21 février 2013

[Sandro Magister - Chiesa (blog)] L'appel extrême: que le pape retire sa démission

SOURCE -  Sandro Magister - Chiesa (blog) - 20 février 2013

Les réactions des traditionalistes à la renonciation de Benoît XVI. Légitime mais inopportune, d'après Roberto de Mattei. Impossible philosophiquement et théologiquement, selon Enrico Maria Radaellii
ROME, le 20 février 2013 – Comment les défenseurs les plus résolus de la tradition catholique ont-ils réagi à la démission de Benoît XVI ?

L’historien de l’Église Roberto de Mattei a commenté la décision du pape Joseph Ratzinger dans une note mise en ligne sur le site web qu’il dirige, "Corrispondenza Romana" : Considerazioni sull'atto di rinuncia di Benedetto XVI

De Mattei ne conteste pas que la renonciation de Benoît XVI au pontificat soit légitime.

Il reconnaît qu’"elle est prise en considération par le droit canonique et [qu’] il y en a eu historiquement au cours des siècles".
   
Et elle est également fondée théologiquement, parce qu’elle met un terme non pas au pouvoir d’ordre conféré par le sacrement, qui est indélébile, mais seulement au pouvoir de juridiction.

Du point de vue historique, toutefois, de Mattei affirme que la renonciation du pape Joseph Ratzinger "apparaît comme étant en discontinuité absolue avec la tradition et la pratique de l’Église":

"On ne peut faire de comparaison ni avec Célestin V, qui donna sa démission après avoir été arraché par la force à sa cellule érémitique, ni avec Grégoire XII, qui fut à son tour contraint à renoncer afin de résoudre la gravissime question du Grand Schisme d’Occident. Il s’agissait de situations exceptionnelles. Mais où est l’exception dans le geste de Benoît XVI ? La raison officielle, inscrite dans sa déclaration du 11 février, exprime, plus que l’exception, la normalité".

C’est la "normalité" qui coïnciderait simplement avec "la vigueur du corps et de l’esprit".

Mais alors "il y a lieu de s’interroger" :

"En deux mille ans d’histoire, combien y a-t-il eu de papes qui ont régné en étant en bonne santé, qui n’ont pas ressenti le déclin de leurs forces et qui n’ont pas souffert en raison de maladies et d’épreuves morales de toutes sortes ? Le bien-être physique n’a jamais été un critère de gouvernement de l’Église. Va-t-il l’être à partir de Benoît XVI ?".

S’il en est ainsi – écrit de Mattei – le geste de Benoît XVI prend une portée "pas simplement innovatrice, mais révolutionnaire" :

"Aux yeux de l’opinion publique du monde entier, l’image de l’institution pontificale serait en effet dépouillée de sa sacralité pour être soumise aux critères de jugement de la modernité".

Et c’est ainsi que serait atteint l'objectif qui a été revendiqué à de nombreuses reprises par Hans Küng et par d’autres théologiens progressistes : celui de réduire le pape à un statut de "président d’un conseil d’administration, à un rôle purement arbitral, avec, à ses côtés, un synode permanent d’évêques, ayant des pouvoirs de délibération".
*
C’est à des conclusions beaucoup plus radicales que parvient le philosophe et théologien Enrico Maria Radaelli.

Il a présenté dans une note de 13 pages, publiée sur son site web, les critiques argumentées que lui inspire le geste de Benoît XVI : Aurea Domus

Le titre de la note ne laisse pas de place au doute :

"Pourquoi le pape Ratzinger Benoît XVI devrait retirer sa démission. Le temps d’un nouveau pape n’est pas encore venu parce que ce serait celui d’un antipape".

Radaelli prend comme point de départ les paroles que Jésus ressuscité adresse à l’apôtre Pierre, au chapitre 21 de l’évangile de Jean. Il en conclut que "la croix est le statut de tout chrétien" et que, par conséquent, "se rebeller contre son statut, rejeter une grâce reçue, semble constituer, pour un chrétien, une faute grave contre la vertu d’espérance, contre la grâce et contre la valeur surnaturelle de l’acceptation par chacun de sa condition humaine, cette faute étant encore plus grave si cette condition comporte des rôles 'in sacris', comme c’est le cas pour la condition la plus éminente de toutes, celle de pape".

Alors qu’il s’enfuit de Rome, le Pierre de "Quo vadis" rencontre Jésus qui va prendre sa place pour mourir ; c’est la même chose qui "se produit lorsqu’un pape (mais aussi le dernier des fidèles) s’enfuit de l’endroit où le Christ l'a placé pour qu’il peine, qu’il souffre, qu’il meure peut-être : ce qui se passe, c’est que le Christ va peiner, souffrir, peut-être mourir aussi, à sa place".

Il est vrai – reconnaît Radaelli – que le canon 333 du code de droit canonique stipule qu’un pape a le pouvoir de démissionner, "mais je dis que ce pouvoir, même le pape ne l’a pas, parce que ce serait l'exercice d’un pouvoir absolu qui est en opposition avec le fait d’être soi-même". Et "même à Dieu il est impossible " de ne pas être ce qu’il est.

La démission d’un pape – poursuit-il – même si elle est permise légalement, "n’est pas permise métaphysiquement et mystiquement, parce qu’en métaphysique elle est liée au nœud de l’être, qui ne permet pas qu’une chose puisse simultanément être et ne pas être, et en mystique elle est liée au nœud du Corps mystique qu’est l’Église, pour lequel la responsabilité endossée [par le successeur de Pierre] avec le serment de l’élection place l’être de l’élu sur un plan ontologique substantiellement différent de celui où il était précédemment : sur le plan, plus élevé métaphysiquement et spirituellement, de Vicaire du Christ".

Il ajoute :

"Ne pas prendre ces faits en considération, c’est, à mon avis, porter un coup mortel au dogme. Démissionner, c’est perdre le nom universel de Pierre et régresser pour revenir à l’être privé de Simon, mais cela ne peut pas se faire, parce que le nom de Pierre, de Cephas, de Roc, est donné sur un plan divin à un homme qui, en le recevant, ne se fait plus seulement lui-même, mais 'fait Église'. Sans compter que, le pape qui se sera lui-même démis de ses fonctions ne pouvant en réalité pas démissionner, le pape qui lui succédera ne sera, malgré lui, qu’un antipape. Et celui qui règnera, ce sera lui, l’antipape, et non pas le vrai pape".

Et Radaelli de conclure :

"Je termine donc sur la considération suivante : le pape Joseph Ratzinger-Benoît XVI ne devrait pas démissionner, mais il devrait revenir sur sa décision suprême en reconnaissant le caractère métaphysiquement et mystiquement irréalisable, et donc inconsistant légalement, de celle-ci. Ce n’est pas la démission qui devient un acte de courage surnaturel, mais son retrait et Dieu seul sait combien l’Église a besoin d’un pape surnaturellement, et non pas humainement, courageux. Un pape qui soit célébré non pas par les 'liberal' du monde entier, mais par les anges de tous les cieux. Un pape martyr, en plus, un jeune lionceau du Seigneur, conduit plus d’âmes au ciel que cent papes démissionnaires".

Roberto de Mattei a publié en 2011 une histoire du concile Vatican II qui constitue une alternative à celle, très répandue, qui a été rédigée par la progressiste "école de Bologne": "Un concile peut aussi commettre des erreurs"

Quant au dernier livre d’Enrico Maria Radaelli, paru tout récemment, il a pour titre "Il domani - terribile o radioso? - del dogma" [Les lendemains - terribles ou radieux ? - du dogme] :L'impossible "road map" de la paix avec les lefebvristes

Les auteurs expliquent l’un et l’autre la crise actuelle de l’Église non seulement par de mauvaises interprétations et applications de Vatican II, mais par des erreurs commises par le concile lui-même.

Le jugement exprimé par www.chiesa à propos de l’annonce par Benoît XVI de sa renonciation au pontificat est très différent du leur : Qui va reprendre les clés de Pierre? 

Traduction française par Charles de Pechpeyrou.