile, ne plaît, s’il plaît, qu’aux purs et durs, et ne mène à rien. Il s’agit de démasquer une duperie qui peut être mortelle.
FRANÇOIS LE RUSÉ
Devant le Parlement européen, François, c’est indéniable, a été moins frénétique qu’à Lampedusa. Il a donné dans la chansonnette pour adolescentes en évoquant « le regard perdu des migrants qui sont venus ici en recherche d’un avenir meilleur ». Il a réclamé « accueil et d’aide » pour les barques de clandestins. Il a scandé : « On ne peut tolérer que la mer Méditerranée devienne un grand cimetière ! » Le mot était calculé pour que les journaux de gauche pussent en faire leur titre, et ils n’y ont pas manqué, à commencer par le très immigrationniste Guardian de Londres. Mais Bergoglio a aussi déclaré : « L’Europe sera en mesure de faire face aux problématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle ». Il a souhaité « des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ». Il a conclu : « Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets ». Formellement, ce sont les apparences d’un discours rationnel.

« Grosse déception, a tweeté le frontiste Nicolas Bay, pour tous les bien-pensants qui espéraient entendre une apologie du mondialisme et de l'immigration massive ! » Les mondialistes ne sont pas si naïfs. Beaucoup de braves gens, en revanche, après les précédentes sorties de Bergoglio, craignaient vraiment une telle apologie : ils ont été soulagés, agréablement surpris, rassurés. C’est qu’ils n’ont pas compris qui est François.

Bergoglio, aidé par la puissance complicité des media, cultive son image de bon curé simple et simplet. Mais, s’il n’est pas intelligent au sens universaire du terme, au sens où l’était Benoît XVI, c’est tout sauf un imbécile. Lorsqu’il oublie un instant la présence des caméras, sa trogne hilare prend une expression de méchanceté rusée qui n’est pas sans rappeler un peu, en plus lourd et plus brutal, le portrait d’Innocent X par Vélasquez. N’avons-nous pas affaire à un vieux jésuite qui avait su manœuvrer à travers tous les changements de régime en Argentine ? Après son élection, dans son tout premier entretien, aux jésuites de La Civiltà cattolica, il s’est vanté : « je suis un peu rusé (furbo en italien) ». Il est arrivé là où il est avec une mission bien précise : abattre tout ce qui, dans la religion conciliaire, est encore en forme d’Église et, subsidiairement, collaborer au désarmement moral des peuples d’Europe voués à être exterminés – à disparaître, en tant que peuples, de la face de la terre. Ce ne sont pas là des tâches pour enfant de chœur.

La popularité est essentielle à l’entreprise. Elle permet de faire pression sur les conservateurs à l’intérieur de l’institution, elle flatte et rendort les fidèles que la haine médiatique contre Benoît XVI avait heurtés. L’important, pour les desseins de Bergoglio et de ses maîtres, n’était pas que Bergoglio prononçât devant le Parlement européen un discours qui eût un sens précis, bon ou mauvais, c’était que Bergoglio y fût unanimement acclamé, qu’il y obtînt ce que Le Figaro a complaisamment décrit, dans sa langue, comme « une standing ovation ». Or, sans même parler de la forte minorité de députés classés comme « xénophobes », le Parlement européen compte un grand nombre de conservateurs et de libéraux qui se méfient de la rhétorique immigrationniste : ils savent qu’elle exaspère leurs électeurs. Même beaucoup de sociaux-démocrates affectent, en public, un discours « équilibré ». Alain Besançon, qu’on aurait peine à faire passer pour un extrémiste, écrivant dans Commentaire, qui n’est certes pas RIVAROL, avait souligné, voici quelques années, que la position de l’“épiscopat” français sur l’immigration n’était pas celle du Parti Socialiste mais celle de « la gauche de la gauche »[1]. L’homélie de François à Lampedusa, en termes politiques italiens, allemands ou français, a fortiori britanniques, était d’extrême gauche. Ce n’est pas avec un discours d’extrême gauche qu’on obtient « une standing ovation » au Parlement européen. Si Bergoglio avait débarqué en brandissant sa croix pastorale en bois de barque à clandestins et en vociférant : « Vergogna, vergogna ! Qu’as-tu fait de tes frères migrants et de tes sœurs migrantes ? », il aurait embarrassé beaucoup de monde.
DISCOURS TOUS PUBLICS
Que Bergoglio ait voulu plaire à son public, on en a la confirmation si l’on prend la peine de comparer son discours au Parlement européen avec son second discours de Strasbourg, devant les instances oligarchiques du Conseil de l’Europe, qui œuvrent depuis des lustres pour interdire aux États toute résistance au déferlement migratoire : c’est spécialement le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle Bergoglio a rendu hommage (à l’en croire, elle « constitue en quelque sorte la “conscience” de l’Europe pour le respect des droits humains »). S’il n’a pas cru, au Parlement européen, pouvoir se dispenser de mentionner « les enfants tués avant de naître », il a bien pris garde de ne pas en parler devant le Conseil de l’Europe, et pour cause. Le 1er novembre, plusieurs associations, dont le Centre européen pour le droit et la justice, avaient solennellement saisi le « commissaire aux droits de l’homme » du Conseil de l’Europe du cas des enfants qui survivent à un avortement tardif et qui sont routinièrement torturés et assassinés – les descriptions sont à peine soutenables. Ce commissaire avait répondu, le 19 novembre, que la question ne le concernait pas. En juillet dernier, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe avait déjà refusé, « faute de consensus », de déclarer si, oui ou non, ces nouveau-nés avaient des droits. Dans un pareil contexte, la moindre allusion à l’avortement aurait pu vexer certains : Bergoglio ne voulait vexer personne. Devant ce public d’immigrationnistes déclarés, il a préféré prôner « l’accueil des migrants, qui ont besoin d’abord et avant tout de l’essentiel pour vivre, mais principalement que leur dignité de personnes soit reconnue ». Pas un mot ici sur « les causes de l’immigration ».
UNE ALLOCUTION PREPAREE AVEC UN SOCIAL-DEMOCRATE
Relevant que, devant le Parlement européen, l’immigrationnisme s’était fait discret, Piero Ostellino, l’éditorialiste du Corriere della Sera, en a déduit que François « avait récité un texte qui n’était pas de lui mais avait été écrit par quelqu’un d’autre ». D’après le vaticaniste du Figaro, Jean-Marie Guénois, les deux discours strasbourgeois ont été « préparés directement – fait exceptionnel – avec le président social-démocrate du Parlement européen, Martin Schulz, venu spécialement à Rome il y a quinze jours ». S’agissant de l’immigration, le discours de Bergoglio présente de fait des ressemblances frappantes avec la tribune de Schulz, lors des dernières européennes, en sa qualité de « candidat de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates » à la présidence de la Commission : « Pour une politique d’immigration (enfin) européenne » (parue en français dans Libération du 18 mai). Grandiloquence à propos des naufrages (« chaque vie perdue en Méditerranée est une tache sur notre civilisation ») ; appel à une législation nouvelle (« une approche systématique, avec des règles claires et une perspective à long terme, aurait des avantages pour l’Europe, mais aussi pour les personnes qui aspirent à travailler, à étudier, à entreprendre sur notre continent ») ; insistance sur les causes (« nous devons lutter contre les causes de l’immigration et non contre les immigrés »)… tous les éléments de l’« équilibre » que le FN célèbre dans le discours de Bergoglio étaient déjà dans la tribune de Schulz. On pourrait multiplier les parallèles : le discours comme la tribune évoquent l’Europe vieillissante, tous deux invoquent « la dignité humaine »... La tribune dénonçait nommément « populistes, racistes et xénophobes ». Le discours, prononcé en leur présence, s’est contenté de mettre en garde contre « les extrémismes », sans plus de précision. Tout le monde a compris : « allusion implicite », a noté la très sérieuse Neue Zürcher Zeitung, « aux forces d’extrême droite et de droite populiste qui, lors des élections européennes de mai, ont gagné de nombreux sièges ». La tribune de Schulz, qui fit sa scolarité dans l’enseignement catholique juste après Vatican II, citait du reste explicitement Bergoglio, et sa poéticaillerie larmoyante (« pour une Europe qui donne des réponses à ceux qui se lancent dans le voyage de l’espoir et, trop souvent, voient leurs espoirs périr dans les flots ») avait des accents typiquement cléricalo-conciliaires. 
L’IDENTITÉ EUROPÉENNE SELON BERGOGLIO
De Lampedusa à Strasbourg, Bergoglio est passé de l’extrême gauche à la social-démocratie ou, si l’on préfère, de Mare nostrum à la nouvelle opération Triton (à laquelle il a implicitement donné sa bénédiction). Le changement n’est que de style. L’Europe reste sommée d’accueillir encore et toujours plus d’immigrés – tous ceux qui sont « en recherche d’un avenir meilleur ». L’appel à résoudre « les conflits internes » des pays d’origine, qui causent l’immigration, est pure hypocrisie. Si le régime de Kadhafi, juste avant qu’il ne fût renversé, put servir un peu de rempart contre l’immigration clandestine, c’était grâce aux accords italo-libyens et aux refoulements en mer prévus par ceux-ci. On sait avec quelle virulence ces accords furent dénoncés par tout le parti immigrationniste italien et européen, hiérarques conciliaires en tête, et comment ils valurent au gouvernement italien d’être condamné par cette Cour européenne des droits de l’homme si chère à Bergoglio. 

La mention insistante de l’identité ne doit pas nous tromper. En France, il est vrai, le mot est devenu un moyen détourné de se déclarer hostile à l’immigration sans se retrouver immédiatement devant les tribunaux. Certains, comme Ivan Rioufol sur son blogue du Figaro, ou mes amis de la rédaction de Novopress, ont donc cru voir une contradiction dans le discours de François : comment peut-on prôner à la fois l’accueil des clandestins et l’affirmation de l’identité européenne ? Mais ce n’est évidemment pas dans ce sens que Bergoglio parle d’identité. Il n’est que de reprendre son discours au Conseil de l’Europe : il faut, y lit-on, « sortir des structures qui “contiennent” sa propre identité afin de la rendre plus forte et plus féconde dans la confrontation fraternelle de la transversalité ». Et encore : « conjuguer avec sagesse l’identité européenne formée à travers les siècles avec les instances provenant des autres peuples qui se manifestent à présent sur le continent ». Le jargon est épais mais il n’est pas difficile à traduire : l’identité de l’Europe, aujourd’hui, c’est le métissage. Renaud Camus, avec sa sensibilité d’écrivain, a parfaitement saisi le renversement sémantique opéré par François : « comme si, a-t-il noté sur Boulevard Voltaire, l’identité de l’Europe, c’était l’auto-effacement, le consentement à la submersion, l’amour du Grand Remplacement ».

Certains s’y laissent tromper de bonne foi. D’autres entendent ce qu’ils ont envie d’entendre. D’autres encore, en même temps qu’ils nient la réalité du génocide européen en cours, croient habile de se dire en plein accord avec Bergoglio. Le résultat, en tout cas, est d’accréditer toujours davantage la thèse, promue avec acharnement par les media, selon laquelle le clergé conciliaire et singulièrement « Pape François » constitueraient, sur les questions d’immigration, la suprême autorité morale. Comme on aurait voulu que Philippot, face aux inquisiteurs de Canal Plus, eût eu le courage de répondre que Bergoglio, en attirant des masses de malheureux par ses gesticulations médiatiques puis par la criminelle opération Mare nostrum dont il fut l’inspirateur, portait dans les noyades en Méditerranée une terrible responsabilité ! 

« Dans la crise politique qui se prépare peut-être », concluait Alain Besançon dans Commentaire, « nous savons maintenant dans quel camp se rangera l’Église catholique française (NDLR : en fait l’église conciliaire). C’est utile à savoir ». S’il ne s’agissait que de crise politique ! Dans la guerre ethnique qui a commencé, les grands-prêtres conciliaires et leur Bergoglio sont dans le camp des assassins de l’Europe. Il est vital de ne jamais l’oublier.

Flavien BLANCHON
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RIVAROL du jeudi 4 décembre 2014, page 3.

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[1] Commentaire, n° 114, été 2006, p. 345-348.