5 juillet 2014

[Père Basile Valuet, moine du Barroux - La Nef] Les malentendus d'Écône sur la liberté religieuse

SOURCE - Père Basile Valuet, moine de l'abbaye Sainte-Madeleine du Barroux - La Nef - 5 juillet 2014

Introduction
En 2013, le Bulletin de littérature ecclésiastique, organe de l’Institut catholique de Toulouse, à l’occasion d’un numéro commémorant le 50e anniversaire du concile Vatican II, nous a demandé un article d’un maximum de 15 pages sur le thème Dignitatis Humanae (= DH) contraire à la Tradition ?1

Monsieur l’abbé Jean-Michel Gleize (= JMG) vient de faire paraître dans une des revues de la FSPX, le Courrier de Rome, un article intitulé Dignitatis humanae est contraire à la Tradition2, et destiné à réfuter BV. JMG est professeur au séminaire d’Ecône de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (= FSPX), auteur d’une bonne traduction du célèbre traité de J.-B. Franzelin, s.j., sur la Tradition3, et ancien membre du comité mixte de dialogue institué de 2009 à 2011 entre la FSPX et la commission pontificale « Ecclesia Dei ». Il est à notre connaissance le premier auteur de la FSPX à avoir admis publiquement que le magistère même simplement authentique était obligatoire, et que l’expression « magistère vivant » avait en soi un sens légitime4. L’abbé est l’auteur de nombreux articles, notamment dans le Courrier de Rome5.

Toutefois, on peut, sans vouloir l’offenser, le considérer comme n’ayant pas autant que nous étudié la question de la liberté religieuse (= LR)6. Remercions-le d’abord d’avoir pris la peine de nous lire et de faire connaître notre article (BV). Notons néanmoins, au point de vue méthodologique, qu’il ne cite quasi jamais littéralement le texte de BV, ou au contraire met des guillemets ou prétend se référer à BV pour des textes n’existant pas chez ce dernier. D’autre part, JMG ne présente pas le P. Basile à son lecteur, ce qui laisse croire à son lecteur que sur la LR le P. Basile est simplement l’auteur d’un article de 13 pages7. JMG ignore-t-il que nous avons écrit un livre de plus de 2500 pages sur la question, ou bien fait-il mine de ne pas le savoir ? Il s’exprime donc comme si le P. Basile n’avait pas démontré au long dans ses livres ce qu’il résumait dans son article de 2013, et comme s’il n’avait donc pas déjà répondu aux arguments de la FSPX. Ces « arguments présentés à Rome par Mgr Lefebvre » consistent en des « Dubia sur la liberté religieuse », déposés en novembre 1985 sous le nom de Mgr Lefebvre à la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Les « Dubia », rendus publics par la FSPX au printemps 1987, rédigés en fait par celui qui allait devenir Mgr Tissier de Mallerais, ont été réédités par ce dernier8. JMG ne peut laisser entendre que nous ne connaîrions pas bien ces arguments (développés aussi dans d’autres textes de Mgr Lefebvre et de ses disciples). Au contraire, nous les avions soigneusement lus et analysés9. Ces « Dubia » avaient fait l’objet d’une réponse de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi (= SCDF)10. D’ailleurs, JMG semble ignorer que, le 26 juin 1988, le P. Basile avait remis à l’abbé Franz Schmidberger, alors supérieur général de la FSPX, une analyse très détaillée des « Dubia », qu’il avait ensuite lu la réponse de la FSPX (à lui communiquée par Mgr Tissier de Mallerais) au texte susmentionné du consulteur de la SCDF, et qu’il avait composé une réponse à cette réponse.

Quoi qu’il en soit, l’article de JMG est divisé en 4 sections. La 1ère « L’analyse du père Basile » se veut un résumé de BV. La 2e « Première appréciation critique : les vraies objections » désire présenter à nouveau les « vraies objections » de la FSPX contre DH. La 3e « Deuxième appréciation critique : les présupposés de DH », étudie les but, fondement et contexte de la LR selon DH. La 4e est une conclusion sur la valeur doctrinale de DH. Dans la présente synthèse, destinée à répondre à cette tentative de réfutation, il ne sera pas possible de suivre pas-à-pas l’article de JMG11.

On regroupera ici les questions autour de cinq thèmes, correspondant d’ailleurs respectivement à des paragraphes essentiels de DH : le 1er sur les questions de continuité doctrinale dans le magistère de l’Église (cf. DH 1, § 3) ; le 2e sur la définition du droit à la LR comme négatif (cf. DH 2, § 1) ; le 3e sur le fondement du droit à la LR (cf. DH 2, § 2) ; le 4e sur le but de ce droit (cf. DH 2, § 2 et DH 3) ; et enfin le 5e sur les limites d’exercice du droit (cf. DH 7, § 3).
I) Le magistère antérieur et postérieur à DH
JMG ne s’appuie-t-il pas sur une interprétation incorrecte de divers textes de Pie IX, Léon XIII, Pie XI et Pie XII, puis de Jean-Paul II et Benoît XVI ?

A) Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864

JMG (p. 2, , col. 3, n° 11) oppose bien sûr à DH le fameux texte de Quanta cura (= QC), de Pie IX qui condamne une conséquence du naturalisme social :

« Et, contrairement à la doctrine de l’Écriture, de l’Église et des Saints Pères, ils ne craignent pas d’affirmer que “la meilleure condition de la société (“op ti­mam es se conditionem societatis,)12 est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir civil le devoir de réprimer par la sanction des peines (in qua Im pe rio non agnoscitur officium co er cen di sancitis poe nis) les violateurs de la reli gion catholique (violatores ca tho licæ religionis), si ce n’est lorsque la paix publique le demande (nisi qua tenus pax publica postulet)”13. »

Voici le commentaire de JMG (n° 11) :

« Quanta cura limite seulement, par la tolérance, la répression de l’erreur, qui ne peut jamais jouir d’aucune liberté ici JMG se réfère à Léon XIII, ..., tandis que DH limite la liberté même, accordée par principe à l’erreur. … l’exercice public d’une religion fausse est en tant que tel (même limité par les exigences de la paix publique de l’ordre temporel) une violation de la religion catholique. … Pie IX condamne donc le droit à la non-répression en matière de religion, même limité par les exigences de l’ordre public de la société civile14».

Réponse : JMG ne commet-il pas ici plusieurs méprises ?

a) La citation de QC ne parle pas de tolérance, ni d’erreur. A fortiori QC ne dit pas positivement quel est le critère de limitation de la propagation de l’erreur.

b) QC traite non de « violations », mais de « violateurs », et les « violatores », en latin, sont des personnes qui font violence (en l’occurrence, à la religion catholique), violence soit verbale, soit physique, c’est-à-dire qui ne respectent pas les droits de l’Église et des catholiques. D’où deux conséquences : 1° c’est une erreur de penser que les « violatores » en question sont per se ceux qui ne respectent pas intégralement les lois de Dieu et de l’Église, et en particulier, tous les non-catholiques, tous ceux qui vivent dans l’erreur ou la propagent ; 2° DH aussi permettrait la répression des « violateurs » en question, puisque le respect des droits de tous est un des critères de limitation énoncé par DH 7, § 3.

c) En fait, Pie IX enseigne ici implicitement la proposition « l’État a le devoir de ré primer les violateurs de la religion catholique même lorsqu’ils ne troublent pas la paix pu bli que » ; DH enseigne implicitement la proposition : « l’État n’a le devoir de réprimer les vio la teurs de la religion catholique que lorsqu’ils violent l’ordre public juste objectif, lequel ne comprend pas seulement la paix publique (pas même la seule vraie paix publique), mais encore la moralité publique et le respect des droits de tous ». Ces deux propositions n’impliquent et ne peuvent impliquer entre elles aucune contradiction.

d) QC, de façon uniquement négative, condamne celui qui prétend que le seul critère à considérer est la paix publique. Or JMG laisse entendre (à plusieurs reprises) que la « paix publique » mentionnée ici par Quanta cura est la même chose que l’« ordre public juste » fixé par DH 7, § 3, comme limite à la LR. Là où QC dit « pax publica », JMG finit même par écrire « ordre public », voulant de toute évidence identifier la « pax publica » de QC, au « justus ordo publicus » de DH, ce qui n’est pas légitime. Les « Dubia » sur la liberté religieuse de l’abbé Bernard Tissier de Mallerais avouaient plus candidement (p. 120), en novembre 1985 :

« Sans doute, la “paix publique” est loin de recouvrir tout le contenu des “justes limites” indiquées par Vatican II. Comme nous l’avons dit (XVIII, 3, b), les justes limites préconisées par DH sont celles de l’ordre public, qui englobe dans son ampliation non seulement le maintien de la paix publique, mais aussi la sauvegarde des droits de chacun et la protection de la morale publique qui doit respecter un “ordre moral objectif” ».

C’était, logiquement, reconnaître l’absence de contradiction entre QC et DH sur ce point15.

e) Enfin, la « paix publique » dont il est question dans QC est celle du positivisme juridique de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, à savoir le respect de la seule loi positive, expression de la « volonté générale », et non la « paix publique » telle que définie par DH 7, § 3.

B) Léon XIII, Immortale Dei et Libertas praestantissimum

JMG comprend de manière inexacte deux textes de Léon XIII.

— JMG croit que lorsque Léon XIII affirme (Immortale Dei) que l’État ne doit rien faire qui fasse obstacle à la vraie religion, il est en train d’affirmer que l’État ne doit rien laisser faire qui fasse obstacle à la vraie religion. Si c’était vrai, l’État n’aurait jamais pu légitimement tolérer en public l’exercice d’autres religions, ce que nul n’a jamais affirmé.

— JMG fournit une interprétation impossible du texte de Libertas sur la vraie liberté de la conscience. Voici d’abord le texte en question, puis l’interprétation de JMG, et enfin notre réponse.

Libertas praestantissimum a parlé de l’existence d’un vrai droit à la liberté de la conscience :

« … on peut l’entendre aussi en ce sens qu’à l’homme (homini), il soit permis dans la cité (in civitate liceat), de suivre la volonté de Dieu et d’accomplir ses com mandements (Dei voluntatem se qui et iussa facere), en fonction de la conscience de son devoir (ex conscientia officii), sans que rien puisse l’en empêcher (nulla re im pe diente) 16. »

JMG (p. 4, col. 3, n° 20) estime que Léon XIII

« dit exactement que l’homme a le droit de suivre la volonté de Dieu, à condition que sa conscience la lui manifeste ».

Réponse : « ex conscientia » ne peut pas signifier « à condition que sa conscience… ». Le sens est : « en fonction de la conscience ». En outre, le problème que soulève JMG est à côté de la question. En effet, s’il est clair qu’on ne peut avoir le droit affirmatif que d’accomplir la vraie volonté de Dieu (et non ce que la conscience erronée prendrait pour tel), il s’agit néanmoins de savoir ce qui se passe lorsque l’homme abuse de ce droit affirmatif en suivant une conscience erronée : garde-t-il l’usage de ce droit, en sorte qu’un droit négatif le protège ? Léon XIII ne répond pas à cette question, et il faudra attendre un siècle de réflexion des théologiens et juristes catholiques, ainsi que du magistère, pour arriver à la réponse magistérielle complète. En attendant, pour le savoir, il fallait donc se référer à la philosophie générale du droit traditionnelle en milieu catholique (et d’ailleurs appliquée par Léon XIII, Rerum novarum17, et Pie XI, Quadragesimo anno18, au cas de la propriété, et par Pie XI, Divini illius Magistri, au droit parental19). Cette philosophie traditionnelle, à la suite de l’axioma juris médiéval, nous enseigne que l’abus d’un droit n’en enlève pas nécessairement l’usage. Il faudra donc que l’Église précise encore quand un abus de ce droit à la vraie liberté de la conscience reconnu par Léon XIII est non seulement moral, mais aussi juridique, et peut – voire doit – donc être réprimé, et quand cet abus moral n’est pas juridique et ne peut donc pas être réprimé. C’est ce qu’elle fera en DH 7, § 3.

C) Pie XI, Mit brennender Sorge (1937)20

D’après JMG, l’Encyclique anti-nazie ne traite pas d’un droit naturel en matière religieuse, mais seulement du droit des catholiques (ou seulement du droit naturel des catholiques ?). Or, le contexte de Mit brennender Sorge, tant historique que littéraire, était aussi la protection des juifs et des confessions chrétiennes non catholiques. Que ce fût le contexte historique, JMG ne pourra le nier. Que ce soit aussi le contexte littéraire, la lecture attentive du début de l’encyclique, antérieurement au passage cité par BV et JMG, permet de le voir :

1° Le pape prend la défense de la foi théiste en l’existence d’un Dieu personnel, infiniment distinct du monde, sans encore distinguer la foi catholique :

« Prenez garde, Vénérables Frères, qu’avant toute autre chose la foi en Dieu (Gottesglaube), premier et irremplaçable fondement de toute religion (jeder Religion), soit conservée en Allemagne, pure et sans falsification. Ne croit pas en Dieu celui qui se contente de faire usage du mot Dieu dans ses discours, mais celui-là seulement qui à ce mot sacré unit le vrai et digne concept de la Divinité. Quiconque identifie, dans une confusion panthéistique, Dieu et l’univers, abaissant Dieu aux dimensions du monde ou élevant le monde à celles de Dieu, n’est pas de ceux qui croient en Dieu (Gottglaübigen). Quiconque, suivant une prétendue conception des anciens Germains d’avant le Christ, met le sombre et impersonnel Destin à la place du Dieu personnel, nie par le fait la Sagesse et la Providence de Dieu … : celui-là ne peut pas prétendre à être mis au nombre de ceux qui croient en Dieu (Gottglaübigen). »

Il ne s’agit même pas spécifiquement de la foi chrétienne, mais de façon plus générique de la foi théiste en un Dieu personnel, distinct du monde. Dans Divini Redemptoris, seulement 5 jours plus tard que Mit brennender Sorge, Pie XI usera pour les « croyants » en général de l’expression « qui Deum esse credunt », et appellera toutes ces personnes à s’unir contre le communisme athée. Et dans ce dernier texte, Pie XI distinguera explicitement21 les chrétiens et un groupe qui les contient, « ceux qui croient en Dieu », et qui sont la majorité de l’humanité22.

Revenons à Mit brennender Sorge : un peu plus loin, Pie XI y distingue aussi la « foi en Dieu » et la « foi au Christ », puisqu’il dit que la deuxième est nécessaire au maintien solide de la première23.

2° Ensuite Pie XI insiste lourdement sur l’Ancien Testament, ce qui à l’époque, en Allemagne, faisait évidemment penser aux Juifs, et non seulement aux chrétiens.

3° Mais venons-en au passage que cite BV : JMG prétend que celui-ci ne traite que de la foi catholique. Or (dans LRTC et LRTE) nous avons minutieusement démontré le contraire. Cette démonstration ne pouvait évidemment pas figurer en entier dans un article ne devant pas dépasser 15 pages de petit format ; mais cet article fournissait suffisamment de données d’après l’original allemand pour qu’il n’y ait pas de doute. Ici, nous nous permettons de recopier en abrégé l’analyse parue dans LRTE 2011. Pie XI, dans les passages suivants, a proclamé des droits naturels inaliénables face à l’État.

« Des lois humaines qui sont en contra diction insoluble avec le droit naturel sont marquées d’un vi ce originel qu’aucune contrainte, aucun déploiement extérieur de puissance ne peut guérir24 » ; « l’homme, en tant que personne (der Mensch als Persönlichkeit) … » possède des « droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors de toute atteinte25 ».

Dans ce contexte de droit naturel de la per sonne, il passe ensuite en particulier au « droit à professer sa croyance » :

« A 1 L’homme croyant (Der gläubige Mensch) 2 a un droit inaliénable (ein unverlierbares Recht) 3 à aprofesser (be kennen) sa croyance (seinen Glauben) et b à la pratiquer (betätigen) dans les formes correspon dantes. B Des lois qui 1 a oppriment (unterdrücken) ou b rendent difficiles (erschweren) 2 a la profession (das Bekenntnis) et b la pratique (die Betätigung) de cette croyance (dieses Glaubens) 3 sont en contradiction (Widerspruch) avec une loi naturelle (Natur ge etz) 26. »

Les deux phrases A et B sont parallèles. L’une A énonce l’existence et l’objet du droit fondamental ; l’autre B en tire la conséquence qu’une loi qui en empêche l’exercice contredit le droit naturel.

A 1 Le contexte antérieur et le texte prouvent que le sujet actif du droit est l’hom me croyant („Der gläubige Mensch“), et non spécifiquement le chrétien (der Christ), ni le catholique (der Katholik), ni même le fidèle (der Gläubige). — Quant au contexte, Pie XI vient d’employer les expressions „Mensch als Persön lich keit“, „Natur des Menschen“, „Menschennatur“ et d’évoquer la fin dernière „des Menschen“. Il s’agit bien d’un droit naturel de l’homme. — Quant au tex te, certes, le substantif Glaübige(r) tout seul, signifierait le fidèle, le Christifidelis du droit canonique, bref : le catholique. Mais Pie XI a usé de Mensch (homo), pré cé dé de l’adjectif : gläubige (credens) 27. 2 Il s’agit d’un droit inaliénable. 3 L’objet du droit est double : a « professer » et b « pratiquer ». • Le droit ne s’ap plique pas seulement à la croyance intérieure ; il inclut la pratique extérieure. • Cette pratique à son tour a un contenu : « sa croyance ». En effet : a • Glauben : en allemand, le mot Glaube(n)(s) (et l’adjectif gläubige) désignent aussi bien la croyan ce en général que la foi théologale en particulier ; • seinen : Pie XI ne traite pas d’un droit de tout homme croyant à pratiquer la vraie foi (cela ne susciterait au cune discussion), mais d’un droit de tout croyant à pratiquer sa foi („seinen Glauben“). b Il s’agit de la pratique des formes correspondant à cette foi-là. B 1Le seul sujet passif de ce droit explicitement mentionné est la loi (sous-entendu : civile), et 2 dans le cas où elle a dénie ou b complique l’exercice (pro fes sion, pratique) de ce droit. 3 Dans ce cas elle contredit un droit naturel. Puis que Pie XI est dans le domaine du droit naturel, il traite d’un droit valable pour tous les hommes croyants, de par leur nature d’hommes et de par la nature de la croyance religieuse. « L’universalité de ces paroles n’échappe pas à quiconque con naît les circonstances d’alors, et donc le but de cette encyclique28. » Nous con statons ici un droit naturel à la liberté civile d’adhérer à sa croyance religieuse et de la pratiquer. (D’un éventuel abus de ce droit qui serait protégé ou non par le droit, Pie XI ne dit rien.) Il s’agit d’un développement doctrinal homogène par mode de pré cision, d’application du principe de Léon XIII (Libertas) à un cas particulier. On rétorque que de fait, Pie XI, dans le passage immédiatement subséquent, ne traite que des catholiques :

« Des parents sérieux, conscients de leur devoir d’éducateurs, ont un droit pri mordial (ur sprüng li ches Recht) à régler l’éducation des enfants que Dieu leur a donnés dans l’esprit de la vraie foi (des wahren Glau bens), en accord avec ses principes et ses prescriptions. Des lois ou d’autres me sures qui élimi nent dans les questions scolaires cette libre volonté des parents, fondée sur le droit na tu rel (naturrechtlich gegebenen Eltern willen in Schulfragen) ou qui la rendent inefficace par la me nace ou la contrainte, sont en contradiction avec le droit naturel (im Widerspruch zum Na tur recht) et sont foncièrement im­mo ra les29. »

En réalité, comme Pie XI ne peut absolument pas avoir l’intention de con tre di re ce que lui-même a enseigné aupa ravant de manière explicite en 1929 dans Divini illius Ma gistri30, il se contente de réaf firmer le droit naturel (on l’a sou ligné en gras) de tous les parents, y compris non bapti sés, à ne pas être em pê chés d’éduquer leurs enfants comme ils l’entendent, mais ensuite, il re descend à un cas particulier, celui des seuls parents catholiques, pour lesquels il invoque le simple droit naturel.

D) Pie XII : discours Ciriesce, aux juristes catholiques italiens (6 décembre 1953)

Pie XII est allé plus loin que la possibilité, la licéité, l’opportunité, voire la nécessité d’une tolérance ou « non-empêchement » en certaines circonstances du mal ou de l’erreur, déjà professées par Léon XIII31 ; il a affirmé quelque chose de plus : l’absence de droit d’empêcher le mal ou l’erreur dans de telles circonstances :

« Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il Dieu ne donne aux hommes aucun mandat, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné32 ? »

Or, dans les mêmes circonstances, si les hommes n’ont aucun droit d’empêcher33, alors, on commettrait une injustice envers celui qui est dans l’erreur, en l’empêchant de pratiquer son erreur. C’est donc que cet adepte de l’erreur, dans ces circonstances, serait couvert par un droit, tout comme les parents infidèles qui éduquent leurs enfants dans l’erreur religieuse34. Il ne reste plus à DH qu’à préciser quelles sont ces circonstances où il est injuste d’empêcher l’erreur religieuse. Ces circonstances sont celles où l’ordre public juste n’est pas enfreint, dit DH. Et voilà !

Le n° 29 de JMG est visiblement gêné par cette phrase de Pie XII avec « aucun droit », et il élabore alors de toutes pièces sa propre théorie interprétative, toute nouvelle :

« Pie XII aborde ici la question de la tolérance, en distinguant deux cas différents, afin de montrer que le devoir de répression du mal et de l’erreur ne peut être prudentiellement appliqué de manière systématique. Il traite tout d’abord le cas de chaque homme pris individuellement, puis celui de l’homme investi d’autorité. Et ce n’est que dans le premier cas qu’il avance la fameuse phrase où l’on voudrait voir un argument en faveur de la liberté religieuse : dans certaines circonstances, il n’y aurait aucun droit d’interdire le mal et l’erreur. Oui, mais aucun droit pour l’individu en tant que tel : il est évident que nul n’a aucun droit, ni aucun devoir, à titre individuel, pour réprimer la profession publique d’une fausse religion. On ne peut affirmer que cette phrase de Pie XII se rapporte au rôle de l’État par rappport à ses sujets ».

Réponse : Pie XII ne fait nullement porter son enseignement sur la distinction que propose JMG. D’abord comme chacun sait, le public de cette allocution est l’association des juristes italiens. Tout le monde est donc d’accord que le contexte n’est pas celui d’une leçon de morale individuelle. Par ailleurs, quant au fond, le contexte est celui de la construction d’une communauté de nations35. Le thème, en devenant plus précis au § IV, continue à être juridique et politique, concernant les juristes, les États, et la communauté des États36. La distinction sur quoi repose sans cesse le texte de Pie XII n’est pas entre la tolérance par l’individu et la tolérance par l’État, mais entre d’une part, la vérité objective, le bien objectif, et le mal et l’erreur, de l’autre : seul ce qui est objectivement vrai et bon peut être objet de droit, de commandement, d’autorisation positive. Ce qui est erroné et faux ne peut pas être sujet, objet ou finalité de droit, mais Dieu ne donne parfois à l’homme aucun droit de l’empêcher ou de le réprimer. On savait déjà cela par la philosophie du droit concernant l’abus d’un droit. Le magistère vient ainsi le confirmer. Quand un individu abuse d’un droit qu’il a en agissant de manière erronée ou mauvaise tout en restant dans certaines circonstances, il reste protégé par le droit, au point que même l’autorité humaine n’a pas le droit de l’en empêcher37.

E) Jean‑Paul II et Benoît XVI

JMG, p. 3, n° 12 (suite) et 13, s’appuie alors sur un texte de chacun de ces deux papes, en croyant que leur magistère post-conciliaire « revendique la liberté religieuse comme un droit positif d’expression, c’est-à-dire comme le droit d’exercer pour elle-même la religion que l’on tient pour vraie et pas seulement le droit à l’absence de toute coercition de la part des pouvoirs civils ».

— Après avoir cité le fameux message du 1er septembre 1980 de Jean‑Paul II aux chefs d’État signataires de l’Acte final d’Helsinki38, JMG présume pouvoir conclure : « Est ici formulé, en termes explicites, le droit positif de diffuser l’erreur, et pas seulement le droit négatif de ne pas être empêché. »

Réponse : Le texte même que JMG vient de citer ne parle pas du « droit à recevoir et publier, etc. », mais de « la liberté de recevoir et de publier, etc. » ; toutes les autres phrases parlent toujours de la « liberté de » faire, agir, etc., jamais du « droit de faire, agir », etc. Or, comme on ne peut que le répéter inlassablement, si, au XIXe siècle, « la liberté de faire » signifiait « le droit de faire », ce n’est plus le cas au XXe siècle, où « la liberté de faire » signifie, dans tous les cas de « droits de liberté », et donc entre autres pour la liberté religieuse, un droit négatif, un droit à ne pas être contraint ni empêché, et non un droit affirmatif.

— Le texte de Benoît XVI cité par JMG (n° 15) parle de la liberté d’agir (non du droit d’agir), du « libre exercice » (non du droit d’exercer), de « pouvoir exercer librement », et non d’un droit affirmatif. Qu’il s’agisse seulement de revendiquer un droit négatif, cela est confirmé par le texte même de Benoît XVI cité là, avec une expression typique du droit négatif : « Elle la personne ne devrait pas rencontrer d’obstacles…39 ».

On ne voit donc absolument pas comment JMG peut conclure, au n° 15 : « Ces déclarations de Jean‑Paul II et de Benoît XVI admettent clairement un droit positif à diffuser ses convictions religieuses, même erronées ». À vrai dire, JMG ne se sent peut-être pas si sûr de lui-même qu’il voudrait en donner l’air, car il ajoute : « Il est donc clair que le droit revendiqué par Vatican II peut tout de même occasionner la profession publique de l’erreur ». Le mot « occasionner » est ici juste, car il s’agit d’une protection seulement per accidens de la diffusion de l’erreur, contrairement à tout ce que veut démontrer JMG. Notons au passage que la « tolérance publique de l’erreur », quand elle avait lieu selon le système canonique ancien, occasionnait elle aussi la « profession publique de l’erreur ». Ces considérations nous amènent à la question même de l’objet du droit à la LR.
II) L’objet du droit à la LR :l’immunité de coercition, et non le contenu de l’action religieuse
Dans la question de l’objet du droit à la LR, il faut opérer soigneusement deux séries de distinctions. A) La première tourne autour du type de droit : permission morale, droit affirmatif, droit négatif, etc. B) La deuxième concerne la différence entre le droit, son exercice, et son abus.

A) Le type de droit : permission morale, droit affirmatif, droit négatif, etc.

1) Nous commencerons par énoncer les cinq types de choses à considérer. 2) Nous examinerons ensuite les confusions commises à leur sujet par JMG.

1) Il faut distinguer 5 choses :

1° la permission morale d’agir, 2° le droit affirmatif d’agir dans la société (appelé au XIXe siècle « liberté civile »), 3° le simple fait de ne pas empêcher ; 4° le droit négatif à ne pas être empêché, mais concédé par une loi positive humaine ; 5° le droit naturel négatif à ne pas être empêché d’agir, concédé par le droit divin naturel (ces deux derniers appelés au XXe siècle : « liberté »).

Dans les cas 3, 4 et 5, ce non-empêchement (de fait, ou par la loi, ou en raison d’un droit naturel) était autrefois appelé en théologie « tolérance », si son objet était le mal, et « liberté » si son objet était le bien ; désormais dans un cas comme dans l’autre, cela s’appelle « liberté ». Voyons cela de plus près.

1° Tous les catholiques sont d’accord qu’il n’y a pas de permission morale d’agir mal, ou d’adhérer à l’erreur.

2° Les catholiques, contrairement aux libéraux depuis le XVIIIe, admettent qu’il ne peut pas non plus y avoir de droit affirmatif à agir mal, car, entre autres, cela supposerait une absurde permission morale d’agir mal. Or, comme le P. Basile l’a démontré, le mot « liberté » au XIXe siècle désigne toujours le droit affirmatif d’agir40. C’est pour cela qu’aucun pape de ce siècle-là n’a admis qu’un sujet puisse jouir de la liberté s’il propage une erreur.

3° Donc les papes du XIXe n’ont jamais admis l’usage du mot « liberté » lorsqu’il s’agissait du non-empêchement même de fait d’une action erronée, mauvaise, parce que, à cette époque, « liberté » désignait un droit affirmatif d’agir. Et lorsqu’il s’agissait du non-empêchement de fait, ils préféraient l’expression « tolérance de fait ».

4° Lorsque le non-empêchement d’une action erronée, mauvaise, procédait d’une loi, pour la même raison, ils refusaient à nouveau le mot de « liberté », et ne voulaient entendre parler que de « tolérance légale ».

En revanche, au XXe siècle, même en milieu ecclésial, le fait du non-empêchement commence à être appelé « liberté civile », « liberté externe », même pour l’erreur. Et dans les milieux juridiques, « liberté » désigne de plus en plus souvent le seul non-empêchement. Et de fait, lorsque l’erreur est tolérée, elle jouit d’une forme de « liberté » consistant précisément en un non-empêchement, ce que Pie XII, en 1953, appellera « ne pas empêcher ou tolérer … le libre exercice »41. On admet même qu’en présence d’une loi de tolérance, l’adepte de l’erreur jouisse d’un droit à ne pas être empêché d’agir ainsi42.

5° Alors, qu’en est-il d’une 5e réalité, celle à quoi s’affronte DH, à savoir non seulement le non-empêchement de fait, voire légal – c’est-à-dire par la loi civile ou ecclésiastique –, mais le droit naturel au non-empêchement ? Répondons par étapes.

Les papes du XIXe siècle tout en refusant une « liberté » de l’erreur ou du mal objectifs, c’est-à-dire un droit affirmatif à l’erreur, connaissaient et professaient par ailleurs un droit des parents infidèles à ne pas être empêchés d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions religieuses, pourtant fausses, un droit de propriété, même pour ceux qui usent mal de ce droit, un droit même pour les pécheurs – que tous les hommes sont – à ne pas être tués (tant qu’on est innocent de crime), etc. Par conséquent, tout en refusant la liberté comme droit affirmatif d’agir mal, ils ne la refusaient pas toujours comme droit négatif protégeant même un agir erroné, mauvais.

Or, au XXe siècle, le « droit à la liberté », et notamment dans DH, n’a plus le sens de droit affirmatif, mais seulement celui de droit négatif, comme l’a clairement expliqué la commission de rédaction de DH (que JMG ne cite jamais) 43:

« … le droit peut être pris en un double sens. Au premier sens, on entend par droit la fa cul té morale de faire quelque chose, une faculté par laquelle quelqu’un est muni intrinsèquement d’une autorité positive (empowerment, Ermächtigung, autorizza zione) pour agir. Dans la Décla ra tion, on ne prend pas le droit dans ce sens, afin que ne soient pas soulevés des points qui n’ont pas de rap port avec la question, comme par exemple la question spéculative des droits de la conscience erronée, qui se pose en dehors de l’état de la question juridique de la LR, telle qu’elle est traitée dans la Déclaration44. »

Tout cela étant précisé, il s’ensuit qu’il ne peut y avoir aucune contradiction entre les condamnations du XIXe siècle et l’enseignement de Vatican II.

2) Quelques confusions commises par JMG

Or, sur ce point, JMG semble bien commettre encore plusieurs confusions : a) d’une part sur les rapports entre droit affirmatif et droit négatif ; b) d’autre part sur les rapports entre droit affirmatif et permission morale.

a) JMG croit que la proclamation d’un droit négatif (droit à ne pas être empêché d’agir) implique la proclamation d’un droit affirmatif (droit à agir), alors que c’est seulement la réciproque qui est vraie45. Corrélativement, par méconnaissance des lois de la contraposition logique, il croit que la condamnation d’un droit affirmatif entraîne celle d’un droit négatif.

Ainsi, JMG (p. 2-3, n° 12) estime pouvoir affirmer : « Deuxièmement, le droit négatif à ne pas être empêché correspond dans les faits au droit positif à diffuser l’erreur ».

Réponse : Non. Pour marquer plus clairement en quoi dans les faits le droit affirmatif à diffuser l’erreur diffère du simple droit négatif, remarquons que le droit affirmatif à diffuser l’erreur supposerait l’obligation en justice de la part des autres individus d’aider l’adepte de l’erreur à diffuser son erreur, et bien entendu, de l’écouter diffuser son erreur, et même l’obligation d’adhérer à son erreur. Qui ne voit que c’est juridiquement et concrètement différent du fait de se contenter de ne pas empêcher par voie coercitive la diffusion de la religion, même de celle de l’adepte de l’erreur ?

Le droit à la LR n’est pas et n’implique pas une permission morale de l’erreur, ni un droit à l’erreur ni même un quelconque droit d’agir, et notamment pas un « droit d’agir selon sa conscience » (contrairement à ce que croit JMG) 46. Il faut relire ici le CEC, n° 2108 :

« Le droit à la liberté religieuse n’est ni la permission morale d’adhérer à l’erreur,47 ni un droit supposé à l’erreur,48 mais un droit naturel de la personne humaine à la liberté civile, c’est-à-dire à l’immunité de contrainte extérieure, dans de justes limites, en matière religieuse, de la part du pouvoir politique. … ».

b) Selon JMG, en affirmant que les papes du XIXe condamnaient un droit affirmatif d’agir, BV commet l’erreur de penser que les papes du XIXe condamnaient seulement la permission morale (individuelle, qui plus est) d’adhérer à l’erreur. Mais il n’en est rien. Et BV ne dit pas qu’au XIXe siècle la « liberté de conscience et des cultes » était « dans l’ordre moral ». Il a écrit : « “Liberté civile” désignait au xixe siècle un droit d’agir, lequel présuppose une permission morale d’agir. » Un droit affirmatif d’agir présuppose une permission morale, mais il est autre chose qu’une simple permission morale ; il est une réalité juridique, exercée face à des tiers, et exigeant d’eux quelque chose de positif : au moins une approbation, une aide…

B) Le droit, son exercice, et l’abus du droit

1) Dans un premier temps, nous reprenons cette question par le début, dans ses principes. 2) Ensuite, nous examinons les méprises de JMG.

1) Les principes

Le droit, au sens de faculté morale où il est pris dans les documents modernes, y compris DH, est une puissance enracinée dans un sujet. Son exercice a lieu, quand son sujet passe à l’acte de l’utiliser. Son abus, c’est de l’utiliser pour l’erreur et pour le mal. (nous examinerons les différents types d’abus dans notre partie sur les limites de l’abus du droit).

DH traite d’un droit naturel. S’il est naturel, alors il vaut pour tous les hommes. Ce droit naturel consiste en particulier à ne pas être empêché de diffuser la religion qu’on croit en conscience vraie. Puisque l’homme peut avoir une conscience erronée, et que l’abus n’ôte pas l’usage, cela implique certes, par accident, qu’il sera injuste d’empêcher la diffusion (dans certaines limites) d’une religion fausse. Pourtant, le droit à la LR n’est pas identique à un droit défini comme ayant pour objet de ne pas être empêché de diffuser l’erreur religieuse. Si quelqu’un diffuse l’erreur, il ne s’agit plus du droit à la liberté religieuse, ni de son usage correct, mais de l’abus de ce droit. Comme l’affirmait le rapporteur de la commission de rédaction de DH :

« Nulle part il n’est affirmé, ni il n’est permis d’affirmer (c’est évident) qu’il existe un droit à dif fu ser l’erreur49. Si donc des personnes diffusent l’erreur, cela n’est pas l’exercice du droit, mais l’abus de celui-ci. Cet abus peut et doit être empêché quand l’ordre public est gravement lésé, comme c’est affirmé plusieurs fois dans le texte et expliqué au n° 750. »

En d’autres termes, si la pratique religieuse est inspirée par une erreur, cela est accidentel à la notion de la vertu de religion et aussi au droit revendiqué. Et par conséquent si le droit à la LR protège celui qui pratique une erreur, en impliquant que l’adepte de l’erreur garde le droit à l’immunité, cela est accidentel à la définition de ce droit. L’adepte de l’erreur religieuse, qui, par ce fait même, abuse moralement de son droit à la liberté religieuse (quoi qu’il en soit de sa bonne foi, hors sujet), reste néanmoins protégé par le droit à la LR, tant que cet abus ne passe pas dans le domaine de l’abus juridique.

En effet, quand on définit un droit, on le définit par rapport à son exercice correct, en faisant abstraction d’un éventuel abus, tout en maintenant le principe plus général que ce n’est pas tout abus qui permettrait de restreindre ou réprimer un tel abus du droit. Cela était déjà bien connu dans la Tradition. Ainsi, par exemple,

— en définissant le droit parental, on fait abstraction (dans de justes limites) de la question de savoir si les parents enseigneront de fait l’erreur ou la vérité religieuse à leurs enfants, les feront baptiser, ou non, etc., comme l’ont enseigné entre autres saint Thomas, Cajetan et Pie XI ;

— quand on définit le droit à la vie, on fait abstraction (dans de justes limites) du fait que la personne humaine va pécher ou non ; ce n’est pas le fait de commettre n’importe quel péché qui suffit à faire perdre l’usage du droit à la vie ;

— quand on définit le droit de propriété, on fait abstraction (dans de justes limites) du fait que la personne humaine va user ou non – et user bien ou non – de son droit. Cf. Léon XIII, Rerum novarum, 19, repris par Pie XI, Quadragesimo anno : c’est le principe qui leur permet de condamner le socialisme !

Même les Dubia sur la liberté religieuse de Mgr Lefebvre affirmaient d’ailleurs (p. 87 de l’éd. publique de 1987) :

« 4. Par conséquent, si l’on veut définir une liberté religieuse qui fasse abstraction de la vérité, on doit se contenter de définir un droit subjectif à la liberté du culte de Dieu. C’est ce qu’ont fait les papes Pie XI et Pie XII en proclamant le “droit fondamental de l’homme au culte de Dieu” : cela suffisait contre les totalitarismes. Et nous disions plus haut (V, 3, a) que ce droit subjectif au culte de Dieu “in genere” inclut implicitement le droit objectif au vrai culte de Dieu : cela est pleinement satisfaisant pour un esprit catholique et acceptable par les non-catholiques ».

Ainsi donc, Mgr Lefebvre entrevoyait bien la solution : la proclamation d’un droit naturel « in genere », faisant abstraction de l’usage. Or, comme Pie XI et Pie XII, c’est précisément ce que fait DH. DH ne dit jamais que les non-catholiques ont objectivement un droit à pratiquer leur culte erroné : DH ne parle jamais des cultes erronés comme tels.

DH 2, § 2 affirme que le fait de ne pas adhérer à la vérité ou ne pas la chercher (voilà l’abus du droit) ne fait pas perdre le droit à l’immunité : en effet, l’abus ne fait pas perdre l’usage 51:

« C’est pourquoi le droit à cette immunité persévère même chez ceux qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ; et son exercice ne peut pas être em pêché pourvu que soit préservé l’ordre public juste. »

En effet, l’abus d’un droit n’en enlève pas toujours l’usage. Par conséquent, même celui qui adhère à la vérité contre sa conscience, ou qui adhère à l’erreur selon sa conscience, garde le droit à l’immunité de coercition. Le texte de DH n’est donc ni absurde, ni faux, ni immoral.

En DH 7, il est question de l’ensemble des abus du droit, non d’objet ni d’exercice correct du droit52. Quand l’usage sera erroné, ce sera un abus d’un droit subjectif authentique, mais – et c’est là que Mgr Lefebvre, alias Mgr Tissier de Mallerais, n’a pas vu assez loin la conséquence – le droit subjectif protège même l’abus qu’on en fait, dans certaines limites d’exercice (en l’occurrence définies pour la LR en DH 7, § 3). Il est vraiment dommage que les Dubia ne soient pas allés jusqu’au bout de la logique du principe posé par eux. Il leur a manqué de penser à l’axioma juris : usum non tollit abusus, l’abus n’ôte pas l’usage.

Ainsi, d’un côté l’homme a un véritable droit affirmatif à accomplir la vraie volonté de Dieu en fonction de sa conscience vraie (et non, certes, un droit affirmatif à accomplir ce qu’il croit à tort être la volonté de Dieu), mais s’il est dans l’erreur en suivant sa conscience, ce droit le protège malgré tout, car l’abus n’ôte pas nécessairement l’usage. Tant que son abus reste seulement moral, l’homme reste dans les circonstances où Dieu « ne donne à l’homme… aucun droit d’empêcher ce qui est erroné »53.

De ce fait, à Vatican II, pour recouvrir tous les cas (aussi bien l’usage objectivement bon que l’usage objectivement mauvais ou abus protégé indirectement par le droit s’il reste dans de justes limites), on a préféré parler de « droit à ne pas être contraint / empêché d’agir »54. L’autre raison pour laquelle il était opportun de s’exprimer avec le vocabulaire du droit négatif, c’est que la plupart des États sont désormais dans l’incapacité (de facto, de par leur histoire, ou de jure, de par leur droit constitutionnel) de juger si tel homme est objectivement dans l’erreur religieuse. Et que, de toutes façons, on ne doit jamais laisser à l’État seul le soin de juger si l’adepte de l’erreur y est de bonne foi ou non, selon sa conscience ou non : même au moyen âge, l’Église seule, à l’exclusion de l’État, se réservait de juger (tant bien que mal) et du fait de l’hérésie et de la pertinacité des hérétiques.

2) Le malentendu de JMG

Le principal malentendu de JMG (cf. n° 5, et l’ensemble de l’article de JMG) est de penser que DH accorde par principe la liberté à l’erreur. En effet, DH ne revendique pas spécifiquement de droit pour les non-catholiques comme tels. DH ne parle jamais précisément des religions non catholiques, et ne revendique directement ni pour elles ni pour leurs adeptes comme tels aucun droit, pas même de droit négatif. Ce point doit être souligné et développé, car c’est surtout lui qui échappe de bout en bout à JMG dans son exposé. En effet, DH accorde la liberté par principe aux personnes humaines ; ensuite, que ces personnes pratiquent et diffusent l’erreur, c’est accidentel : c’est un abus de leur droit à la liberté.

Si cet abus, extrinsèque et à la religion comme telle, et au droit défini par DH, se trouve protégé par le droit, ce n’est pas per se, mais per accidens. JMG a donc tort de s’inquiéter.

JMG (n° 22, fin) écrit :

« Et le droit d’accomplir sans entraves une telle profession d’une religion fausse n’est autre que celui d’accomplir non pas accidentellement mais essentiellement une action moralement mauvaise».

Réponse : Voilà donc bien à nouveau la confusion capitale de JMG. Or le droit de DH n’est pas un « droit d’accomplir », mais un droit à ne pas être contraint / empêché d’agir. En outre, il s’agit d’agir en matière religieuse, et non pas d’agir de manière erronée. Et ce n’est pas tout acte en matière religieuse qui est mauvais, pas même dans une religion erronée. Enfin, JMG nous avait pourtant assuré que la FSPX ne prétendait jamais que DH prônait un droit affirmatif à n’importe quelle religion. En vérité, c’est de manière accidentelle que le droit de DH va rendre possible, occasionner l’accomplissement d’une action objectivement mauvaise.
III) Le fondement du droit à la LR : dignité ontologique et dignité morale
Sur le fondement du droit à la LR, JMG ne commet-il pas essentiellement trois méprises : A) une sur un principe, B) l’autre sur son application au cas du droit parental, C) et enfin une sur les rapports entre fondement et but du droit ?

A) Dignité morale et usage d’un droit en général

JMG croit que si un sujet perd sa dignité morale, il perd l’usage de son droit ; en d’autres termes, JMG croit donc qu’un droit ne protège plus son titulaire dès que ce titulaire erre dans l’usage de son droit, c’est-à-dire en abuse : cela est tout à fait contraire à tout ce qu’on enseigne en matière juridique dans l’Église, en fonction de l’adage : abusus non tollit usum, parfois exprimé abusus non tollit ius.

Certes, il est parfaitement exact que celui qui adhère à l’erreur déchoit de sa dignité morale, surtout s’il le fait en opposition à sa conscience55. Et qu’il use de son droit pour autre chose que ce pourquoi il lui a été donné. Toutefois un tel abus du droit ne fait pas nécessairement perdre le droit. La conclusion de JMG est donc fausse56.

B) La perte de la dignité morale entraînerait celle du droit parental ?

JMG estime que les parents non-baptisés n’ont pas de droit naturel à exiger que les instances extérieures ne les empêchent pas d’élever leurs enfants selon leur croyance, alors que c’est là un enseignement constant de la Tradition antérieure à Vatican II. Il suffira ici de se référer à saint Thomas d’Aquin, commenté par Cajetan, puis confirmé et complété par Pie XI.

À propos du droit parental, JMG (n° 24, suite) interprète comme suit la pensée de Cajetan :

« En réalité, Cajetan dit tout autre chose que ce que BV lui fait dire : du fait de leur infidélité, et de l’éducation corrompue qu’ils vont donner à leurs enfants, les parents non-chrétiens ont mérité de perdre leur droit parental ; cependant, eu égard au fait que ce droit est naturel dans son origine, Dieu en tolère l’exercice. »

Réponse : Relevons d’abord une multiple confusion cachée derrière l’expression « Dieu en tolère l’exercice » : a) D’abord, au point de vue lexical, ce qu’on tolère, c’est plutôt l’abus, que l’exercice pur et simple. En effet, le mot « tolérer » ne peut s’appliquer qu’au cas où ce qui est « non-empêché » est mauvais. En revanche, ce qui est objet de non-empêchement, c’est tant l’exercice bon que l’abus (limité). b) Ensuite, il est évident que si un mal a lieu, c’est que Dieu le tolère, mais c’est hors sujet, et ne tranche pas la question de savoir si oui et non les personnes humaines, elles, sont tenues en justice de ne pas empêcher ce mal. c) Or, ce que Cajetan écrit – dans le texte même que traduit longuement JMG en note 18, c’est qu’on ne pourrait nullement punir la faute des parents infidèles en leur prenant leurs enfants sans violer leur droit naturel : « Mais on ne peut pas les en empêcher sans violer leur droit naturel ». Il en découle donc un droit naturel des parents à ne pas être empêchés d’éduquer leurs enfants même per accidens dans l’erreur, c’est-à-dire d’abuser moralement de ce droit naturel à l’éducation. Ou, si on préfère : leur droit naturel affirmatif à l’éducation implique un droit négatif à ne pas en être empêchés, même s’ils en abusent. Cajetan ne dit donc aucunement que ces parents ont perdu leur droit, même si, objectivement, sans doute, ils le mériteraient.

JMG (n° 24, suite) poursuit :

« Car l’abus du droit détruit ici le droit, en raison même du principe selon lequel le droit naturel ne saurait faire obstacle au droit positif révélé ».

Réponse : Cajetan dit précisément l’inverse, et la position développée ici par JMG est celle de Scot, que combat Cajetan ! Ce dernier affirme en effet tout au contraire qu’on ne doit pas imposer de force l’obligation surnaturelle au détriment du droit naturel, car le Dieu auteur de l’une ne peut contredire le Dieu auteur de l’autre.

Même type d’erreur dans l’interprétation que JMG tente ensuite du texte de Pie XI concernant la même matière. Voici le texte de Divini illius Magistri :

« Et en effet, bien que l’Église, consciente comme elle l’est de sa mission divine universelle et de l’ob ligation qu’ont tous les hommes de pratiquer l’unique vraie religion, ne se lasse pas de re ven di quer pour elle le droit et de rappeler aux parents catholiques le devoir de faire baptiser et d’élever chrétien­nement les enfants, elle reste cependant si jalouse de l’in violabilité du droit naturel de la famille en matière d’é du cation, qu’elle ne consent pas, sinon sous des conditions et garanties dé terminées, à baptiser les enfants d’in fi dèles ou à disposer de leur éducation de quelque manière que ce soit contre la volonté de leurs pa rents, aussi longtemps que les enfants ne peuvent se déterminer d’eux-mêmes à embrasser librement la foi57. »

En effet, la raison qu’invoque Pie XI pour s’interdire d’intervenir dans l’éducation de ces enfants n’est pas une tolérance, mais – c’est dit en toutes lettres dans le texte allégué à l’instant, et que JMG cite pourtant – l’inviolabilité du droit naturel de la famille pourtant non chrétienne.

JMG (n° 24, suite), après avoir cité ce texte croit pouvoir se permettre d’écrire :

« Le pape ne dit nullement ici que les parents infidèles jouissent d’un véritable droit naturel, en raison vertu sic ils pourraient continuer à élever leurs enfants, en dépit de la circonstance que représente leur infidélité ».

Réponse : Tout au contraire, c’est bien ce que dit le pape et explicitement, et c’est ainsi qu’on a toujours compris la chose depuis saint Thomas, en passant par Cajetan entre autres, et a fortiori depuis cette encyclique de Pie XI58.

C) Fondement et but : dignité de la personne et finalité du droit

À cela il faut ajouter que le fondement de la LR de DH n’est pas la nature humaine seule, mais cette nature humaine en tant qu’elle est ordonnée à la vérité. Voici le texte de DH 2 :

« Conformément à leur dignité, tous les hommes, puisqu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et donc dotés d’une responsabilité personnelle, sont pous sés par leur nature elle-même et tenus en vertu d’une obligation morale de cher cher la vérité, en premier lieu celle qui a trait à la religion. »

Par ailleurs, il est de toute évidence en parfait accord avec la dignité ontologique et morale de la personne humaine d’avoir la possibilité d’adhérer en conscience à la vérité. Or les pressions coercitives, même si elles sont faites en faveur de la vérité, empêchent ou du moins gênent une telle adhésion en conscience, seule conforme et à la dignité ontologique et à la dignité morale de la personne.

En bref, DH proclame ce droit pour qu’on agisse bien, non parce qu’on agit bien.
IV) Le but du droit à la LR : adhérer en conscience à la vérité religieuse
Sur le but du droit à la LR, JMG ne commet-il pas deux méprises ? En effet, il croit que le but de la LR serait seulement A) au niveau individuel, que chacun agisse selon sa conscience, et B) au niveau social, de réaliser le pluralisme de la société et l’indifférentisme de l’État.

A) Le but du droit à la LR n’est pas seulement d’agir en conscience

JMG croit que le but principal de la LR selon DH (et selon le P. Basile) serait d’agir selon sa conscience, la question de l’erreur n’important pas ; alors qu’en réalité le but principal de la LR est de rendre possible à l’homme une adhésion consciencieuse à la vraie Église, l’Église catholique. Contrairement à ce que laisse entendre le n° 21, BV n’a jamais écrit que le seul but du droit de DH est que l’homme puisse suivre sa conscience. Il a écrit qu’il est de « mettre l’homme dans les meilleures conditions pour accomplir son obligation (individuelle et collective) de suivre sa conscience et adhérer à l’unique vraie Église ». Le but du droit dans DH n’est pas seulement d’agir selon sa conscience, mais d’adhérer à la vérité en le faisant selon sa conscience. Il faut les deux aspects, car d’une part il est subjectivement immoral d’adhérer à ce qui se trouve être la vérité si on le fait contre sa conscience (cf. saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, I-II, q. 19, a. 5), et d’autre part il est objectivement immoral (par définition) d’adhérer à l’erreur même en le faisant selon sa conscience. Dans ce dernier cas, ce serait en outre immoral aussi au point de vue de la conscience subjective, c’est-à-dire du péché formel, si l’ignorance qui a entraîné l’erreur était elle-même coupable (cf. saint Thomas d’Aquin, I-II, q. 19, a. 6). Dans un cas, comme dans l’autre, on abuserait du droit.

B) Le but du droit à la LR n’est pas la société pluraliste ni l’État indifférent

JMG (p. 3, col. 3, à la fin du n° 16) affirme, corrélativement, au sujet du but du droit à la LR :

« ce but est présenté tel qu’il doit se réaliser “au sein d’une société devenue pluraliste” 59, non seulement de fait mais de droit, en raison du principe même de la liberté religieuse adopté par Vatican II, et qui se définit précisément comme celui de l’indifférentisme religieux des pouvoirs publics ».

Ce texte recèle deux malentendus : l’un sur le pluralisme, l’autre sur l’indifférentisme.

1° Le malentendu sur le pluralisme religieux.

Expliquons-nous. Par « pluralisme de fait » on entend seulement le fait que des personnes de religions différentes se trouvent dans un même pays ou une même communauté d’États. Or, que cela se produise dans presque tous les pays du monde, et de plus en plus : c’est un fait (regrettable !) 60. Le « pluralisme en droit » serait en revanche la proclamation de la nécessité, de l’opportunité, de la bonté de l’existence de plusieurs religions. Or, qu’il y ait de fait plusieurs religions, cela est contraire à la volonté antécédente de Dieu : nul ne peut proclamer ce fait comme une nécessité à promouvoir. DH 1 ne prétend nullement le contraire ! Revenons alors au droit à la LR : c’est un droit proclamé comme naturel. Qu’il y ait des religions erronées, et des personnes qui les pratiquent, ce sera un abus de ce droit naturel, ce sera accidentel à la nature et même à la proclamation de ce droit comme naturel. Tandis que le magistère postconciliaire spécifiera explicitement que prôner le pluralisme en droit est condamnable61.

2° Le malentendu sur l’indifférentisme religieux de l’État.

En effet, DH maintient que les individus et l’État ont des devoirs religieux spécifiques envers la vraie religion et l’unique Église du Christ (DH 1, § 3 ; DH 6 ; DH 13, § 2).

JMG (p. 3, col. 3, n° 16, suite), sent d’ailleurs la nécessité de préciser :

« Ou du moins, disons-nous que, sans professer explicitement l’indifférentisme des individus, DH lui fraye la voie, du fait même qu’elle professe l’indifférentisme des pouvoirs civils ».

Réponse : DH ne professe pas l’indifférentisme des pouvoirs civils, et ne fraye pas la voie à l’indifférentisme des individus. DH au contraire « laisse intacte la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral des hommes et des sociétés envers la vraie religion et l’unique Église du Christ » (DH 1, § 3). Au moment de l’ajout « et des sociétés », le rapporteur de la commission de rédaction, sur ordre de Paul VI, a précisé :

« Le texte qui nous est présenté1 Note 1 : oralement : proposé aujourd’hui rappelle clairement les devoirs de la puissance publique vis-à-vis de la vraie religion (voir n° 1 et n° 3), ceci rend manifeste le fait que cette partie de la doctrine n’a pas été omise62. »

Le 19 novembre 1964, le rap port écrit qui présentait le Textus emendatus avait d’ailleurs déclaré :

« 4. Confessionnalité de l’État. À condition de bien comprendre les choses, la doctrine de la li berté religieuse ne contredit pas au concept historique de “l’État confessionnel”, comme on dit. En effet, le régime de la liberté religieuse interdit cette intolérance légale selon laquelle certains ci toyens ou certaines communautés religieuses seraient réduits à une condition inférieure quant aux droits civils en matière religieuse. Il n’empêche cependant pas que la religion catholique soit re connue par le droit humain public comme la religion commune des citoyens dans une certaine ré gion, ou que la religion catholique soit établie par le droit public comme religion de l’État63. »

Le 21 septembre 1965, dans sa « relatio conclusiva », le rapporteur du concile, Mgr Emil-Jozef De Smedt précisait même :

« Nulla instantia humana obiective moraliter libera est in acceptando vel respuendo Evangelium et Ecclesiam veram64 ».

Pour finir, ajoutons ce passage de DH 13, § 2 :

« Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l’Église re ven di que pour elle-même la liberté, en tant qu’autorité spirituelle constituée par le Christ Seigneur, à laquelle par mandat divin incombe le devoir d’aller dans le monde en tier et de prêcher l’Évangile à toute créature. »

Pour prouver que DH n’implique pas « l’indifférentisme religieux des pouvoirs publics », et même que DH n’interdit pas à une nation de proclamer de façon officielle la vérité de la religion catholique, il suffit d’étudier un cas particulier très significatif, celui de la loi organique de l’État espagnol (10 janvier 1967) ayant rendu possible la loi de liberté religieuse (28 juin / 1er juillet 1967) 65. Ce clair maintien de confessionnalité « pour raison de vérité » doublé d’une ap pli ca tion du principe de LR, au nom même de DH, avec l’approbation du Saint-Siège, et en raison même du caractère vrai de l’enseignement du Magistère de l’Égli se catholique, se voit énoncer ainsi :

« La loi de caractère fondamental du 17 mai 1958, en vertu de laquelle la législation es pa gno le doit s’inspirer de la doctrine de l’Église catholique, constitue le fondement de la pré sen te loi. …66 C’est pourquoi la loi organique de l’État da tée du 10 janvier 1967 a modifié comme suit ledit article 6 du Fuero de los Españoles : “La profession et la pratique de la re ligion catholique, qui est celle de l’État espagnol, bénéficieront de la protection officielle67. L’État assurera la protection de la liberté religieuse, laquelle sera garantie par une efficace dis po sition juridique qui sauvegardera et la morale et l’ordre public.” Cette nouvelle rédaction — et cela doit être noté expressément — avait auparavant été approuvée par le Saint-Siège. …68. »

À plus forte raison, DH n’interdit évidemment pas qu’une nation reconnaisse la religion catholique comme faisant partie intégrante du bien commun. Au demeurant, Benoît XVI écrira, dans Caritas in veritate, n° 55-56 :

55. … La liberté religieuse ne veut pas dire indifférence religieuse et elle n’implique pas que toutes les religions soient équivalentes. Un discernement concernant la contribution que peuvent apporter les cultures et les religions en vue d’édifier la communauté sociale dans le respect du bien commun s’avère nécessaire, en particulier de la part de ceux qui exercent le pouvoir politique. Un tel discernement devra se fonder sur le critère de la charité et de la vérité. …

56. La religion chrétienne et les autres religions peuvent apporter leur contribution au développement seulement si Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, et cela concerne les dimensions culturelle, sociale, économique et particulièrement politique. La doctrine sociale de l’Église est née pour revendiquer ce “droit de cité” de la religion chrétienne. La négation du droit de professer publiquement sa religion et d’œuvrer pour que les vérités de la foi inspirent aussi la vie publique a des conséquences négatives sur le développement véritable69 ».
V) Les limites de l’exercice du droit à la LR : droits des autres, paix publique et moralité publique
À l’intérieur des limites de l’exercice, on peut encore parler d’un véritable exercice du droit. Au-delà de ces limites, il y a abus. S’il s’agit de franchir seulement des limites morales, il y a abus moral (cf. les explications de DH 7, § 2). Si sont franchies non seulement les limites morales, mais des limites d’ordre juridique, alors on parle d’abus juridique : un tel abus juridique peut être empêché ou réprimé par l’État (cf. DH 7, § 3), au nom de critères juridiques au sens strict (les droits de tous), politiques (la paix publique) ou moraux (la moralité publique).

Quant aux limites de l’exercice du droit à la LR, JMG se fourvoie essentiellement sur deux points : A) JMG affirme que la LR des autres personnes est le seul critère de limitation de la LR que DH reconnaît comme légitime ; B) JMG croit que les normes limitatives de l’exercice du droit à la LR selon DH 7, § 3 ne peuvent jamais avoir un fondement surnaturel. Reprenons ces deux points.

A) La LR d’Un Tel est limitée par le droit à la LR des autres, mais pas uniquement

D’où trois remarques :

1) Qu’avait écrit BV ? « a) Le critère juridique est “l’efficace protection des droits pour tous les citoyens et leur harmonisation pacifique” DH 7, § 3. Par exemple, si quelqu’un dans sa manière de pratiquer sa religion menace les droits des autres, l’État a le droit de le réprimer. » BV prend certes ici le respect du droit des autres à la LR comme application particulière (c’est la mineure d’un raisonnement, un exemple) du principe général du respect de tous les droits des autres en général, mais non comme unique application. 2) BV ajoutait par ailleurs : « Or, avant le xxe siècle, chaque fois que dans un pays de religion A se développait une religion B, les fidèles de B, comme tout le monde à l’époque, étaient persuadés qu’une fois majoritaires ils pourraient écraser la liberté des autres, donc de A, devenue minoritaire », et la suite. Remarquons au passage que JMG ne saisit absolument pas non plus toute la portée de cette question de la réciprocité.

2) Donc, en réponse à JMG, n° 6 : Ni selon DH, ni selon le P. Basile, ni même selon la DUDH (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, 1948) le droit des autres à la LR n’est l’unique critère juridique de limitation légitime de l’exercice du droit à la LR.

3) Au n° 19 (p. 4, col. 2), JMG cite littéralement BV, mais interprète de travers le sens des propos, notamment en affirmant : « De l’aveu même de notre auteur BV, Vatican II s’est donc aligné sur l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Celle-ci est la négation même de la doctrine sociale de l’Église. À la suite du concile, le père Basile assume cette négation … » (n° 19, ibidem). Réponse : La DUDH de 1948, au n° 18, prône le respect d’une certaine forme de liberté civile de religion. (Il en va de même, mutatis mutandis, pour la déclaration du Conseil œcuménique des Églises d’Amsterdam, la même année 1948.) Cette DUDH, internationale, implique entre des pays de religions ou de confessions différentes un pacte de non-agression entre ces religions. Elle suppose donc que ce n’est plus vrai de dire qu’automatiquement la LR laissée à une religion B dans un pays de religion A va entraîner une menace pour la LR de la religion A, ce qui était en revanche le cas auparavant. Ce changement de situation juridique dû à la réciprocité a amené l’Église à discerner dans quelle mesure ce principe pouvait être interprété conformément à la doctrine catholique (cf. DH 1). JMG déforme donc complètement la pensée de BV – et aussi la réalité sur ce qu’a fait DH : il ne s’agit nullement de se régler sur « le faux droit nouveau ».

B) Les normes morales objectives de limitation peuvent être surnaturelles

JMG (n° 11, fin) continue : « Il y aura tout au plus des limites extrinsèques, et qui sont celles de l’ordre profane certes objectif, mais purement naturel ».

Réponse : a) C’est oublier que des « normes morales objectives » (DH 7, § 3) peuvent être tout aussi bien surnaturelles que naturelles, et que même les normes morales objectives naturelles ne sont de fait entièrement promulguées que par l’Église, entité surnaturelle.

b) C’est oublier aussi que ce qu’affirme explicitement le CEC, n° 2109 : « Le droit à la liberté religieuse ne peut être de soi ni illimité Note 7 : Cf. Pie VI, bref “Quod a..., ni limité seulement par un “ordre public” conçu de manière positiviste ou naturaliste Note 8 : Cf. Pie IX, Encycl. “Qua.... … ». L’ordre public juste de DH peut donc se référer aussi à l’ordre surnaturel, lorsque la situation de la société le permet, ce qui est la situation optimale (selon QC, et selon nous).

c) Quant aux limites « extrinsèques », le CEC, n° 2109 ajoute immédiatement : « Les "justes limites" qui lui sont inhérentes doivent être déterminées pour chaque situation sociale par la prudence politique, selon les exigences du bien commun, et ratifiées par l’autorité civile selon des "règles juridiques conformes à l’ordre moral objectif" (DH 7) ». Les limites du droit dont on parle lors de la définition du droit ne sont pas extrinsèques au droit même, mais c’est la manière effective dont le droit va être exercé par telle ou telle personne ou tel groupe qui est extrinsèque à ce droit. Par ailleurs, si ces limites sont effectivement extrinsèques à la vertu de religion, elles ne le sont pas aux religions concrètes, qui comportent bien d’autres aspects que la pratique de la vertu de religion. C’est par ce côté qu’elles risquent de sortir des limites où le droit peut être exercé.
Conclusions
1/ Nous invitons JMG à lire nos travaux (sinon notre thèse complète, du moins son résumé). Ainsi, il n’aura – et ne donnera – plus l’impression que nous n’avons écrit que 13 pages sur le sujet ou que nous ignorons les arguments de la FSPX.

2/ Quanta cura (QC) ne parle pas de tolérance ni d’erreur, mais de « violateurs de la religion catholique », c’est-à-dire de personnes qui violent les droits de l’Église et des catholiques, et que DH 7, § 3 permettrait de réprimer, car DH ne limite pas l’exercice de la LR par la seule paix publique, mais aussi par la moralité publique et les droits des autres. QC et DH ne se contredisent donc pas.

3/ Léon XIII ne répond pas à la question de savoir ce qui se passe lorsque l’homme abuse de son droit affirmatif à accomplir la volonté de Dieu en fonction de la conscience du devoir (ex conscientia officii), dans le cas où sa conscience est erronée : garde-t-il l’usage de ce droit, en sorte qu’un droit négatif le protège ? La philosophie générale du droit répond : l’abus n’ôte pas de soi l’usage.

4/ La liberté d’agir, au XIXe siècle signifiait « droit d’agir ». Donc elle ne pouvait pas être revendiquée indistinctement pour toute religion, d’où sa condamnation par les papes de l’époque. La liberté d’agir était un droit affirmatif, et non purement négatif, comme celui de DH. Il n’y a donc pas de contradiction sur ce point entre les papes du XIXe et DH.

5/ Pie XI dans Divini illius Magistri enseigne un droit des parents non chrétiens à ne pas être empêchés par quiconque d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions, hélas ! fausses. Dans Quadragesimo anno, à la suite de Léon XIII dans Rerum novarum, Pie XI enseigne que l’on ne peut sans injustice empêcher par des voies légales celui qui abuse de son droit de propriété d’en user ainsi. Pie XI montre donc le bien fondé du principe que l’abus d’un droit n’en enlève pas nécessairement l’usage. Dans Mit brennender Sorge, il enseigne le droit naturel inaliénable de tout homme qui croit en l’existence d’un Dieu personnel de vivre en fonction de cette croyance. Ici, il ne répond pas à la question de savoir ce qui se passe si, de façon accidentelle à cette croyance, l’homme croyant (der glaübige Mensch) diffuse l’erreur. La réponse est donnée par l’axiome : l’abus n’enlève pas l’usage.

6/ Pie XII, dans de nombreux cas, prône le droit au libre culte de Dieu. Dans son discours du 6 décembre 1953, il traite de la tolérance de la part de l’autorité publique, et non simplement de la tolérance individuelle. Il enseigne que le mal et l’erreur ne peuvent être l’objet de droit, mais qu’il peut arriver, dans certaines circonstances, que la loi humaine n’ait pas le droit d’interdire ce qui est erroné. De ce fait, l’adepte de l’erreur, abusant de son droit à vivre selon la vérité, dans ces mêmes circonstances, pourra jouir d’un droit à ne pas être empêché d’en abuser. Quand cela se produit-il ? C’est DH qui répondra : dans les limites de l’ordre public juste.

JMG a donc principalement besoin de réfléchir à nouveau sur les principes réglant, dans la Tradition, le droit et l’abus d’un droit : l’abus n’enlève pas l’usage. Un abus est accidentel. La perte de la dignité morale ne fait donc pas perdre automatiquement un droit naturel ni son usage : quand on définit le droit à la vie, on fait abstraction (dans de justes limites) du fait que la personne humaine va pécher ou non ; ce n’est pas n’importe quel péché qui suffit à faire perdre l’usage du droit à la vie !

7/ Ni Vatican II, ni Paul VI, ni Jean‑Paul II ni Benoît XVI n’accordent per se aux personnes diffusant l’erreur un droit à ne pas en être empêchées, et encore moins de droit à le faire : il ne s’agit pas d’un droit à l’erreur, de l’erreur ou pour l’erreur, mais d’un droit de toute personne à la liberté civile d’agir (c’est-à-dire à l’immunité de coercition), lequel droit protège per accidens l’abus qu’on en fait en diffusant l’erreur (cette structure, pour faire court, est parfois nommée par abus de langage « droit négatif à l’erreur »). JMG devrait relire DH : il n’y est jamais fait mention directement, per se, des religions erronées. Le but du droit à la LR n’est pas le simple fait d’agir en conscience, mais d’adhérer en conscience à la vérité. Ce n’est nullement le pluralisme en droit, ni l’indifférentisme de l’État, et cela ne fraye pas la voie à l’indifférentisme individuel.

8/ Il faut distinguer 5 choses : 1° la permission morale d’agir, 2° le droit affirmatif d’agir dans la société (appelé au XIXe siècle « liberté civile »), 3° le simple fait de ne pas empêcher ; 4° le droit négatif à ne pas être empêché, mais concédé par une loi positive humaine ; 5° le droit naturel négatif à ne pas être empêché d’agir, concédé par le droit divin naturel (ces deux derniers appelés au XXe siècle : « liberté »). Pour ce qui concerne la LR de DH, il faut relire ici le CEC, n° 2108 :

« Le droit à la liberté religieuse n’est ni la permission morale d’adhérer à l’erreur, ni un droit supposé à l’erreur, mais un droit naturel de la personne humaine à la liberté civile, c’est-à-dire à l’immunité de contrainte extérieure, dans de justes limites, en matière religieuse, de la part du pouvoir politique. … ».

9/ La contradiction entre le magistère antérieur et DH n’existe donc pas. Une telle contradiction de la part du concile a d’ailleurs été déclarée par Paul VI non seulement inexistante, mais impossible70.

10/ Au total, JMG doit donc reconnaître que la FSPX se trompe sur DH.
----------
NOTES

1 Fr. Basile Valuet, o.s.b., Dignitatis humanae contraire à la Tradition ?, Bulletin de Littérature ecclésiastique CXIV/3 (juillet-septembre 2013) 289-302. Cet article sera abrégé ici BV, comme dans la critique qu’en a faite l’abbé Gleize. BV reprenait sous forme écrite et résumée, La doctrine de Vatican II sur la liberté religieuse, conférence au séminaire de La Castille (diocèse de Fréjus-Toulon) du 17 février 2012. Disponible en ligne sur : http://www.diocese-frejus-toulon.com/Vatican-II-bientot-cinquante-ans.html

2 Gleize Jean-Michel, Dignitatis humanae est contraire à la Tradition, Courrier de Rome, année XLIX, n° 374 (564) (mars 2014), p. 1-7.

3 Franzelin Johann Baptist, s.j. (1816-1886), La Tradition / trad. annotée du texte latin de 1870 par l’abbé Jean-Michel Gleize. - S.l. : le Courrier de Rome, 2008. - 398 p. : ill. ; 24 cm. Texte en français seul. - Bibliogr. p. 393. Index p. 383-392. - ISBN 978-2-913643-16-1.

4 Cf. Gleize Jean-Michel, Une question cruciale, Courrier de Rome, année XLVI n° 350 (540), décembre 2011 ; et Magistère ou Tradition vivante ?, Courrier de Rome XLVII, n° 352 (544), février 2012.

5 Par exemple Gleize Jean-Michel, À propos d’un article récent, Courrier de Rome, année XLVII n° 358 (548), septembre 2012 (critique de la position exprimée par l’abbé Bernard Lucien en 2012 dans Sedes sapientiae, sur l’autorité de Vatican II) ; ou encore Gleize Jean-Michel, De l’Orient à l’Occident, Courrier de Rome, n° 361 (décembre 2012) (sur la liberté religieuse et la laïcité dans l’enseignement de Benoît XVI). On ne s’occupe pas ici de ces articles, et encore moins de celui paru dans Courrier de Rome, XLVIII n° 372 (562), janvier 2014 : Jean-Paul II : un nouveau saint pour l’Église ?

6 Cf. Fr. Basile Valuet, o.s.b., Le droit à la Liberté religieuse dans la Tradition de l’Église. Un cas de développement doctrinal homogène par le magistère authentique, préface Cardinal Jorge Arturo Medina Estévez, Le Barroux, Éditions Sainte-Madeleine, 12005 ; 22011, 675 p. (abréviation : LRTE 2011) ; il s’agit d’un résumé de notre thèse complète : Id., La liberté religieuse et la Tradition catholique. Un cas de développement doctrinal homogène dans le magistère authentique, Le Barroux, Abbaye Sainte-Madeleine, 11995 ; 21998, 6 vol., 3050 p. (abréviation : LRTC 1998) ; 32011, 6 vol., 3e éd., réorganisée et complétée, 2525 p. (abréviation : LRTC 2011).

7 Ainsi, JMG se permet d’affirmer que la « recension » de textes du magistère du P. Basile est « bien maigre » (n° 30), alors que LRTC mentionne environ un millier de documents du magistère (sur un peu plus de 3000 consultés)…

8 Mgr Bernard Tissier de Mallerais, Mes doutes sur la liberté religieuse, Étampes, Clovis, 2000, 200 p. Cette rééd. comporte un allégement, une vérification des références, une trad. franç. des textes latins, une présentation de 6 p. Recension : Boillot René, Mgr Lefebvre et la liberté religieuse, Présent, 2000.11.18, p. 8. Le recenseur voyait dans cette rééd. une tentative de réponse à notre thèse (LRTC, 1998, mentionnée là), et attendait notre propre résumé de thèse, comme réponse à cette réponse.

9 On pourra s’en convaincre déjà en regardant le contenu et la bibliographie de LRTC (1998 et 2011), t. III/A, par exemple aux entrées « Lefebvre » (plusieurs pages de références, avec des notes extrêmement détaillées), mais aussi « Tissier de Mallerais », « Kergorlay », etc.

10 LRTC la cite dans sa bibliographie de la manière suivante : Consulteur SCDF, 1987.03.09 : Consulteur anonyme de la Sacrée Co..., Liberté religieuse. Réponse aux dubia présentés par Mgr Lefebvre, dactyloscrit, s.d. 1987, 50 p. Travail effectué de nov. 1985 à mars 1987 par un théologien (anonyme) mandaté par la SCDF (à titre officieux) et envoyé à Mgr Lefebvre le 9 mars 1987 pour répondre aux “Dubia” présentés par celui-ci à la SCDF. Ce document (alors non publié, même par la FSPX) a été déclaré par Mgr Lefebvre "bien plus grave que la journée d’Assise". Voir dans le sermon du 29 juin 1987 les conclusions qu’en tire le prélat. Ce document ayant gardé un caractère privé, nous avons estimé ne pas devoir le citer littéralement dans notre 2e éd., bien que nous le connussions, et que Mgr Lefebvre en eût cité publiquement des extraits. Il est désormais disponible intégralement sur Internet.

11 Dans une analyse plus détaillée, communiquée à titre privé, nous avons suivi l’ordre de l’article de JMG, respectant la numérotation décimale de ses parties, ainsi que la numérotation continue de ses paragraphes. Étant donné que le Courrier de Rome paraît sur des pages de format B4 et sur 3 colonnes, nous y avons jugé utile de ponctuer parfois cette analyse de l’indication des pages et colonnes.

12 On pourrait aussi traduire : « c’est une excellente condition de la société, que celle où on… », car optimam peut être un superlatif relatif ou absolu.

13 Trad. franç. (revue par nous) : La Paix Intérieure des Nations, n° 40. LRTC 2011 et LRTE 2011 ont longuement analysé ce texte de QC.

14 Cf. aussi JMG, n° 31.

15 Hélas ! les Dubia ajoutaient aussitôt : « Mais au fond, peu importe cette différence ! » Pour qui veut montrer une contradiction entre deux textes, la logique est affaire essentielle ; on ne peut écrire en pareil cas « peu importe ».

16 Notre trad. de Léon XIII, 1888.06.20 : Encycl. Libertas praestantissimum ; Acta Leonis XIII 08, 237-238

17 Léon XIII, 1891.05.15 : Encycl. Rerum novarum ; Acta Leonis XIII 11, 113-4 = ASS 23, 651 = BP (1878-1903) 03, 37.

18 Pie XI, 1931.05.15 : Encycl. Quadragesimo anno, § 86 ; AAS, 1931, 192 ; BP 07, 114-115 (dont nous corrigeons la traduction dans LRTC) ; = DC 25 (1931) 1416.

19 Voir plus loin cette question particulière.

20 Pie XI, 1937.03.14 : Encycl. Mit brennender Sorge, aux évêques d’Alle magne ; AAS, 1937, 145-167 (160 citée par DH, note 2) ; BP 16, 7-53 ; DC, 1937, 901-922.

21 D’une distinction réelle dite inadéquate, puisque désignant un groupe incluant l’autre.

22 Voici le texte latin en question de Divini Redemptoris : « Sed ad vim propulsan dam, qua “potestas tenebrarum” Dei ipsius opi nio nem ex intimis hominum mentibus evellere con tendit, summa in spe sumus cum eis, qui chris tiano nomine gloriantur, se etiam illos effi ci enter coniuncturos esse, qui, longe maxima nem pe hominum pars, Deum esse credunt et adorant. » (AAS, 1937, 103 = BP (1922-1939) 15, 93-94).

23 Orig. allemand : « kein Gottesglaube wird sich auf die Dauer rein und unversfälscht erhalten, wenn er nicht gestützt wird vom Glauben an Christus ».

24 AAS, 1937, 159 ; BP 16, 36-38.

25 AAS, 1937, 159-160 ; BP 16, 36-38.

26 AAS, 1937, 160 ; trad. défectueuse : BP 16, 38.

27 Pie XII utilisera aussi cette expression (au pluriel : gläubige Menschen) (dans un contexte similaire d’opposition au ma térialisme athée) dans Pie XII, 1952.08.10 : Message Mit dem Gefühl…, au 75e Katholikentag ; AAS, 723-727 (725) ; DC, 1291-1294 ; DPPieXII, 410-415 (ici 413) ; RH 1, 93-98.

28 Mgr Emil-Jozef De Smedt, 1er rapport oral sur le schéma de DGH, DC, 1964, 79.

29 AAS, 1937, 160 ; notre trad. corrigeant BP 16, 38, qui porte « dans l’esprit de leur foi » là où l’orig. allem. dit : „des wahren Glaubens“. Ici, Pie XI se limite au cas de la vraie foi.

30 Nous étudions ce texte plus loin, dans notre deuxième partie.

31 Cf. Léon XIII, 1881.08.03 : Lettre apost. Licet multa, à tous les évêques de Belgique ; Acta Leonis XIII 02, 324 = ASS 14, 146 ; — Léon XIII, 1888.06.20 : Encycl. Libertas praestantissimum, à tous les évêques, sur la liberté hu maine ; Acta Leonis XIII 08 (1888), 239-240 & 244 = ASS 20 (1887-1888), 609-610 & 612. Notons que ces affirmations sur la nécessité de la tolérance étaient, à l’époque, nouvelles dans le magistère. Devait-on en conclure que Léon XIII allait contre la Tradition ? De même pour le cas de Pie XII ?

32 Pie XII, 6 décembre 1953 : Allocution Ci riesce : trad. franç. : Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, p. 615 ; Paix intérieure des Nations 3040 ; orig. ital. : AAS, 1953, p. 798-799 : « Può darsi che in determinate circostanze Egli non dia agli uomini nessun mandato, non imponga nessun dovere, non dia perfino nessun diritto d’impedire e di reprimere ciò che è erroneo e falso ? » (soulignements italiques orig.). Nous avons corrigé la traduction de « mandato », laquelle, par erreur, se lisait : « commandement », ce qui représentait en outre une redondance incompréhensible avec « devoir » ; en effet, pour Dieu, imposer un commandement, c’est par le fait même imposer un devoir. C’est en latin que « mandatum » signifierait « commandement ».

33 Et non seulement aucune permission d’empêcher, car Pie XII, dans tout son enseignement, emploie toujours le mot « droit » dans le sens juridique, comme LRTC l’a montré en examinant tous les usages de ce mot dans le corpus doctrinal de ce pape.

34 Cf. saint Thomas d’Aquin, la fin de II-II, 10, 12 c : « Unde contra justitiam naturalem esset si puer, antequam habeat usum rationis, a cura parentum subtrahatur, vel de eo aliquid ordinetur invitis parentibus. »

35 « la costituzione, il mantenimento e l’azione di una vera Comunità di Stati » ; « Il giurista, l’uomo politico, lo Sta to particolare, come la Comunità degli Stati » ; etc.

36 « A questo proposito vorremmo ora intrattenervi — voi che amate di professarvi giuristi cattolici — intorno ad una delle questioni, che si presentano in una comunità dei popoli ; vale a dire, la pratica convivenza delle comunità cattoliche con le non cattoliche ». Voir aussi les expressions qui suivent, parsemant le texte : « i popoli e gli Stati membri della Comunità » ; « l’estensione della Comunità » ; « il territorio dei singoli Stati sovrani membri di tale Comunità delle nazioni » ; « Nell’interno del suo territorio e per i suoi cittadini ogni Stato regolerà gli affari religiosi e morali con una propria legge ; nondimeno in tutto il territorio della Comunità degli Stati sarà permesso ai cittadini di ogni Stato-membro l’esercizio delle proprie credenze e pratiche etiche e religiose, in quanto queste non contravvengano alle leggi penali dello Stato in cui essi soggiornano. Per il giurista, l’uomo politico e lo Stato cattolico sorge qui il quesito : possono essi dare il consenso ad un simile regolamento, quando si tratta di entrare nella Comunità dei popoli e di rimanervi ? ».

37 Voir soit LRTE, soit LRTC 2011 pour l’analyse détaillée de tout le texte de Ci riesce. Il s’agit toujours de l’autorité humaine, des États et de la communauté des États. Pie XII aborde la nécessité de cette tolérance « politique, civique et sociale » aussi dans d’autres discours, par exemple Pie XII, 1946.10.06 : Alloc. Ecco che già un anno, à la S. Rote Romaine ; AAS, 1946, 393 ; — Pie XII, 1955.09.07 : Discours Vous avez voulu, au Xe congrès international des sciences historiques ; AAS, 1955, p. 678-679.

38 Jean‑Paul II, 1980.09.01 : Message L’Église catholique, à la Conférence de Madrid des Chefs d’État signataires des accords d’Helsinki ; orig. franç. : AAS, 1980, 1252-1260, DC, 1980, 1172-1175, et site Internet du Vatican.

39 Benoît XVI, 2006.12.09 : Discours à l’union des juristes catholiques italiens ; DC, 2006, 214-215.

40 Cf. par exemple LRTE, 2005 et 2011, ainsi que dans la 3e éd. de LRTC (2011).

41 Cf. Pie XII, 1953.12.06 : Alloc. Ci riesce ; aux membres du Ve congrès national ital. de l’union des juristes catholiques, sur la tolérance religieuse dans une Communauté d’États : « Un altra questione essenzialmente diversa è : se in una comunità di Stati possa, almeno in determinate circostanze, essere stabilita la norma che il libero esercizio di una credenza e di una prassi religiosa o morale, le quali hanno valore in uno degli Stati-membri, non sia impedito nell’intero territorio della Comunità per mezzo di leggi o provvedimenti coercitivi statali. In altri termini, si chiede se il “non impedire”, ossia il tollerare, sia in quelle circostanze permesso, e perciò la positiva repressione non sia sempre un dovere. » (AAS, 1953, 798).

42 Cf. Baucher Joseph, Dom (1866-1929), art. « Liberté », in DTC 09 (1926), col. 660-703, ici 701 : « En décrétant cette tolérance, le législateur est censé ne pas vouloir créer au profit des dis si dents le droit ou la faculté morale d’exercer leur culte, mais seulement le droit de n’être pas trou blés dans l’exercice de ce culte. Sans avoir jamais le droit de mal agir, on peut avoir le droit de n’être pas empêché de mal agir, si une loi juste prohibe cet empêchement pour des motifs suffisants. »

43 La FSPX ne semble pas prendre en compte l’importance de la lecture des textes d’une commission de rédaction pour l’interprétation correcte d’un texte conciliaire : cf. déjà l’importance des Actes synodaux de Florence, Trente et Vatican I.

44 Relatio scripta de textu emendato, 19 nov. 1964, A.S. (= Acta Synodalia…) III/viii, 461-465. Notre trad.

45 Cf. JMG (p. 2, col. 2, n° 10) : « Deuxièmement, il est bien difficile de séparer le droit à la liberté religieuse tel que le conçoit exactement Vatican II et le droit à la diffusion de l’erreur, car celui-là appelle et contient inévitablement celui-ci ».

46 DH ne revendique de droit affirmatif que pour l’Église seule (cf. DH 13, § 2), par mandat divin, et pour ses disciples ; jamais pour les non-catholiques ou les autres entités religieuses. Voici ce qui concerne les individus catholiques : « I Pareillement (pariter), l’Église revendique pour elle-même la liberté en tant (prout) qu’elle est aussi une société II d’hommes qui jouissent du droit à vivre dans la société civile selon les prescriptions de la foi chrétienne (34). » Même ainsi, il faudra dans le concret distinguer ce droit, et l’usage concret de ce droit par le catholique.

47 Ici, la note renvoie à Léon XIII, Libertas praestantissimum : Acta Leonis XIII 08, 229-230.

48 Ici, la note renvoie à Pie XII, 1953.12.06, c’est-à-dire à l’alloc. Ci riesce, AAS 45 (1953) 799. L’erreur n’est donc pas l’objet de ce droit. Il n’existe pas de permission juridique ni de droit-exigence affirmatif ayant l’erreur pour objet.

49 Inexistence maintenue à plusieurs reprises par la commission ; cf. par exemple A.S. IV/vi, 771 n° 78.

50 Notre trad. de A.S. IV/vi, 725.

51 Cf. la remarque de la commission de rédaction de DH : « Cum vero abusus non tollat ius, ut aliquis Pater recte notat, ultimae lineae sic sonent : “eiusque exercitium impediri nequit dummodo iustus ordo publicus servetur” » (A.S. IV/vi, p. 736).

52 Dans sa 2e partie, DH parle d’un seul usage concret, l’usage objectivement correct, celui des catholiques (cf. DH 13-14).

53 Expression de Pie XII, 6 décembre 1953, que nous commentons plus haut en détail.

54 Pour simplifier, on peut se limiter au « droit à ne pas être empêché », seul vraiment attaqué par la FSPX.

55 De me, celui qui abuse de son droit de propriété déchoit de sa dignité morale. Mais son droit naturel de propriété reste bien enraciné dans sa dignité ontologique.

56 « C’est pourquoi on ne peut pas fonder un droit à la liberté religiesue au sens de DH sur la dignité d’une personne humaine restreinte à son seul être de nature raisonnable, indépendamment de son agir ».

57 Pie XI, 1929.12.31 : Encycl. Divini illius Magistri (sur l’éducation chré tienne de la jeunesse ; orig. lat. : AAS, 1930, 61-62 ; latin + franç. : BP (1922-1939) 06, 105-106.

58 Pour une démonstration plus détaillées, cf. LRTC 2011 ou LRTE 2011.

59 On ne sait à quoi correspondent ces guillemets.

60 C’est un état de fait qui oblige la prudence politique à légiférer en fonction de lui. Cela, JMG le reconnaît certainement.

61 Cf. CDF, 2007.12.03 : Note doctrinale Missus a Patre; : « 10. Toutefois, l’annonce missionnaire de l’Église est aujourd’hui “mise en péril par des théories relativistes, qui entendent justifier le pluralisme religieux, non seulement de facto mais aussi de jure (ou en tant que principe)”. » (orig. lat. : AAS, 2008, 489-504; ; trad. franç. : DC, 2008, 59-67).

62 A.S. IV/vi, p. 719

63 A.S. III/viii, p. 463, § 4.

64 A.S. IV/i, p. 433.

65 Cf. DC, 1968, 45, note 1.

66 Voici notre trad. franç. du texte de 1958 : « La Nation espagnole considère comme marque d’honneur l’attachement à la Loi de Dieu, selon la doctrine de la Sainte Église Catholique, Apostolique e Romaine, unique vraie et foi inséparable de la conscience nationale, laquelle inspirera sa législation. »

67 Cf. Goethals, 1987.04, 65 : « En vertu des “justes limites” le pouvoir public peut et doit protéger la religion et l’Église catholiques contre les attaques de ses adversaires. La liberté de suivre et de manifester une religion non-catholique dans de justes limites, ne comporte pas le droit d’attaquer l’Église catholique en public » ; et p. 66 : « La “liberté : religieuse” n’oblige pas l’État, ni ne le sic conseille, de mettre toutes les religions sur le pied d’égalité juridique ».

68 Voir les références dans LRTC au mot Franco F., 1967.07.01.

69 Trad. franç. : site Internet du Vatican.

70 Cf. Paul VI, 1966.09.21 : Lettre au Card. Giuseppe Pizzardo, Préfet de la S. Congr. des Séminaires et Universités, au sujet du Congrès international sur la théologie du Concile Vatican II (AAS, 1966, 879).