27 novembre 2012

[Paix Liturgique] L'accueil de la forme extraordinaire dans les paroisses : perpétuation de la parenthèse miséricordieuse ou début d’une transformation durable des mentalités ?

SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°363 - 27 novembre  2012

Cette semaine, nous vous proposons deux documents. Il s'agit de textes signés au cours de l'année 2012 par des prêtres diocésains pour expliquer à leurs paroissiens les raisons pour lesquelles la forme extraordinaire de la messe romaine faisait son apparition dans le calendrier des célébrations liturgiques locales.

Ces deux textes sont si différents dans leur ton et leur substance qu'ils témoignent non seulement du long chemin qu’il reste encore à accomplir pour obtenir la cohabitation pacifique et fructueuse des deux formes de l'unique rite romain dans nos paroisses, mais aussi et d’abord du fossé en train de s’établir entre les générations cléricales qui ont « tout bradé » et celles qui, leur ayant succédé, tentent de gérer tant bien que mal une effroyable faillite.

Nous vous les proposons en ayant volontairement gommé les possibilités d'identification de ces messages afin que ne soient pas jugés les hommes, mais seulement l’expression concrète de leurs dispositions ecclésiales.

I – LA PRÉSENTATION CHARITABLE ET « OUVERTE »

Une seule messe, deux « formes » : quelques repères


Depuis saint Pierre, la mission de ses successeurs est d’affermir les disciples du Christ dans la foi et de servir l’unité de l’Église. En juillet 2007, pour honorer cette responsabilité en favorisant le maintien ou le retour dans la communion de l’Église catholique des fidèles attachés à la liturgie célébrée selon le missel romain qui avait cours jusqu’en 1969, le pape Benoît XVI promulguait une loi universelle pour l’Église catholique latine, par le Motu Proprio Summorum Pontificum.

Ce texte insiste d’abord sur l’existence d’un seul rite liturgique romain, qui exprime la foi reçue des Apôtres dans la tradition latine de l’Église. D’autres rites, moins connus, existent en Occident (rite ambrosien à Milan, rite mozarabe en Espagne par exemple) et surtout en Orient (rite byzantin, rite maronite, pour ne citer qu’eux). Cet unique rite romain s’est développé au cours des siècles. Suite au Concile de Trente au XVIème siècle, le pape saint Pie V en a généralisé la diffusion, ce qui fait que l’on parle de messe « tridentine » ou « de Saint Pie V ». Les dernières modifications apportées à ce missel ont été faites par le bienheureux Jean XXIII en 1962, au seuil du dernier Concile.

Benoît XVI, dans le texte évoqué, désigne la liturgie célébrée selon le missel promulgué par le Pape Paul VI en 1970, suite au Concile Vatican II, celle de nos messes paroissiales et diocésaines habituelles, comme la « forme ordinaire » de l’unique rite romain, et la liturgie célébrée selon le missel « du bienheureux Jean XXIII », comme sa « forme extraordinaire ».

Toujours selon cette décision pontificale, les curés de paroisse à qui un groupe de fidèles demande de pouvoir vivre la messe « dans la forme extraordinaire » doivent accueillir cette demande avec bienveillance, si cette demande va de pair avec une reconnaissance de la validité et de la légitimité de la « forme ordinaire ». Déjà en 1984 et 1988, le pape Jean-Paul II avait encouragé, à certaines conditions, l’accueil de telles demandes par les évêques. C’est pourquoi en 2002, [l'évêque] avait instauré la célébration dominicale d’une messe « tridentine » à [-]. De même, en 2008, suite à la publication de
Summorum Pontificum, [l']administrateur diocésain avait permis la mise en place d’une messe dominicale célébrée dans la forme extraordinaire à l’église Notre-Dame.

Une demande a été faite au printemps dernier pour que cette forme liturgique puisse être proposée chaque dimanche de l’été, puis de l’année [dans notre paroisse]. Dans la discussion, il est apparu que les conditions (reconnaissance de la valeur de la forme ordinaire, sens de l’Église, volonté de communion) étaient réunies pour recevoir cette demande comme légitime, tout en tenant compte du contexte paroissial et notamment de la diminution importante du nombre de prêtres en activité.

C’est pourquoi, à partir du 27 novembre, premier dimanche de l’Avent, avec l’accord de [notre évêque] et sous la responsabilité [du] curé-doyen, une messe sera célébrée dans la forme extraordinaire, le dernier dimanche de chaque mois et aux fêtes principales, dans la chapelle du Sacré-Cœur.

Deux prêtres assureront ce service en alternance [-]. Une évaluation sera faite avec le Conseil de paroisse au mois de mai.

L’esprit de cette messe mensuelle doit être bien clair : il s’agit d’œuvrer comme nous le demande le Pape à la « réconciliation interne de l’Église » en accueillant fraternellement nos frères catholiques attachés à la « forme extraordinaire » de la liturgie. Il ne s’agit pas « d’un retour en arrière » et encore moins d’une remise en cause du Concile Vatican II, dont nous nous apprêtons à célébrer le cinquantenaire avec joie et reconnaissance.

L’expérience de nos frères chrétiens d’Orient montre que l’on peut partager la même foi et célébrer celle-ci avec des formes liturgiques différentes, à plus forte raison lorsqu’il s’agit du même rite : unité n’est pas synonyme d’uniformité.

Confiant dans le désir profond de communion dans la foi et la charité qui anime votre communauté paroissiale, nous pouvons confier à [la Vierge] notre marche vers une unité effective de tous les baptisés, en réponse à la prière du Christ Jésus : « Je te prie Père : qu’ils soient un comme nous sommes un, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,22-23)
Signé du vicaire général du diocèse

II – LA PRÉSENTATION ANACHRONIQUE

Une messe telle que célébrée avant 1964…


Rupture et continuité : ce sont les mots que notre pape Benoît XVI emploie pour parler de la fidélité de l’amour de Dieu manifestée au cours des nombreuses étapes de l’histoire de l’humanité et de l’Église. Les conciles qui jalonnent depuis 2 000 ans l’histoire de l’Église sont le mûrissement progressif d’une unique compréhension et d’une mise en œuvre de l’Évangile de Jésus-Christ pour chaque époque. L’Église ne cesse d’accueillir et de transmettre ce que l’Esprit Saint lui donne de comprendre du dessein de Dieu pour l’humanité.

Dans la continuité des conciles précédents, le 2ème concile du Vatican (dont on célèbre les 50 ans de son ouverture cet automne 2012) développe pour notre temps certains points de la foi catholique de toujours. Il met en lumière entre autres :
– l’exigence de la liberté religieuse ;
– la nécessaire ouverture à ce monde, aimé et sauvé par Dieu ;
– la passion pour l’unité des chrétiens ;
– la remise au premier plan de l’écoute, de l’étude et de l’accueil de la Parole de Dieu ;
– la redécouverte de l’Église peuple de Dieu en marche.

L’ensemble de ces données est irrévocable. Cela ne marque pas une rupture mais une avancée, dans une profonde continuité du message du Christ transmis par l’Église à travers les âges.

Certains catholiques ont focalisé leur désaccord avec le Concile sur la liturgie, et se sont laissés entraîner dans le schisme de Mgr Lefebvre en marquant une rupture avec Rome. Les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont fait les premiers pas à leur rencontre pour tenter de les ramener dans la pleine communion avec l’Église, et tous les catholiques ne peuvent que se joindre à cet élan de réconciliation. Benoît XVI a bien montré qu’il n’y avait pas de rupture entre la réforme liturgique mise en œuvre actuellement et la façon de célébrer la messe jusqu’en 1964. C’est pourquoi il autorise, à certaines conditions précises, la messe en latin sous la forme extraordinaire d’hier, à côté de la forme ordinaire d’aujourd’hui. Le rite et surtout la foi de l’Église sont uniques, même si les modalités visibles sont différentes.

Avant son départ [-], [notre évêque], à la demande d’un « groupe constitué » [-], a autorisé une telle célébration [dans notre paroisse].

Cette possibilité doit favoriser l’unité de la foi et la participation pleine et entière à tous les aspects de la vie de l’Église :
– Il ne saurait donc être question de la constitution d’un groupe particulariste se situant en opposition ou même en marge de la communauté, avec une catéchèse ou d’autres services à part.
– Il ne saurait non plus être question de remise en cause des apports du Concile, même sous l’aspect particulier de la réforme liturgique.

C’est pourquoi cette possibilité de la Messe selon le missel de Jean XXIII (1964) est assortie d’un certain nombre de conditions :
1) Que cela n’ait pas lieu chaque dimanche à la place d’une messe paroissiale déjà existante, mais en plus et seulement quelques dimanches dans l’année (6 à 8 fois par an). Ce sera alors le dimanche soir à 18 h.
2) Puisqu’il s’agit d’une messe paroissiale supplémentaire, [-] que le curé, en soit le célébrant. Même s’il devait être indisponible, qu’il ne soit pas fait appel à un prêtre venant de l’extérieur, invité par relation ou simple convenance.
3) Cette faculté de célébrer selon la forme extraordinaire n’engage pas le successeur du [curé].
4) Que la Parole de Dieu, reçue selon l’ancien lectionnaire, soit proclamée en français.
5) Que ces messes (chants, musique, etc..) soient prises en charge par des fidèles et ne reposent pas sur le seul prêtre.
6) Qu’à la fin de l’année un point soit fait en présence du Conseil Pastoral (qui a été consulté à ce sujet le 6 septembre dernier) pour discerner ce qu’a permis cette célébration pour le bien de l’Église et pour décider de la suite.

D’ici Noël, deux dates sont retenues pour cette messe paroissiale supplémentaire : Dimanche 18 novembre et dimanche 16 décembre à 18 heures à l’église Saint-Nicolas.

Ces dates et celles qui suivront seront, comme les autres messes paroissiales, annoncées sur la dernière page du [bulletin].

Rappelons bien qu’il ne s’agit pas de nostalgie, encore moins de réticence envers le Concile, mais dans la continuité de la vie de l’Église, de puiser dans ses richesses une autre forme pour s’ouvrir à Dieu et au don qu’Il nous fait. On pratique l’œcuménisme en regrettant ce qui, dans le passé nous a fait « frères séparés ». Prions et œuvrons pour que cette initiative soit signe d’ouverture et permette d’éviter de nouvelles séparations qu’on déplorerait plus tard.

Signé du curé

III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE


1) Deux formes du rite romain : “ Foi ”, “ unité ”, “ loi universelle ”, “ réconciliation ” – le premier texte rend compte de l'action de Benoît XVI dans une exemplaire fidélité à l'esprit du Saint Père et avec un remarquable souci pédagogique. Son auteur esquisse au passage, simplement donc efficacement, la trajectoire historique de la liturgie traditionnelle. On sent la volonté affirmée de l'auteur de “ coller ” à celle du pape comme l'illustre parfaitement la phrase suivante : « les curés de paroisse à qui un groupe de fidèles demande de pouvoir vivre la messe “ dans la forme extraordinaire ” doivent accueillir cette demande avec bienveillance, si cette demande va de pair avec une reconnaissance de la validité et de la légitimité de la “ forme ordinaire ” ».

La loi est énoncée clairement, ce qui prouve qu'elle est non seulement comprise mais adoptée et prête à être appliquée avec toute l'intelligence et la bienveillance nécessaires.

2) Une forme et une sous-forme concédée sous conditions : “ Rupture et continuité ” certes, mais pas du côté du post-concile comme le pape l'a analysé. Le second texte tranche totalement avec le premier dans ses prémices. Il ne s'agit plus d'expliquer, de rapporter ni d'illustrer pour les lecteurs la volonté du pape telle qu'explicitée par le Motu Proprio Summorum Pontificum, mais de leur donner – de leur infliger, serions-nous tentés d'écrire – une vraie leçon de " l'esprit " Vatican II.

La rupture, c'est celle des catholiques qui « ont focalisé leur désaccord avec le Concile sur la liturgie, et se sont laissé entraîner dans le schisme de Mgr Lefebvre ». Cette vision béatement conciliaire de la situation porte tout naturellement l'auteur à ne voir dans la volonté du pape qu'une autorisation “ assortie d’un certain nombre de conditions ” et non une “ loi universelle pour l'Église catholique latine ” comme l'a bien compris en revanche le signataire du premier texte.

Bref, on est ici aux prises avec un curé consciemment ou inconsciemment idéologisé, ce qui est dommage pour tous et d’abord pour lui-même car, pasteur des âmes, il passe à côté de cet “ élan de réconciliation ” auquel le Saint Père appelle “ tous les catholiques ”.

A quelques détails près, on pourrait croire que ce second texte a été écrit dans les années 1980 à l'époque où la célébration de la liturgie traditionnelle n'était concédée qu'à des conditions strictes et nombreuses, à l'époque où le Pape n'avait pas encore rappelé qu'elle n'avait jamais été interdite et qu'elle était l'une des deux formes de l'unique rite romain. Cette approche anachronique de la question liturgique est symptomatique d'un clergé qui ne veut pas de la paix liturgique proposée par le Saint Père et qui souhaite conserver le régime de l'apartheid liturgique avec son lot de restrictions et d'humiliations.

3) La différence de perspective est frappante entre les deux auteurs alors que leur propos est le même : expliquer l'arrivée (timide car, dans les deux cas, il ne s'agit que d'une messe au mieux mensuelle) de la forme extraordinaire dans une paroisse. Tandis que l'un affirme un droit et expose les modalités d'application qui lui semblent les plus adaptées, l'autre concède ce qu'il considère comme un privilège et l'assortit donc des restrictions d'usage.

– Le premier prend a priori les demandeurs pour des catholiques comme les autres. Il explique que “ les conditions (reconnaissance de la valeur de la forme ordinaire, sens de l’Église, volonté de communion) ” étant réunies “ pour recevoir cette demande comme légitime ”, décision a été prise de célébrer chaque dernier dimanche du mois, “ avec l’accord de [l'évêque] et sous la responsabilité [du] curé-doyen ”. Une communication simple et rassurante puisqu'on comprend que les détails ont été réglés pour le bien de tous : pour tenir compte “ du contexte paroissial et notamment de la diminution importante du nombre de prêtres en activité ”, “ deux prêtres assureront ce service en alternance ”.

– Le second soupçonne a priori les demandeurs d’être de dangereux « révisionnistes ». Il commence par expliquer qu'il “ ne saurait être question de la constitution d’un groupe particulariste se situant en opposition ou même en marge de la communauté, avec une catéchèse ou d’autres services à part ” et qu'il “ ne saurait non plus être question de remise en cause des apports du Concile, même sous l’aspect particulier de la réforme liturgique ”. Et d’énumérer six points qui semblent plus des conditions suspensives que des modalités d'application et qui portent tous en eux une menace sourde : la messe n'aura lieu que “ quelques dimanches dans l'année ” ; pas de prêtre remplaçant autorisé ; l'éventuel successeur de l'actuel curé ne sera pas tenu de continuer. Bref, le curé en question se fait législateur odieux (c’est un terme canonique technique qui vise les dispositions restrictives pénales), réduisant la portée d’une législation rien moins que pontificale. On disait jadis en plaisantant que tout curé est « pape dans sa paroisse » ; poursuivant la plaisanterie l'on pourrait dire de ce curé qu’il est un " super-pape ", presque un gourou… Avec en prime une vision manichéenne de la paroisse avec " les bons fidèles " à qui l'on ne demande aucune profession de foi ni n'impose de conditions puisqu'ils sont chez eux et les " mauvais fidèles " – les dhimmis serait on tenté de dire – pour lesquels on empile les conditions, de qui l'on attend des professions de foi conciliaire et que l'on traite comme des sous-paroissiens tout juste tolérés mais dont on semble espérer qu’ils finiront bien par se décourager de vouloir passer la porte de l’église.

4) Au sein du peuple de Dieu “ s'expriment légitimement des sensibilités différentes qui méritent de faire l'objet d'une égale sollicitude pastorale ” : ces paroles du pape aux évêques de France en visite ad limina le 21 septembre dernier concernent évidemment aussi les curés comme nous le confirme, hélas, l'exemple qui nous intéresse aujourd'hui. Subsistent en effet en 2012, des prêtres pour lesquels le degré de charité pastorale est semblable au degré de chaleur des radiateurs à thermostat (réglés à peine au-dessus du “ hors gel ”), et pour lesquels, si toutes les sensibilités sont égales, certaines, comme on dit, sont tout de même moins égales que les autres.

Mépris délibéré de tout ce qui est traditionnel ? Déformation (malformation ?) idéologique de type : hors de " l'esprit " Vatican II, point de salut ? Lequel adage est beaucoup plus dictatorial que celui qu’il a rendu périmé : hors de l’Église, point de salut.

Heureusement, cette déformation est souvent liée à une génération de prêtres : celle qui est entrée au séminaire pendant ou juste après le Concile. Or, si elle est aujourd'hui encore majoritaire dans le clergé des diocèses, elle approche inexorablement de l’âge de la retraite, et il est notoire que les générations qui la suivent n'ont pas ses œillères. Ces générations montantes, très réduites en nombre hélas !, sont l'espoir du peuple Summorum Pontificum resté dans les paroisses ou les ayant quittées et qui demande simplement que leurs curés de paroisses les accueillent et les aiment. Un pasteur qui aime ses brebis, est-ce trop demander ?

Sans en dire plus de l’un et de l’autre, précisons que le premier texte, fidèle aux directives de Benoît XVI, est d'un prêtre né après le concile, tandis que le second est d'un prêtre qui approche de ses 70 ans. Beaucoup estiment qu’il faut encore attendre dix ans pour que la mentalité des paroisses et des pasteurs de France ait radicalement changé. Nous pensons, pour notre part, que cinq ans suffiront.