20 août 2013

[DICI] La leçon de saint François d’Assise

SOURCE - DICI - 20 août 2013
À l’occasion de l’Aïd-El-Fitr, qui marque la fin du mois de Ramadan, le pape François a signé personnellement, le 10 juillet 2013, le message que le Vatican adresse tous les ans aux musulmans, comme Jean-Paul II l’avait fait en 1991. Ce message a été rendu public le 2 août, et le dimanche 11 août, lors de l’Angélus, place Saint-Pierre, le souverain pontife a redit : « Je voudrais adresser un salut aux musulmans du monde entier, nos frères, qui ont il y a peu de temps fêté la conclusion du mois de Ramadan ».

Le pape présente son geste comme une « expression d’estime et d’amitié envers tous les musulmans, spécialement envers leurs chefs religieux », et il appelle chrétiens et musulmans à promouvoir « le respect réciproque à travers l’éducation ». On peut ainsi lire à propos du « respect mutuel dans les relations interreligieuses, notamment entre chrétiens et musulmans » : « ce que nous sommes appelés à respecter c’est la religion de l’autre, ses enseignements, ses symboles et ses valeurs ». Et le message pontifical ajoute au paragraphe suivant : « Il est clair que, quand nous montrons du respect pour la religion de l’autre ou lorsque nous lui offrons nos vœux à l’occasion d’une fête religieuse, nous cherchons simplement à partager sa joie sans qu’il s’agisse pour autant de faire référence au contenu de ses convictions religieuses. »

Contrairement à ce qui est affirmé, ce n’est pas clair. C’est même tout à fait paradoxal. Comment « respecter la religion de l’autre, ses enseignements, ses symboles et ses valeurs », comment « partager sa joie » sans « pour autant faire référence au contenu de ses convictions religieuses » ? Est-ce un respect purement extérieur, pharisaïque ? Comment ce respect est-il perçu par ceux qui reçoivent une telle « expression d’estime et d’amitié » ?

Une confusion est entretenue dans ce texte. Le respect dû aux personnes n’entraîne pas le respect de leur religion lorsqu’elle s’oppose à la vérité révélée du Dieu Trine, comme dans l’islam. De même que le zèle du médecin pour la santé de son malade est à la mesure de son zèle à combattre la maladie dont il souffre, de même l’amour du pécheur est proportionné à la détestation du péché dont on veut le délivrer.

Dans son message aux musulmans, le pape cite son saint patron, François d’Assise, qu’il présente en ces termes : « un saint très célèbre qui a si profondément aimé Dieu et chaque être humain au point d’être appelé le ‘Frère universel’ ». Voici ce que le Poverello répondit, en 1219, au sultan d’Egypte, Malik al-Kâmilqui lui déclarait : « Votre Seigneur vous a enseigné dans ses évangiles que vous ne deviez pas rendre le mal pour le mal, et aussi d’abandonner le manteau… Alors les chrétiens devraient-ils bien ne pas envahir mes États, n’est-ce pas ?”. Le saint fit cette réponse : « Vous ne semblez pas avoir lu l’Évangile de Notre Seigneur le Christ tout entier ; car il est dit par ailleurs : ‘Si ton œil te scandalise arrache-le et jette-le loin de toi…’ Il a donc voulu par là nous enseigner qu’il n’est homme qui nous soit si cher ou si proche parent, quand bien même nous serait-il aussi précieux que notre œil, s’il paraît se détourner de la foi et de l’amour de Notre Seigneur, nous devons nous en séparer, l’arracher le rejeter loin de nous. C’est pourquoi les chrétiens ont eu raison d’envahir les terres que vous occupez parce que vous avez blasphémé le nom du Christ et que vous avez soustrait à son culte tous ceux que vous avez pu. Mais si vous vouliez connaître notre Créateur et notre Rédempteur, les confesser et leur rendre hommage, les chrétiens vous chériraient comme ils se chérissent entre eux.” (Récit du frère qui accompagnait saint François lors de cette entrevue, rapporté par saint Bonaventure) – Saint François distingue bien ici le rejet de l’erreur et l’amour pour ceux qu’il souhaite pouvoir chérir, à condition qu’ils reconnaissent le Christ.

L’abbé Patrice Laroche, professeur au séminaire de Zaitzkofen (Allemagne), et auteur d’une thèse de doctorat sur « l’évangélisation des musulmans en France » (Strasbourg, 2001), affirmait lors d’une conférence donnée à Paris, le 8 mars 2006 (in Nouvelles de Chrétienté n° 98, mars-avril 2006) : « Ayant assimilé les idéaux de deux siècles de culture libérale, l’Eglise post-conciliaire donne plus de poids à la parole de l’homme qu’à la Parole de Dieu, sa mission n’est donc plus la propagation de la foi dont naît l’amour, mais le dialogue d’où devraient sortir selon ses partisans le respect mutuel et la fraternité universelle. Si elle rabaisse sa mission à un niveau qui reste de ce monde, elle mérite le reproche d’être infidèle à son Seigneur. » Et de citer Raymond Lulle (1232-1315) : « Que l’Eglise cesse d’être missionnaire, et elle est aussitôt menacée d’affaiblissement interne. L’oubli de la ferveur primitive explique l’essor de l’islam qui a déjà amputé la chrétienté d’une moitié de son étendue et de ses fidèles » ; et Charles de Foucauld, écrivant à René Bazin en 1906 : « Apprenez bien par cœur que c’est seulement en christianisant les musulmans que vous les civiliserez, que c’est en les civilisant que vous les intégrerez, et que c’est en les intégrant que vous ajouterez d’autres Cyprien et Augustin à vos Vincent de Paul et Curé d’Ars ».

En rupture avec la Tradition, le message aux musulmans du 10 juillet 2013 s’inscrit dans la droite ligne du concile Vatican II dont la Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Nostra Aetate (28 novembre 1965) affirme au n°3 : « L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne. »

Cette déclaration conciliaire fait bien référence au contenu des convictions religieuses professées par les musulmans. Ce qui soulève plusieurs questions : En quoi désirent-ils “se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu”, dès lors qu’ils rejettent la Révélation faite aux hommes ? Comment adorent-ils “le Dieu qui a parlé aux hommes”, alors qu’ils rejettent la révélation du Fils de Dieu ? Comment honorent-ils “la Mère virginale” de Celui qu’ils ne reconnaissent pas pour Dieu ? Comment peuvent-ils honorer la Mère s’ils méprisent son Fils, « le fruit béni de ses entrailles » ?

Mais c’est surtout au paragraphe suivant du même n°3 que l’on voit que ce message est bien l’écho de la Déclaration Nostra Aetate : « Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passéet à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. »

Doit-on pour oublier le passé fermer les yeux sur le présent, c’est-à-dire sur le martyre de tant de chrétiens en Égypte, en Syrie, en Irak, au Nigéria, au Pakistan, en Thaïlande, en Indonésie ou aux Philippines ? Faut-il à la persécution sanglante dont ils sont les victimes ajouter l’oubli du témoignage qu’ils donnent au prix de leur vie ?

Désireux de ne pas favoriser cet oubli dicté par le dialogue interreligieux, depuis 50 ans, le Chapitre général de la Fraternité Saint-Pie X avait tenu à rappeler dans sa déclaration finale du 14 juillet 2012 : « Nous nous unissons aux autres chrétiens persécutés dans les différents pays du monde qui souffrent pour la foi catholique, et très souvent jusqu’au martyre. Leur sang versé en union avec la Victime de nos autels est le gage du renouveau de l’Eglise in capite et membris, selon ce vieil adage ‘sanguis martyrum semen christianorum’. »

(DICI du 20/08/13)