7 mai 2014

[Abbé Franz Schmidberger, fsspx - Lettre à Nos Frères Prêtres] "Evangelii Gaudium, Dolor Fidelium"

SOURCE - Abbé Franz Schmidberger, fsspx - Lettre à Nos Frères Prêtres - mars 2014

Pour conclure l’année de la Foi, le Saint-Père, le pape François, a publié l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium sur la prédication de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui. Les lignes qui suivent vont tâcher d’en donner un premier résumé, certainement incomplet.
L’occasion de ce document
L’occasion de ce document est le Synode des évêques qui s’est tenu du 7 au 28 octobre l’année dernière et qui était consacré au thème de la nouvelle évangélisation : « J’ai accepté avec plaisir l’invitation des Pères synodaux à rédiger la présente Exhortation ». (n° 16). En même temps, ce document a été présenté par le nouveau pontife comme une sorte de directoire. Ce double but et la prolixité du pape ont pour conséquence que ce document ne présente pas de structures claires. Il manque de précision, de rigueur et de clarté. Ainsi, par exemple, un long passage est consacré à la situation économique du monde contemporain, et un peu plus loin est exposée l’importance de la prédication, jusqu’à donner les détails de sa préparation. A plusieurs reprises, on aborde la question de la décentralisation de l’Église ; et les questions oecuméniques et interreligieuses, elles, sont traitées en long et en large.

Le pape François parle de l’Église comme si, jusqu’à aujourd’hui, elle n’avait pas transmis l’Évangile ou l’avait fait de manière imparfaite. Il se désole d’une attitude nonchalante, léthargique et fermée. Cette réprimande constante nous touche désagréablement. On a l’impression que, jusqu’à présent, peu de choses ont été faites pour la transmission de la foi et de l’évangile. Ses commentaires s’accompagnent toujours d’une référence à sa propre personne. Le pronom personnel « je » n’apparaît pas moins de 184 fois dans le document, et on ne compte pas les « mon » et les « moi ».  La parole de Dieu dans l’Apocalypse s’impose quasi-automatiquement à notre esprit : « Ecce nova facio omnia : voici que je fais toutes choses nouvelles ». (Ap 21, 5) 
Considérations justes
Le document contient sans doute nombre de considérations positives, qui ne peuvent être passées sous silence. Donnons-en quelques-unes au fil du texte.

Au n° 7, il est dit : « La société technique a pu multiplier les occasions de plaisir, mais elle a bien du mal à secréter la joie ». Quelle justesse dans cette constatation ! Au n° 22, on lit : « La parole a en soi un potentiel que nous ne pouvons pas prévoir. L’Évangile parle d’une semence qui, une fois semée, croît d’elle-même, y compris quand l’agriculteur dort ». (cf. Mc 4, 26-29) L’action de la grâce dépasse effectivement tout calcul humain. Au n° 25, il est rappelé que « ce n’est pas d’une simple administration que nous avons besoin ». Si les évêques et les prêtres prenaient ce mot à coeur et tournaient le dos aux commissions, aux comités, aux forums, au vaste bureaucratisme pour agir en vrais théologiens et pasteurs!

Un très beau paragraphe nous est donné au n° 37, avec une longue citation de la Somme théologique de saint Thomas. Citons ce point en entier : « Saint Thomas d’Aquin enseignait que même dans le message moral de l’Église il y a une hiérarchie, dans les vertus et dans les actes qui en procèdent (I-II, q. 66, a. 4-6). Ici, ce qui compte c’est avant tout “la foi opérant par la charité” (Ga 5, 6). Les oeuvres d’amour envers le prochain sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de l’Esprit : “L’élément principal de la loi nouvelle, c’est la grâce de l’Esprit Saint, grâce qui s’exprime dans la foi agissant par la charité”. (I-II, q. 108, a. 1) Par là il affirme que, quant à l’agir extérieur, la miséricorde est la plus grande de toutes les vertus : “En elle-même la miséricorde est la plus grande des vertus, car il lui appartient de donner aux autres, et, qui plus est, de soulager leur indigence ; ce qui est éminemment le fait d’un être supérieur. Ainsi se montrer miséricordieux est-il regardé comme le propre de Dieu, et c’est par là surtout que se manifeste sa toutepuissance” ». (II-II, q. 30, a. 4 ; cf. ibid. q. 40, a. 4, ad 1)

Au n° 42, le pape insiste sur le fait que la prédication doit avant tout toucher les coeurs : « C’est pourquoi il faut rappeler que tout enseignement de la doctrine doit se situer dans l’attitude évangélisatrice qui éveille l’adhésion du coeur avec la proximité, l’amour et le témoignage ».
Doctrine sociale et familiale
Du n° 52 au n° 76, il traite des aspects économiques et met en évidence des points intéressants. Le capitalisme effréné qui n’est que « le résultat d’une réaction humaine devant la société de consommation, matérialiste, individualiste » (n° 63) est cloué au pilori. « L’individualisme postmoderne et mondialisé favorise un style de vie qui affaiblit le développement et la stabilité des liens entre les personnes, et qui dénature les liens familiaux ». (n° 67) Et le pape de conclure au n° 69 qu’il est impératif « d’évangéliser les cultures pour inculturer l’Évangile », c’est-à-dire que l’Evangile doit être enraciné dans la société et dans la vie des peuples. Mais pourquoi ne parle-t-il pas ici, comme ses prédécesseurs l’avaient fait avant le concile Vatican II, de l’État catholique et de la société chrétienne, qui étaient présentés comme des fruits de la foi catholique, et aussi, par une conséquence logique, comme une protection pour cette foi ? Peut-être aurait-on pu espérer qu’avec ces doléances légitimes sur l’économie actuelle, on se référât à Quadragesimo anno du pape Pie XI, pour montrer les principes conduisant à des conditions économiques justes?

Le n° 66 aborde le thème de la famille, mais il omet de rappeler que le mariage est l’union indissoluble d’un homme et d’une femme, à l’heure où la mode actuelle des unions libres et la revendication de la communion pour les divorcés-remariés l’auraient exigé. En outre, on aurait pu s’attendre à ce qu’une attention plus grande soit portée à la famille chrétienne dans le document papal, puisque c’est par elle que la première transmission de l’Évangile se fait, de génération en génération.
Réflexions sur la période actuelle
Dans les n° 78 et 79, le pape décrit lucidement la vie spirituelle des années postconciliaires : « Aujourd’hui, on peut rencontrer chez beaucoup d’agents pastoraux, y compris des personnes consacrées, une préoccupation exagérée pour les espaces personnels d’autonomie et de détente, qui les conduit à vivre leurs tâches comme un simple appendice de la vie, comme si elles ne faisaient pas partie de leur identité. (…) Ainsi, on peut trouver chez beaucoup d’agents de l’évangélisation, bien qu’ils prient, une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre. La culture médiatique et quelques milieux intellectuels transmettent parfois une défiance marquée par rapport au message de l’Église, et un certain désenchantement. Comme conséquence, beaucoup d’agents pastoraux, même s’ils prient, développent une sorte de complexe d’infériorité, qui les conduit à relativiser ou à occulter leur identité chrétienne et leurs convictions ». Comme les serviteurs de l’Église devraient prendre les armes de l’Esprit et croire à l’efficacité et la fécondité de tous les moyens que le Christ a mis dans les mains de son Église : la prière, la prédication intégrale de la foi, l’administration des sacrements, la célébration du saint sacrifice de la Messe, l’adoration du Saint-Sacrement de l’autel ! Au lieu de cela, ils succombent au « sens de l’échec, qui… (les) transforme en pessimistes mécontents et déçus au visage assombri. Personne ne peut engager une bataille si auparavant il n’espère pas pleinement la victoire. Celui qui commence sans confiance a perdu d’avance la moitié de la bataille et enfouit ses talents. Même si c’est avec une douloureuse prise de conscience de ses propres limites, il faut avancer sans se tenir pour battu, et se rappeler ce qu’a dit le Seigneur à saint Paul : “Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse” (2 Co 12, 9). Le triomphe chrétien est toujours une croix, mais une croix qui en même temps est un étendard de victoire, qu’on porte avec une tendresse combative contre les assauts du mal ». (n° 85)

Le n° 104 revêt une importance particulière puisqu’il réaffirme que le sacerdoce, comme signe du Christ Époux, est réservé aux hommes : « Le sacerdoce réservé aux hommes, comme signe du Christ Époux qui se livre dans l’Eucharistie, est une question qui ne se discute pas ». Au n° 112, la gratuité de la grâce et de l’oeuvre de la Rédemption est mise en évidence : « Le salut que Dieu nous offre est oeuvre de sa miséricorde. Il n’y a pas d’action humaine, aussi bonne soit-elle, qui nous fasse mériter un si grand don. Dieu, par pure grâce, nous attire pour nous unir à lui ». Au point suivant, on rappelle de manière tout à fait juste que le salut n’est pas une affaire individuelle : « Personne ne se sauve tout seul, c’est-à-dire, ni comme individu isolé ni par ses propres forces ». (n°113) L’homme se sauve donc dans l’Église et par l’Église, ou bien il ne se sauve pas.
Enthousiasme missionnaire
Au n° 134, l’importance des universités et des écoles catholiques pour la prédication de la foi et de l’Évangile est soulignée. On peut toutefois regretter le peu de lignes consacrées à ces oeuvres. Le n° 214 s’oppose au meurtre de l’enfant à naître, vivant encore dans le sein de sa mère. Malheureusement le pape ne se réfère aucunement à l’injustice commise contre Dieu, et donc ni à l’ordre naturel ni aux commandements, mais seulement à la valeur de la personne humaine. Dans le n° 235, sont énumérés des principes sains pour lutter contre l’individualisme : « Le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci». Tout le paragraphe est mis sous le titre : « Le tout est supérieur à la partie ». Développer le thème du bien commun aurait certainement pu faire beaucoup de bien à cet endroit. Malheureusement, cela manque.

L’enthousiasme missionnaire et l’activité apostolique sont superbement décrits au n° 267 : « Unis à Jésus, cherchons ce qu’il cherche, aimons ce qu’il aime. Au final, c’est la gloire du Père que nous cherchons, nous vivons et agissons “à la louange de sa grâce” (Ep 1, 6). Si nous voulons nous donner à fond et avec constance, nous devons aller bien au-delà de toute autre motivation. C’est le motif définitif, le plus profond, le plus grand, la raison et le sens ultime de tout le reste. C’est la gloire du Père que Jésus a cherchée durant toute son existence ». 
Condamnation des fidèles attachés à la Tradition
Bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu, nous dit le principe classique de morale. Le bien provient d’une intégrité, mais en revanche si une partie essentielle d’une chose est mauvaise, l’ensemble est mauvais. Les belles parties du document papal, qui nous ont réjouis, ne peuvent nous empêcher de constater la ferme volonté de réaliser le concile Vatican II, non seulement selon la lettre, mais aussi selon l’esprit. La trilogie Liberté religieuse – Collégialité – OEcuménisme, qui, selon les paroles de Mgr Lefebvre, correspond à la devise de la Révolution française : Liberté – Egalité – Fraternité, est développée de manière systématique.

Tout d’abord, aux n° 94 et 95, les fidèles attachés à la Tradition sont réprimandés et même accusés de néo-pélagianisme : « C’est une présumée sécurité doctrinale ou disciplinaire qui donne lieu à un élitisme narcissique et autoritaire, où, au lieu d’évangéliser, on analyse et classifie les autres, et, au lieu de faciliter l’accès à la grâce, les énergies s’usent dans le contrôle… Ni Jésus-Christ ni les autres n’intéressent vraiment… Dans certaines d’entre elles, on note un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Église, mais sans que la réelle insertion de l’Évangile dans le peuple de Dieu et dans les besoins concrets de l’histoire ne les préoccupe ». Comment le pape peut-il croire cela ? N’est-ce pas justement le dynamisme des fidèles catholiques enracinés dans la foi qui démontre le contraire ? Pour ne pas parler de notre Fraternité, n’y a-t-il pas les Franciscains de l’Immaculée, une jeune congrégation missionnaire florissante, qui maintenant se trouve gravement mutilée, sinon détruite par l’intervention brutale du Vatican ? Le document ajoute par la suite : « De cette façon, la vie de l’Église se transforme en une pièce de musée ou devient la propriété d’un petit nombre ».
Manque de réalisme
Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, les écoles catholiques, instruments importants de rechristianisation, bénéficient d’une simple mention, en une seule phrase. Ces établissements sont précisément pour nous un moyen de transmettre l’Évangile. Dans notre Fraternité, nous avons la joie de voir chaque année de nouvelles écoles ouvrir leurs portes.

Le sens de la réalité fait véritablement défaut dans ce document ; ce qui donne l’illusion que la vérité vaincra par elle-même l’erreur. Cette perspective s’appuie sur la parabole du bon grain et de l’ivraie dans le n° 225 : « Il montre comment l’ennemi peut occuper l’espace du Royaume et endommager avec l’ivraie, mais il est vaincu par la bonté du grain qui se manifeste en son temps ». Une telle interprétation est un contresens sur la parabole et une falsification de l’Évangile. Le manque de réalisme est visible aussi au n° 44, où les prêtres sont exhortés à ne pas faire du confessionnal « une salle de torture ». Même si au cours de l’histoire de l’Église, de tels excès ont effectivement existé ici ou là, où est-ce encore le cas aujourd’hui ? N’aurait-il pas été mieux d’ajouter un chapitre sur la confession, sous ses aspects de libération du péché, de délivrance de la culpabilité et de réconciliation avec Dieu, comme point culminant de la nouvelle évangélisation et du renouveau intérieur des âmes ? Cette naïveté, qui est plus encore une contestation du péché originel, ou au moins de ses conséquences dans les âmes et la société, se manifeste aussi au n° 84 où est cité le discours d’ouverture du concile Vatican II, discours empli d’illusions du pape Jean XXIII : « Il nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin… Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruine et calamité ». Malheureusement, les années postconciliaires ont donné raison aux « prophètes de malheur ».
La liberté religieuse, droit fondamental ?
Extrêmement étrange est l’observation faite au n° 129, à savoir qu’il ne faut pas croire que « l’annonce évangélique doit se transmettre toujours par des formules déterminées et figées, ou avec des paroles précises qui expriment un contenu absolument invariable ». Cela nous rappelle inévitablement la doctrine de l’évolution des dogmes, telle que les modernistes la défendent et telle qu’elle a été expressément condamnée par le pape saint Pie X, dans le serment antimoderniste. Cette attitude évolutionniste se montre aussi au sujet de l’Église et de ses structures. La première partie du chapitre 1 porte comme titre La transformation missionnaire de l’Eglise. Et Vatican II est présenté comme le garant de l’ouverture de l’Église à une réforme permanente, parce qu’« il y a des structures ecclésiales qui peuvent arriver à entraver un dynamisme évangélisateur ». (n° 26)

Le n° 255 parle de la liberté religieuse comme un droit fondamental de l’homme. Le pape cite ici Benoît XVI, son prédécesseur sur la Chaire de Pierre avec ces paroles : « Elle (la liberté religieuse) comprend “la liberté de choisir la religion que l’on estime vraie et de manifester publiquement sa propre croyance”. » Une telle déclaration est directement opposée à la 15e proposition du Syllabus du pape Pie IX, où est condamnée cette affirmation : « Il est libre à chaque homme d’embrasser et de professer la religion qu’il aura été amené à regarder comme vraie par les seules lumières de la raison ». La suite de ce n° 255 contredit la doctrine des papes depuis la Révolution française jusqu’à Pie XII inclus. Le pape y parle d’un « sain pluralisme ». Un tel pluralisme est-il compatible avec la connaissance que le Verbe, deuxième Personne du seul vrai Dieu trinitaire, est venu dans le monde pour le racheter, qu’il est la source de toutes les grâces, et qu’en lui seul se trouve le salut ? Le document condamne aussi le prosélytisme. Ce terme est devenu ambigu. Si on le comprend comme recrutement pour la vraie religion avec des moyens impropres, il est certainement à rejeter. Mais aujourd’hui, non seulement toute activité missionnaire, mais aussi n’importe quelle sorte d’argumentaire en faveur de la vraie religion est considérée comme étant déjà du prosélytisme. 
La collégialité
Le concept de collégialité développé par le pape sera encore beaucoup plus funeste pour l’avenir de l’Église. En fait, il faudrait lire le n° 32 au complet : « Du moment que je suis appelé à vivre ce que je demande aux autres, je dois aussi penser à une conversion (« nouvelle orientation », dans la version allemande de l’exhortation. NdT) de la papauté ». Le souverain pontife cite alors l’encyclique Ut unum sint, du pape Jean-Paul II, où celui-ci demande de l’aide pour trouver « une forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission ». Et le pape François de conclure : « Nous avons peu avancé en ce sens ». Est-il donc décidé à faire des progrès aussi sur ce point ? Mais quelle est sa vision ? Il le dit clairement : « Mais ce souhait ne s’est pas pleinement réalisé, parce que n’a pas encore été suffisamment explicité un statut des conférences épiscopales, qui les conçoive comme sujet d’attributions concrètes, y compris une certaine autorité doctrinale authentique ». Selon notre modeste opinion, une conférence épiscopale ne peut jamais être le sujet d’une autorité doctrinale authentique puisqu’elle n’est pas d’institution divine, mais seulement une institution pleinement humaine, de type organisationnel. La papauté en soi est d’institution divine, de même chaque évêque par lui-même, ainsi que tous les évêques dispersés dans le monde en union avec Pierre, mais pas la conférence épiscopale. Si l’on continue sur ce chemin fatal, l’Eglise va très rapidement se désagréger en Églises nationales. Nous lisons au n° 16 : « Je ne crois pas non plus qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde ». Naturellement nous ne pouvons pas attendre que l’Église prenne position sur toutes les questions, mais les papes du passé ont toujours donné les principes d’action pour la conduite tant des individus que de la société, et c’est ce que nous devrions espérer aussi aujourd’hui de l’enseignement papal. Le Christ a institué Pierre afin qu’il paisse le troupeau.
Le dialogue oecuménique et interreligieux
Nous en arrivons finalement à l’oecuménisme, au dialogue oecuménique et interreligieux. Le n° 246 parle de la hiérarchie des vérités. Ce terme ambigu a été déjà utilisé par le concile Vatican II dans son décret sur l’oecuménisme Unitatis redintegratio, au n° 11. Par la suite, on a tenté de mettre de côté la vérité catholique et de dissimuler ce qui pourrait être une pierre d’achoppement pour nos « frères séparés ». En 1982, la Congrégation de la Foi est intervenue et a déclaré que le terme de hiérarchie des vérités ne veut pas dire qu’une vérité est moins importante qu’une autre, mais qu’il existe des vérités desquelles découlent d’autres vérités partielles. Nous ne pouvons qu’être reconnaissants de cette clarification. La foi catholique, vertu théologale, réclame l’acceptation de la Révélation intégrale, en raison de Dieu qui se révèle. Cette clarification donne, en outre, un exemple de la manière avec laquelle on pourrait rectifier les ambiguïtés des textes du concile Vatican II, à l’exception des points franchement erronés. La fin de ce même n° 246, nous invite, nous catholiques, à apprendre des orthodoxes la signification de la collégialité épiscopale et de l’expérience de la synodalité. Nous lisons au n° 247 que l’alliance du peuple juif avec Dieu n’a jamais été supprimée. Cette alliance n’était-elle pas instituée par Dieu afin de préparer son Incarnation salvifique en la personne de Jésus-Christ ? N’était-elle pas une ombre et un modèle qui devaient faire place à la réalité : umbram fugat veritas ? N’est-ce pas la nouvelle et éternelle Alliance conclue dans le saint sacrifice du Christ sur le Calvaire, qui a remplacé l’ancienne ? Le voile du Temple ne s’est-il pas fendu de haut en bas au moment du sacrifice du Golgotha ? Si, selon la déclaration de saint Paul, au chapitre XI de l’épître aux Romains, une grande partie ou même la totalité des Juifs se convertiront à la fin des temps, ce n’est que par la reconnaissance du Christ, seul Sauveur de tous et de chacun des individus, et par l’intégration dans l’Église qui se compose de païens et de Juifs convertis. Il n’y a pas de chemin de salut séparé pour les Juifs, en dehors du Christ. Par ailleurs, l’Église a déjà depuis longtemps assimilé les valeurs du judaïsme de l’Ancien Testament. Pensons spécialement à la prière des psaumes et aux livres de l’Ancien Testament. Nous ne pouvons plus parler d’une « riche complémentarité » avec le judaïsme contemporain.
Le rapport avec l’islam
Les n° 250 à 253 sont consacrés à l’Islam et on y lit que le dialogue interreligieux « est une condition nécessaire pour la paix dans le monde ». Le n° 252, dans la ligne du n° 16 de Lumen Gentium du concile Vatican II, prétend que les musulmans « professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique ». Mais les musulmans ne rejettent-ils pas expressément le mystère de la sainte Trinité, et ne nous reprochent-ils pas pour cela d’être polythéistes ? Le pape dit en plus qu’ils ont une profonde vénération pour Jésus-Christ et Marie, utilisant les paroles de Nostra aetate (n° 3). Mais vénèrent-ils vraiment le Christ comme le Fils de Dieu, égal à lui dans son essence ? Cela semble presque être un détail sans importance.

Au point suivant, le pape arrive à des conclusions concrètes : « Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons d’être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique ». Ce numéro se termine par la fausse affirmation scandaleuse : « Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence ». Le Saint-Père n’a-t-il jamais lu le Coran ? 
L’Église, communauté dialoguante ?
Au n° 254, on aborde le sujet des non-chrétiens en général, et le fait que leurs rites « peuvent être la voie que l’Esprit lui-même suscite pour libérer les non-chrétiens de l’immanentisme athée ou d’expériences religieuses purement individuelles ». Cela ne veut-il pas dire que l’Esprit-Saint oeuvre dans toutes les religions non-chrétiennes et qu’elles sont toutes des chemins de salut ? La foi de l’Islam en un seul Dieu est certainement – si on parle de manière abstraite – supérieure au polythéisme des païens. Cependant pédagogiquement et psychologiquement, il est beaucoup plus facile de convertir un païen que de convertir un musulman, car celui-ci est intégré dans un système socioreligieux : sortir de ce système met en danger sa vie. Mais les religions non-chrétiennes ne sont nullement des chemins neutres de vénération de Dieu, car elles sont trop souvent mêlées à des éléments démoniaques qui empêchent l’homme de parvenir à la grâce du Christ, de se faire baptiser et ainsi de sauver son âme. Rien n’a causé plus de dommage à la protection et à la transmission de la foi dans les cinquante dernières années que cet oecuménisme et ce dialogue interreligieux débordants qui ne sont rien d’autre que « la dictature du relativisme » religieux (cardinal Ratzinger). Ce mal a fait disparaître la définition de l’Église comme Corps mystique du Christ, seule épouse de l’Agneau sacrifié et unique chemin de salut. C’est justement cet oecuménisme qui a transformé l’Église missionnaire en une communauté « dialoguante » oecuménique parmi d’autres communautés religieuses.
Appeler dans le cadre de cet oecuménisme l’Église à la joie de l’Évangile et vouloir la transformer en une Église missionnaire, n’est pas peu tragico-comique. Comment peut-elle penser et agir de manière missionnaire, quand elle ne croit pas à sa propre identité et à sa mission ? 
Une mise en oeuvre des orientations contestables de Vatican II
Quoique l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium puisse contenir des aspects justes, comme dans la semence dispersée, elle n’est dans l’ensemble rien d’autre qu’un développement consécutif au concile Vatican II, dans ses conclusions les plus inacceptables. Nous ne voyons pas en ce dernier « des voies pour la marche de l’Eglise pour les prochaines années » (n° 1), mais plutôt un autre pas funeste pour le déclin de l’Eglise, la décomposition de sa doctrine, la dissolution de ses structures, et même pour l’extinction de son esprit missionnaire qui est pourtant évoqué à maintes reprises (dans l’exhortation). Ainsi Evangelii gaudium devient Dolor fidelium, un chagrin et une douleur pour les fidèles.

Les catholiques attachés à la Tradition de l’Église se doivent de suivre la devise du pontificat de saint Pie X : Instaurare omnia in Christo, tout renouveler dans le Christ. C’est ce que nous voyons comme le seul chemin, la seule voie « pour la marche de l’Eglise pour les prochaines années » (n° 1). Aussi réfugions-nous par le chapelet quotidien auprès de Celle qui a vaincu toutes les hérésies dans le monde.

Abbé Franz Schmidberger, Directeur du Séminaire Herz Jesu de Zaitzkofen (Allemagne)