19 février 2013

[Paix Liturgique] Radiographie des opinions des fidèles assistant aux messes de la Fratrenité Saint-Pie X: les résultats de notre enquête exclusive

SOURCE - Paix Liturgique n°375 - 18 février 2013

En marge des négociations entre Rome et Écône, nous avions décidé l'été dernier de nous intéresser de plus près aux fidèles qui assistent aux messes selon la forme extraordinaire du rite romain célébrées par des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X fondée en 1970 par Monseigneur Lefebvre.

Pour ce faire, du 1er septembre 2012 au 16 janvier 2013, nous avons questionné 795 catholiques de plus de 18 ans déclarant assister au moins une fois par mois à la messe dans une église ou chapelle desservie par la Fraternité-Saint-Pie X ou une communauté associée (Capucins de Morgon, Fraternité de la Transfiguration, Dominicains d'Avrillé…).


Si cette étude n’a pas le caractère scientifique de la vingtaine de sondages commandités depuis 2001 par Paix liturgique auprès d’organismes professionnels et indépendants, ses enseignements immédiats et spontanés n’en sont pas moins intéressants.

I – LES RÉSULTATS
Question n°1 : Savez-vous que la Fraternité Saint-Pie X est en situation irrégulière vis-à-vis de l'Église (ou, selon le mot du cardinal Castrillón Hoyos, en « communion imparfaite » avec le Saint-Père et les autorités de Rome) ?
Oui : 90 %
Non : 4 %
NSPP (ne se prononcent pas) : 6 %

Question n°2 : Cette situation irrégulière :
Vous pose un problème de conscience ? 8 %
Ne vous pose aucun problème de conscience ? 55 %
Ne vous concerne pas : 25 %
NSPP : 12 %

Question n°3 : Selon vous, la signature d’un accord entre la Fraternité Saint-Pie X et les autorités de Rome interviendra :
Dans un proche avenir : 28 %
Tôt ou tard, c’est inéluctable : 49 %
Probablement jamais : 9 %
NSPP : 14 %
 
Question n°4 : Concernant cet accord proposé par Rome, pensez-vous :
Que le supérieur de la Fraternité Saint-Pie X doit le signer ? 23 %
Qu’il ne doit le signer qu’avec des garanties ? 23 %
Que vous lui faites confiance pour savoir ce qu’il doit faire ? 24 %
Qu’il ne doit pas le signer ? 21 %
NSSP : 9 %

Question n°5 : Parmi les réponses suivantes, laquelle est la plus significative pour expliquer pourquoi vous pratiquez généralement dans un lieu de culte desservi par la Fraternité Saint-Pie X ?
Parce que j’y trouve la messe catholique, les sacrements « et tout ce qui va avec » : 61 %
Parce que je n’ai pas confiance ailleurs : 18 %
Parce que je le fais depuis toujours : 8 %
Parce que c'est la messe traditionnelle la plus proche : 10 %
NSPP : 3 %

Question n°6 : Si la messe traditionnelle était régulièrement célébrée dans votre propre paroisse territoriale, y assisteriez-vous ?
La plupart du temps: 15 %
De temps à autre : 34 %
En quelques occasions : 7 %
Jamais : 36 %
NSPP : 8 %
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) L’immense majorité des fidèles interrogés qui pratiquent habituellement leur foi catholique dans un lieu de culte de la Fraternité-Saint-Pie X sont conscients de la situation canonique originale de la Fraternité-Saint-Pie X.
Cependant, cela ne signifie nullement que ces fidèles considèrent cette irrégularité comme fondée ni qu’ils se sentent eux-mêmes en « communion imparfaite », selon le mot du cardinal Castrillón Hoyos.
 
Ce qui est intéressant, c’est qu’en dépit de la conscience de l’appréciation posée par Rome, ces fidèles pratiquent sans problème dans ces lieux de culte, s’y investissent et ne semblent nullement impressionnés ni même embarrassés par ce que peut dire tel ou tel d’homme d’Église au sujet de la Fraternité-Saint-Pie X, qu'il s'agisse de l'évêque du lieu, d'un cardinal – ou même du Pape, qui a parlé d’« illégitimité » des prêtres de la Fraternité-Saint-Pie X.

On pourrait dire, comme certains sociologues, que les fidèles qui assistent au culte de la Fraternité-Saint-Pie X sont, à leur façon, des catholiques « modernes » : des catholiques que les sanctions canoniques ne touchent plus. On pourrait aussi avancer que si ces fidèles n'accordent guère de légitimité aux « condamnations » qui les visent, c'est parce qu'ils constatent que de nombreux abus doctrinaux et liturgiques qui se produisent dans l'Église ne sont jamais réprimés. D'où un sentiment de « deux poids, deux mesures » qui les renforcent plutôt dans leur démarche.
 

2) La majorité des fidèles interrogés (61 %) voient dans la Fraternité-Saint-Pie X et ses communautés amies l’assurance de bénéficier de la messe, des sacrements traditionnels, de la doctrine traditionnelle et de tout ce qui va avec (écoles, œuvres, scoutismes…). Les réponses laissent entendre qu’un certain nombre d’entre eux fréquentent aussi d’autres lieux de messe traditionnels. Nous n'avons pas eu la possibilité de distinguer les réponses en fonction de l'âge et de l'origine géographique. Néanmoins, nous émettons volontiers l’hypothèse que ceux qui pratiquent indifféremment aussi bien dans les chapelles Fraternité-Saint-Pie X que dans les lieux de culte en pleine communion avec Rome (pour garder la définition du cardinal Castrillón Hoyos) sont à chercher parmi les plus jeunes et les habitants des villes. De même, nous savons que les déplacements lors des vacances, par exemple, sont l’occasion d’une très grande fluidité des fidèles, les proches de la Fraternité-Saint-Pie X n’hésitant pas à fréquenter des chapelles « officielles », et inversement.

Ce qui est sûr, c'est que le point capital pour ces fidèles est d'avoir accès non seulement à la forme extraordinaire du rite romain mais aussi à l'ensemble des services pastoraux qui vont avec. Dans cette perspective, la situation canonique du célébrant apparaît secondaire à leurs yeux dès lors que, en plus de la liturgie stricto sensu, ils sont certains de l’esprit dans lequel celui-ci célèbre ainsi que de sa bonne volonté, de sa disponibilité et de son zèle missionnaire.

Ces fidèles n’ont pas forcément de notions précises de droit et de théologie morale, mais ils savent par le bon sens ce que le droit canonique permet, à savoir de s’adresser à des prêtres en situation irrégulière pour « une juste cause » (can. 1335), et qu’en sens inverse, l’assistance à la messe de certains prêtres de paroisse répugne au titre du « scandale ».

En définitive, on va à la Fraternité-Saint-Pie X parce que c'est « carré », parce que c’est un tout et qu'on ne veut pas perdre son temps à se battre en permanence avec les curés ou à avaler des couleuvres.
 
3) La majorité des fidèles qui assistent aux messes de la Fraternité-Saint-Pie X et qui nous ont répondu sont d’abord attachés à la messe traditionnelle et ensuite à la Fraternité-Saint-Pie X. Les réponses confirment ce que l’on sait d’expérience : cette communauté née en 1970, avec son maillage de lieux de culte et d’écoles dispose d’un certain nombre de fidèles très attachés et reconnaissants, ayant comme un esprit de famille au sein de la Fraternité-Saint-Pie X. C’est d'ailleurs le cas de l’ensemble des communautés nouvelles, qu'elles soient traditionnelles ou non. Et, comme ces communautés, la Fraternité-Saint-Pie X a non seulement ses « fans », mais aussi ses « usagers », qui trouvent chez elle ce qui correspond à leur foi et à leur sensibilité. Au total, c’est la fameuse « pratique à la carte » partout constatée de nos jours et que la situation liturgique et doctrinale catastrophique dans les paroisses favorise largement.

Ce lien fort entre les fidèles et « leur » famille catholique, est confirmé par les trop rares applications paroissiales du Motu Proprio Summorum Pontificum qui sont bien loin de vider les lieux de culte voisins desservis par la Fraternité-Saint-Pie X, surtout lorsque l'application diocésaine du Motu Proprio est limitée à la messe et n'offre pas d'apostolat spécifique.

En fait, de même que la naissance des communautés Ecclesia Dei a accru le nombre total des fidèles traditionnels, l’application paroissiale du Motu Proprio Summorum Pontificum draine vers la forme extraordinaire des fidèles qui pratiquaient jusque-là selon la forme ordinaire ou qui avaient arrêté de pratiquer. Contrairement aux espoirs des tenants de la rupture liturgique, le nombre des fidèles attirés par la liturgie traditionnelle ne va pas en diminuant mais en s'accroissant continûment.
 

4) Il  est probable, quelle que soit l’issue des négociations entre Rome et la Fraternité-Saint-Pie X et quelle que soit l’orientation du nouveau pontificat, que la typologie entre « traditionnels Fraternité-Saint-Pie X » et « traditionnels officiels » des paroisses Summorum Pontificum et des communautés Ecclesia Dei, devrait continuer à s’estomper, surtout dans les jeunes générations (et même au-delà du monde traditionnel proprement dit : les jeunes catholiques « traditionalistes » et les jeunes catholiques « identitaires » se retrouvent ensemble sans problème dans des messes traditionnelles ou dans des messe ordinaires dites « carrées », les mariages jouant à cet égard un rôle de mixage qu’il conviendrait d’étudier). Par ailleurs, le mouvement de « retour » que nous ne cessons de constater dans nos lettres va dans le sens d’une normalisation de fait d’une partie conséquente de la Fraternité-Saint-Pie X, anticipant la normalisation de droit. Ceci aurait pu être considérablement accéléré si les autorités romaines avaient à la fois saisi cette fluidité relative des « publics » et avaient soutenu ceux qui ont fait confiance aux « officialisations » par Rome de la pratique traditionnelle, manifestées par le Motu Proprio Ecclesia Dei de 1988 et le Motu Proprio Summorum Pontificum de 2007.


Pour réduire la « dissidence » Fraternité-Saint-Pie X et pousser les « irréguliers » à devenir « réguliers », elles ont usé du bâton – « Pas de mélange entre les réguliers et les irréguliers ! », comme vient de l'illustrer Mgr Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg – sans vouloir cependant user de la carotte puisqu'elles ont laissé les prêtres et les fidèles « réguliers » se débrouiller eux-mêmes avec les évêques hostiles.