20 avril 2012

[Blog Contre-Débat] Une opinion sur la réconciliation des catholiques

SOURCE - contre-debat.blogspot.fr - 20 avril 2012

Une opinion sur la réconciliation des catholiques (1)
Il y a quelques jours à peine, nous parlions ici même de ce que nous appelions la « tentation intellectuelle » de certains catholiques, que nous caractérisions par la priorité accordée à ce qui est intellectuellement intéressant à ce qui est doctrinalement vrai. Il semble que cette définition est incomplète : il lui manque un second trait, savoir : la tendance, pour ne pas paraître terre à terre, à s’affranchir de la lettre des textes et de toute référence précise pour se lancer à corps perdu dans de grandes idées souvent aussi vagues que générales, supposées géniales et par suite seules conformes au génie du christianisme.

Un exemple pour le moins pénible vient d’en être donné, dans les colonnes de Le Rouge et le Noir, par l’auteur distingué qui signe Bougainville. Ce n’est pas par gaieté de cœur, ni par zèle amer, que nous mentionnons cet exemple regrettable, qui vient d’un site talentueux dont les combats sont, dans leurs grandes lignes, les nôtres, mais en tant qu’il nous semble représentatif de certains travers dont les catholiques devraient se garder, et parce qu’il nous semble que certaines affirmations dont c’est peu dire qu’elles nous semblent hasardeuses méritent au moins qu’on vienne leur porter contradiction.
Un article sur les relations entre Rome et la FSSPX
L’article en cause s’intitule « Espoir et humilité » ; il a été publié le 18 avril dernier, et, après avoir quelques instants disparus de la toile, y est réapparu le 19 avril[1]. Ce texte a donc été publié alors qu’il n’était question, dans la blogosphère catholique, que de la remise à la commission Ecclesia Dei par Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, de la réponse doctrinale qu’exigeait de lui ladite commission il y a de cela un mois. Les rumeurs s’étant accordées à déclarer positive la réponse formulée par Mgr Fellay, c’est de la perspective de la vraisemblable régularisation canonique de la FSSPX que traite Bougainville dans son article.

Ce sujet, qui nous paraît de la première importance, n’a jusqu’ici jamais été abordé sur Contre-Débat, et cela pour plusieurs raisons : tout d’abord parce que nous n’avons, pour le traiter, aucune compétence particulière, et ne voyions donc pas ce que nous pourrions ajouter aux bruits et aux débats pour le moins répétitifs que l’on peut trouver sans peine ; ensuite parce qu’il ne nous semblait pas opportun de prendre parti pour les uns ou pour les autres, auxquels nous sommes attachés à des titres divers, en des affaires si graves, dans l’attente que notre mère l’Eglise romaine ait donné aux problèmes soulevés une réponse claire et définitive. Mais puisque Bougainville hasarde un article qui se veut, semble-t-il, une présentation synthétique et des enjeux de la pleine réconciliation de la FSSPX avec Rome, il nous a semblé loisible d’examiner son propos et d’en dégager les points pour ainsi dire contestables.
Ce qui a été dit
Voici maintenant ce qui a été dit. L’article s’ouvre sur deux paragraphes introductifs que l’on peut certainement dire bienveillants :

Nous attendons tous d’avoir une idée de l’accord conclu entre le Saint-Siège et la FSSPX. A la grâce de Dieu, l’étiquette « intégriste » n’aura bientôt plus cours, sauf pour les quelques sectes qui s’enferreront dans leur folie sédévacantiste.

Si la nouvelle, annoncée hier soir par les spécialistes de cette étrange profession italienne que sont les « vaticanistes », de la signature par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X du préambule doctrinal proposé par Rome se confirme, il faudra que le Peuple de Dieu laisse éclater sa joie et remercie le Ciel pour la patience et la bonté du pape Benoît XVI, mais aussi la confiance de Mgr Bernard Fellay[2].

Il n’y a jusqu’ici pas grand motif de critique, même si l’on peut trouver – à tort peut-être, qui sait – optimiste à l’excès la prédiction jubilante selon laquelle l’étiquette d’intégriste n’aurait « bientôt plus cours » – comme si les adversaires les plus acharnés de tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à du traditionalisme, se souciaient de l’irrégularité canonique de la FSSPX autrement que comme d’un prétexte : prétexte auquel on saura bien substituer un autre prétexte, si ce n’est déjà fait, comme peuvent en témoigner les difficultés que connaissent les instituts Ecclesia Dei à développer leur apostolat dans certains diocèses. On verra, du reste, que l’auteur de notre article revient lui-même plus loin sur cette joyeuse affirmation.

En effet, il ne tarde pas à nous faire part de ses inquiétudes, ou plutôt de ses interrogations :

Mais mon amour de l’Eglise et ma joie de voir l’Unité en passe d’être retrouvée ne m’empêchent pas de relever quelques points que j’aimerais ardemment voir éclaircis au plus vite.

Cette joie, Bougainville, qui adhère au « grand dessein du Saint-Père » avec une « confiance et une humilité filiale » tient cependant à l’affirmer hautement ; et, nous assure-t-il, ce ne sont pas les questions liturgiques qui viennent l’obscurcir :

Contrairement à beaucoup, je ne m’offusquerai certainement pas d’une plus large diffusion de la Messe de Saint Pie V, engagée par le Saint-Père, et qui est un véritable trésor pour
l’Eglise.
Une opinion sur l’enrichissement mutuel des deux formes du rite romain
Fort bien. Mais c’est ensuite que le discours devient pour le moins discutable :

Je considère les deux formes du rite romain comme étant complémentaires et nécessaires, tout comme je suis « pour », du haut de mon humble avis de laïc, que l’on introduise dans la « messe de toujours » certaines modifications prévues par le Concile, comme la communion au Corps et au Sang du Christ

On s’est beaucoup demandé, dans le milieu catholique traditionnel, quels pouvaient bien être les « enrichissements » que le rite de Paul VI pouvait apporter au rite de saint Pie V, que l’abbé Claude Barthe désignait comme la « forme riche » du rite romain[3]. Il semble que Bougainville nous donne la réponse : l’enrichissement que la nouvelle messe peut apporter à l’ancienne, c’est tout d’abord la communion sous les deux espèces. Loin de nous l’intention de condamner comme étant contraire à la foi catholique la communion des fidèles au calice, pratiquée par tant de catholiques d’Orient ou même par tant de catholiques latins depuis la réforme liturgique. Mais il faut reconnaître qu’une telle pratique a été longtemps étrangère au christianisme latin, jusqu’au mouvement hussite et à la Réforme protestante, qui a généralisé la communion sous les deux espèces ; et qu’il ne semble pas que son introduction en Occident avec l’accord des Pontifes romains ait produit les fruits escomptés : bien au contraire, elle semble avoir donné lieu de manière privilégiée, si l’on peut dire, à une multitude d’abus et d’irrévérences envers le Précieux Sang de Notre-Seigneur[4].

Bougainville objectera peut-être que Notre-Seigneur a déclaré que qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang n’a pas la vie éternelle (Jn VI, 53). Ce qui serait déclarer que les laïcs catholiques d’avant la réforme liturgique ont été massivement voués à la damnation par la sainte Eglise ; ce qui serait oublier surtout que l’Eglise tient avec la plus grande certitude que le Christ est tout entier présent, c’est-à-dire avec sa chair et son sang, son corps et son âme, son humanité et sa divinité, dans la moindre parcelle de chacune des espèces eucharistiques[5].

Dès lors qu’on ne communie pas moins au Précieux Sang de notre Rédempteur en ne le recevant que sous les espèces du pain, l’on peine à comprendre la raison de cette curieuse revendication sacramentelle ; l’on peine surtout à comprendre le motif d’une revendication qui, venant troubler les rites de communion jusque-là fort clairs et surtout fort ordonnés en usage dans la messe traditionnelle, ne ferait qu’ajouter la confusion à la confusion. Faut-il donc croire qu’il n’y ait pas, dans nos liturgies paroissiales, de réforme plus urgente à engager ?
 
Louis-Marie Lamotte 
(A suivre)

[2]  Afin que l’on ne nous accuse pas de déformer le propos que nous critiquons, nous nous efforcerons, dans cet article, de le citer aussi longuement que l’autorise la commodité de la lecture.

[3] Abbé Claude BARTHE, La messe à l’endroit, Hora
Decima, 2010

[4] Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter la liste des prescriptions formulées par l’exhortation Redemptionis Sacramentum (2004) au sujet de la communion au saint calice (§§ 100-107) :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20040423_redemptionis-sacramentum_fr.html#Chapitre IV
[5] C’est ce qu’affirme notamment un Canon du Concile de Trente : « Si quelqu’un nie, que dans le vénérable Sacrement de l'Eucharistie, Jésus-Christ tout entier soit contenu sous chaque espèce, et sous chacune des parties de chaque espèce, après la séparation : Qu'il soit anathème. »
http://lesbonstextes.ifastnet.com/trentetreiziemesession.htm#canons

Qu'il soit clair cependant que je ne veux pas faire à Bougainville de procès d'intention : je ne réponds à cette objection que parce qu'elle est très souvent formulée ici ou là.

Une opinion sur la réconciliation des catholiques (2)
Dans notre examen de l’article publié dans Le Rouge et le Noir par Bougainville, nous nous sommes intéressés tout d’abord aux idées qu’il exprime en matière de discipline sacramentelle, à l’occasion de la réconciliation annoncée entre Rome et la FSSPX. Nous avons dit ce que nous pensons de ces idées, c’est-à-dire peu de bien. Mais c’est la suite de l’article surtout qui a retenu notre attention. Peut-être nous montrons-nous sévères ; cependant, puisque, comme on va le voir, l’abbé Christophe Héry est dénoncé comme quasi schismatique, qu’il devient un prêtre « un tantinet pharisien » et que l’abbé Guillaume de Tanoüarn est comparé à Luther et à Melanchthon (il en sera question dans la troisième et dernière partie de cet article), nous nous estimons en droit de faire, pour ainsi dire, quelques mises au point dont nous espérons qu'elles ne sont pas injustes.
Des « problèmes concrets »
En effet, Bougainville, après avoir exprimé sa joie à l’idée d’une réconciliation des catholiques, joie dont c’est peu dire que nous la partageons sans peine, émet quelques réserves. Car, nous dit-il gravement, il faut bien être conscient que cet accord intervient alors que peu de choses sont réglées sur le fond.

A l’appui de ce sombre jugement, Bougainville cite l’abbé Laurent Touze, un ecclésiastique proche de
l’Opus Dei.

Jeudi 12 avril dernier, devant des journalistes à Paris, l’abbé Laurent Touze, de l’Opus Dei, avait pointé les problèmes très concrets que les membres de la FSSPX posent à leurs interlocuteurs catholiques : « Leur théologie commence à Grégoire XVI (1831-1846) et s’arrête à Pie XII (1939-1958). Leurs manuels de références datent du début du XXe siècle. Leur attachement à la lettre des textes est presque pathologique ».

Il s’agit, comme le dit Bougainville, de propos tenus devant des journalistes, dont il ne nous donne malheureusement pas la référence précise. C’est d’autant plus regrettable que l’abbé Touze désigne comme « pathologique » l’attitude des prêtres de la FSSPX, mais que l’extrait cité ne contient pas de précisions supplémentaires, pas d’exemple qui viendrait donner quelque consistance à ce jugement pour le moins sévère, voire péremptoire. Du reste, Bougainville parle des « problèmes très concrets que les membres de la FSSPX posent à leurs interlocuteurs catholiques » et ne donne comme exemple de ces « problèmes très concrets » qu’une différence de culture théologique et doctrinale, de telle sorte que l’on pourrait sans peine renverser son argument : si les prêtres et les fidèles de la Fraternité sont si difficilement compris de la plupart de leurs interlocuteurs « lambda », pour parler comme Bougainville, c’est que prévaut chez ces derniers une ignorance absolument sans borne de toute la production théologique antérieure au renouveau supposé qu’aurait apporté la « nouvelle théologie » des dominicains du Saulchoir et des jésuites de Fourvière, voire à l’ensemble de la production théologique antérieure à Vatican II, nouvelle théologie comprise. Combien de fois, y compris sous la plume d’esprits pourtant soucieux de comprendre les traditionalistes, n’a-t-on pas lu de jugements pour le moins hâtifs sur la « néoscolastique poussiéreuse et sclérosée » des années 1930, généralement sans fondement ou du moins contestables[1] ? La valeur de l’argument semble donc à peu près nulle.
Les interrogations d’un « catholique lambda » : peut-on être catholique et condamner Harry Potter ?
Mais Bougainville, « en tant que catholique lambda », s’ « interroge ».

Suit en effet une accumulation de reproches, appuyés parfois par des citations, plus rarement par une référence précise[2]. Nous ne cherchons pas ici à défendre Mgr Tissier de Mallerais ou l’abbé Régis de Cacqueray, qui nous semblent avoir parlé de manière parfois malheureuse, et avec trop de désinvolture vis-à-vis du Successeur de Pierre, ce que Bougainville dénonce avec raison, quoique nous regrettions qu’il ne précise pas davantage le contexte de telles déclarations[3]. Mais nous ne voyons pas en quoi les opinions de Mgr Tissier de Mallerais sur l’éducation des jeunes gens et des jeunes filles, pour contestables qu’elles soient, sont contraires à la foi catholique ; nous ne voyons pas plus en quoi il devrait être interdit à l’abbé de Cacqueray de mettre en garde les fidèles contre Harry Potter s’il y voit un danger pour les lecteurs chrétiens[4] : y a-t-il sur ces deux points quelque chose qui s’oppose à une régularisation canonique ? On ne peut répondre par la négative (quelque point d'exclamation qu'y mette Bougainville) sans devoir en toute logique exclure du périmètre visible de l’Eglise des clercs qui ont jugé bon de s’extasier devant telles œuvres d’art ou de théâtre contemporains que nous ne nommerons pas.

Bougainville s’en prend ensuite aux discours de fidèles de la FSSPX qui ont trait au judaïsme :

Je m’interroge sur certains enseignements en vogue dans la FSSPX. Par exemple, ce qu’on appelle mièvreusement « l’antijudaïsme traditionnel » sur divers sites et forums, qui ne me semble pas aller de pair avec le dialogue engagé par Jean-Paul II et Benoît XVI avec le peuple de l’Ancienne Alliance, qui ne s’oppose pas – au contraire ! – à une annonce charitable de la Bonne nouvelle.

Nous voulons bien croire qu’il ne s’agit pas là d’un jugement gratuit, mais nous aurions aimé que Bougainville nous donnât quelques citations, quelques références précises, et surtout autorisées[5]. Nous n’en avons pas ; nous n’avons que cette affirmation selon laquelle les « enseignements en vogue » dans la FSSPX s’opposent à l’ « annonce charitable » du saint Evangile. Certes ; encore aurait-il fallu ajouter qu’il est encore moins conforme à l’annonce de l’Evangile de ne pas l’annoncer du tout, sous le faux prétexte que le « peuple de l’Ancienne Alliance » n’en aurait pas besoin – ce qui serait affirmer finalement que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est pas mort aussi pour son propre peuple ; ce qui serait également censurer un certain nombre de versets de l’évangile selon saint Jean ou de l’épître aux Galates ; ce qui serait oublier tout simplement que si les premiers chrétiens avaient pensé qu’il n’était pas nécessaire d’annoncer le salut en Jésus-Christ aux juifs, il n’y aurait tout simplement pas eu de premiers chrétiens. Ce n’est pas ce que dit Bougainville, m’objectera-t-on : mais comme son propos ne brille pas ici par sa clarté, et comme lui-même attribue largement aux catholiques qu’il critique des positions qu’il ne juge pas utile d’expliciter, il est permis de faire au moins quelques remarques.
Les traditionalistes évangélisent-ils ?
Bougainville poursuit en se demandant, précisément, si les traditionalistes ne font pas obstacle à l’annonce de l’Evangile :

Je me pose en outre cette question : hors de ses fiefs, la Tradition fait-elle de l’évangélisation ? Ou s’y oppose-t-elle parfois de manière grossière, en faisant fuir les non-croyants par des manifestations dignes des processions armées de la Ligue à Paris en 1590 ? C’est ce scrupule qui m’a poussé à critiquer, peut-être avec une certaine indélicatesse, l’exutoire collectif qui se tint cet automne à l’occasion des pièces de Castellucci et Garcia, au nom d’une théocratie catholique fantasmée.

La Tradition fait-elle de l’évangélisation ? Nous répondons : oui. La Porte Latine nous en donnait il y a peu un exemple en nous montrant le baptême d’un lycéen de dix-sept ans en l’église St-Martin des Gaules, à Noisy-le-Grand[6]. Et il semble que le saint baptême soit conféré chaque année à une quinzaine d’adultes à St-Nicolas du Chardonnet, ce qui n’est certes pas énorme, mais est appréciable étant donné le nombre somme toute relativement restreint des fidèles. Bougainville parle des « fiefs » de la Tradition, hors desquels elle ne ferait pas d’évangélisation : peut-être aurait-il pu dire, plus simplement, qu’en dehors de Paris, la FSSPX n’ayant pas de véritable visibilité, elle peine à déployer pleinement son effort missionnaire ; et que les instituts Ecclesia Dei se trouvent souvent dans une situation comparable – quoique des catéchumènes soient baptisés chaque année dans les locaux pourtant discrets du Centre St-Paul, tenus par les prêtres de l’IBP. Par ailleurs, même si chacun demeure libre de juger efficace ou non ses méthodes, il est indéniable à Paris que le Mouvement de la Jeunesse Catholique de France (MJCF), dont on sait les liens étroits qui l’unissent à la FSSPX, est au premier rang, malgré des effectifs fort limités, dès lors qu’il s’agit d’annoncer explicitement Jésus-Christ en milieu étudiant ; et il est de même un fait que ses activités attirent également quelques jeunes non-croyants.
Un obstacle à l’évangélisation : la « théocratie catholique fantasmée »
Mais, selon Bougainville, non seulement la Tradition – parle-t-il d’ailleurs de la FSSPX, des instituts Ecclesia Dei, de tous les fidèles pratiquant selon les formes liturgiques traditionnelles ? là encore, on aurait aimé davantage de rigueur et de précision – n’évangélise pas, mais elle décourage l’évangélisation. Je passerai sans m’attarder sur sa comparaison entre les manifestations de Civitas et les défilés armés de la Ligue pendant les guerres de religion, qui à force d’incongruité échappe même à toute forme d’objection, pour ne retenir que l’idée qu’il pense exprimer avec force : Civitas ferait fuir les incroyants. Libre à lui de le penser ; le problème est que cette affirmation est assénée comme une certitude ne souffrant point de contradiction, alors qu’aucun fait jusqu’ici ne l’a prouvé (non plus qu'aucun fait n'a prouvé le contraire, du reste). Certaines manifestations organisées par Civitas, notamment le chemin de croix médité par le MJCF devant le Théâtre du Rond Point, ont permis aux participants de donner un exemple édifiant dont il semble même qu’il n’a pas été sans effet sur certains gendarmes chargés de les surveiller. Mais peut-être peut-on expliquer les propos de Bougainville autrement que par les faits, qu’il n’est pas plus capable d’exposer que nous-mêmes. En effet, dans un article publié le 2 février 2012, il affirmait sans rire que le célèbre Père Alain de La Morandais, malgré son côté « abbé de cour », est intéressant : sa présence et sa visibilité médiatiques attirent à lui de nombreuses personnes, des célébrités aux petites gens, qui n’approcheraient jamais le prêtre du coin, mais qui viennent le voir, lui, parce qu’il apparaît ouvert (peut-être trop ?), et surtout, parce qu’il ne donne pas l’impression de juger[7].

Dès lors que l’on considère que l’abbé de La Morandais est un grand évangélisateur, que « ne pas juger » consiste à déclarer d’emblée à son contradicteur traditionaliste « Je vous connais par cœur », qu’être « ouvert » (« peut-être trop », a la bonté de nous préciser Bougainville) consiste à se prévaloir sans cesse d’un titre de docteur en théologie pour contester d’un ton supérieur l’enseignement de l’Eglise[8], peut-être tout s’explique-t-il : Bougainville a une conception assez particulière de l’évangélisation, qu’il est libre de défendre, mais dont il aurait pu donner explicitement les principaux traits afin que ses lecteurs sachent à quoi s’en tenir.

C’est la même imprécision, le même flou artistique qui prévaut lorsque l’auteur déclare tout uniment que la mobilisation contre les sacrilèges au théâtre a tenu lieu d’ « exutoire collectif » au nom d’une « théocratie catholique fantasmée ». Peut-être se figure-t-il qu’il suffit d’une trouvaille linguistique (un substantif qui fait peur, la « théocratie », et deux épithètes, le tout devant montrer le caractère pathologique de la position des détracteurs) pour emporter la décision : le problème est que ce n’est pas le cas. De nouveau, il ne donne aucune référence, aucune citation : le texte n’a pas même le mérite de se rendre contestable ; de telle sorte que le lecteur est en droit de se demander si ce sont les militants de Civitas ou bien plutôt leur vaillant détracteur qui fantasment une « théocratie catholique » : mais à quelle réalité cela correspond-il ? Bougainville ne juge pas opportun de le dire[9].

Nous sommes bien loin de nous opposer à la polémique, à laquelle nous reconnaissons de nombreux mérites ; mais encore faut-il que la polémique s’appuie sur des textes, des faits concrets et vérifiables, et non pas sur des formules qui se veulent sans doute percutantes, mais qui se perdent surtout dans le vide à force de ne plus rien vouloir dire.

Louis-Marie Lamotte

(A suivre)
[1] Un bon exemple en est le bref ouvrage publié par Gérard Leclerc chez Salvator, Rome et les Lefebvristes (2009).

[2] « Outre Mgr Richard Williamson, que penser d’un Mgr Bernard Tissier de Mallerais, qui, interviewé en août 2009 par la revue américaine The Angelus, parlait comme un Témoin de Jéhovah : « Nous vivons la grande apostasie dont parle saint Paul aux Thessaloniciens » ? Que penser de ses conseils Kinder-Küche-Kirche adressés aux jeunes du XXIe siècle : « Pour les jeunes gens, des livres sur la royauté sociale du Christ. Pour les jeunes filles, des livres de cuisine, de couture, et pour aménager la maison » ?

Que penser, plus proche de nous, d’un abbé Régis de Cacqueray, supérieur d’un District de France scandaleusement politisé, qui, dans ses vœux de 2012, conspuait… Harry Potter
(!) et maudissait encore Benoît XVI : « Les hommes d’Eglise et le pape lui-même se sont fourvoyés » ? »

[3] Notamment, lorsqu’il reproche à l’abbé de Cacqueray d’estimer que le Pape lui-même s’était « fourvoyé » : ainsi, le Motu Proprio Summorum Pontificum, de 2007, qui déclare que la messe de saint Pie V n’a jamais été interdite, doit logiquement faire penser que Paul VI s’est au moins fourvoyé en prétendant interdire ladite messe.

[4] Harry Potter ne nous semble pas le principal danger auquel l’Eglise de Dieu soit aujourd’hui confrontée, loin de là, nous estimons qu’il s’agit là d’une regrettable perte de temps et d’énergie, mais il convient de rappeler que ces romans ont fait l’objet de vives critiques non seulement de la part de l’abbé de Cacqueray, mais aussi de prêtres et de laïcs sans lien direct avec la FSSPX, notamment, en France, la journaliste Jeanne
Smits.

[5] J’entends par-là une citation qui ne soit pas le fait d’un internaute quelque peu excité, mais d’une autorité compétente, cléricale par exemple, et autorisée (c'est-à-dire, qui ne soit pas celle d'un évêque anglais en rupture de ban et théoriquement interdit de publication). En ce qui concerne les forums, il me semble qu'aucun propos relevant de l'antijudaïsme n'a pu être relevé, ni sur le Forum Catholique, ni sur Fecit, sans être aussitôt modéré.

[6] http://www.laportelatine.org/communication/videotheque/bateme_adulte_noisy_120408/bapteme_martin_17ans_120408.php

[7] http://www.lerougeetlenoir.org/les-opinantes/nom-d-un-mormon

Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur cet article, notamment lorsque son auteur déclare fort gravement :  « Je ne souhaite à personne de se retrouver à une messe où le prêtre annonce sans mettre de gants dans son homélie que les âmes des bébés non-baptisés errent éperdues dans les limbes, provoquant le départ en pleurs de certaines mères de l’assemblée. » Certes : mais concrètement, qui, dans le clergé français, s’exprime ainsi en chaire, hormis dans les milieux où de tels discours sont acceptés comme parfaitement normaux ? La tendance actuelle ne demeure-t-elle pas à l’occultation persistante de tout ce qui touche aux fins dernières, et notamment à l’éventualité de l’enfer ? Ici l’auteur invente un travers, qui serait réel s’il existait autrement que ponctuellement, mais qui dans les faits ne se rencontre pratiquement jamais, alors que le travers inverse règne en maître dans les trois quarts peut-être des paroisses de France.

[8] http://www.dailymotion.com/video/xcnuae_jeanne-smits-defend-le-celibat-des_news?search_algo=1

[9] Nous n’excluons aucunement que certains, clercs ou laïcs, aient pu dans le feu de leur exaltation, tenir des propos excessifs. Mais en ce cas, que Bougainville les cite, et qu’il les analyse dans leur contexte, en gardant à l’esprit ce que l’extrémisme supposé des manifestations de Civitas a de bien relatif, comme le montre aujourd’hui la mobilisation des évêques des Etats-Unis et la vigueur de certaines prédications : http://www.riposte-catholique.fr/americatho/liberte-religieuse-leveque-de-peoria-appelle-les-fideles-a-un-catholicisme-heroique-et-denonce-les-judas-qui-se-pretendent-catholiques 

Une opinion sur la réconciliation des catholiques (3)
Bougainville, non content de vouloir introduire dans la messe traditionnelle, assurément contre le gré des trois quarts au moins des prêtres qui la célèbrent, la communion sous les deux espèces, n’apprécie guère que certains de ces prêtres se montrent critiques vis-à-vis du nouveau rite de la messe. Les « problèmes concrets » qu’il mentionnait ne concernent en effet pas seulement les membres de la FSSPX, mais aussi certains prêtres des instituts Ecclesia Dei.
Une belle trouvaille, la gastronomie du schisme
Bougainville n’hésite guère à adopter le ton le plus impérieux :

J’attends également des autorités de l’Eglise qu’elles agissent avec plus de fermeté envers ces clercs revenus à Rome ces dernières années, qui se sont cependant baladés avec gourmandise sur la frontière du schisme.

Nous avions eu droit à une « théocratie catholique fantasmée » ; nous avons droit maintenant à une balade gastronomique gourmande à la frontière du schisme. Laissons à leur auteur la paternité d’expressions si heureuses, et considérons plutôt ce qu’il s’efforce de dire : car au-delà de l’étrangeté de la forme, le fond apparaît ici au moins avec une certaine clarté. « A la frontière du schisme » : certains des « clercs revenus à Rome » sont donc tout uniment accusés d’être des quasi schismatiques ou des crypto-schismatiques ; ce qui n’est tout de même pas la moindre des accusations, dans la bouche d’un catholique qui se veut un humble fils de notre mère l’Eglise.

Le premier ecclésiastique visé est l’abbé Héry, de l’Institut du Bon Pasteur, coupable, selon notre auteur, d’une « peu charitable charge contre la Messe Paul VI ». La gourmandise incriminée est un article[1] publié par cet ecclésiastique dans la revue Objections. Pour une fois, la source est indiquée avec précision, et l’article en cause est donné en lien. Le lecteur pourra ainsi noter que le texte est daté d’avril 2006 et est donc antérieur de plusieurs mois à la création de l’Institut du Bon Pasteur en septembre 2006, mais enfin, passons. Quel est donc le tort de l’abbé Héry ? Ce prêtre se livrait à une critique argumentée du nouvel offertoire de la messe, dont il montrait les déficiences en le comparant à l’offertoire traditionnel : il relevait, notamment, les similitudes de vocabulaire que l’on peut noter entre le nouvel offertoire et le discours des philosophes des Lumières sur le travail. Il n’y a donc dans cet article que des arguments que Bougainville est libre de réfuter, mais aucune invective, aucune attaque, pas même contre Paul VI, qui n’est nommé que par commodité, en tant que l’on a attaché son nom à la liturgie que l’on sait. Où est donc le manque de charité ? Est-ce manquer de charité que d’émettre quelques réserves vis-à-vis d’un offertoire que Mgr Schneider n’hésitait pas à dénoncer comme l’une des « cinq plaies » de la liturgie[2] ?

Mais, nous dit Bougainville,

Pour ce prêtre un tantinet pharisien, le « Dieu de l’univers » ne peut être qu’un code secret pour évoquer « l’Être suprême de Voltaire ou le Grand Architecte des Maçons »… Au secours !

Or l’abbé Héry, dans son article, s’exprimait ainsi :

Quel est ce « Dieu de l’Univers » ? S’agit-il d’un génitif partitif ou possessif ? autrement dit est-ce l’Univers qui est divin (résurgence panthéiste) ou bien a-t-il à voir avec le démiurge, l’Être suprême de Voltaire ou le Grand Architecte des Maçons ?… Et quel est ce « pain de la vie » tout court, qui n’est plus éternelle ? Pourquoi taire la référence claire au vrai corps eucharistique du Christ qui ornait l’offertoire grégorien ? Qu’il s’agisse ou non d’actes manqués, ces oublis parlent d’eux-mêmes et modifient la religion exprimée par la liturgie.

Loin de dénoncer ce qui « ne peut être qu’un code secret », l’abbé Héry entendait examiner la lettre du nouvel offertoire et établir les conséquences de ses omissions par rapport à l’offertoire traditionnel. Où l’on voit que Bougainville n’a pas bien lu le texte qu’il met en cause, et qu’il semble penser s’en sortir par des moqueries et des exclamations (« Au secours ! »). Nous reviendrons plus loin sur ses procédés.
La sentinelle de la sainte Eglise
Plus loin, il se pose en vigilante sentinelle de la sainte Eglise, prêt à débusquer les adeptes de la frontière gourmande du schisme :

J’observerais enfin avec attention les suites du rapport de la visite canonique de Mgr Pozzo, secrétaire de la Commission pontificale Ecclesia Dei, auprès de l’Institut du Bon Pasteur et de son fondateur, l’abbé Philippe Laguérie.

Je ne puis dire si le conditionnel est une compréhensible faute de frappe, comme chacun en commet abondamment, ou s’il est volontaire et sous-entend que les autorités ecclésiastiques supérieures manquent de prudence et de rigueur à l’égard de ces scandaleux prêtres Ecclesia Dei. En tous cas, Bougainville ne se contente pas d’observer et s’en prend à ces clercs, tout spécialement à l’abbé Guillaume de Tanoüarn, dénoncé tout bonnement comme protestant :

En rentrant à la maison, certains vont devoir accepter que leur libre-examen de l’Eglise soit remis en question. « Manifestement ces sacres [les ordinations illégales de Mgr Lefebvre de 1988] étaient de Dieu », écrit l’abbé de Tanoüarn ? Quelques siècles auparavant, Mélanchthon aurait très bien pu poursuivre : « Martin Luther se serait offusqué qu’on le considère comme dépositaire de la légitimité ecclésiale. »

De nouveau, des citations sans référence, et une comparaison aussi hâtive qu’insultante. Bougainville, dans un commentaire qu’il a laissé lui-même au bas de son article, déclare :

Je conteste évidemment l’argument comme quoi la rébellion de Mgr Lefebvre, qui croyait obéir à Dieu en désobéissant au pape, permit à la Tradition de survivre. Qu’en est-il des communautés Ecclesia Dei que vous allez côtoyer ? J’ai personnellement connu la liturgie tridentine bien avant de savoir ce qu’était la
FSSPX.

On ne voit pourtant pas ce qu’il y a d’ « évident » dans ses affirmations : que Bougainville ait « personnellement connu la liturgie tridentine bien avant de savoir ce qu’était la FSSPX », sans doute, s’il le dit ; cela ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas bénéficié, sans le savoir, de l’action de ladite Fraternité au moins en un temps où l’on prétendait interdit l’ancien rite de la messe. Quant aux communautés Ecclesia Dei, qu’il a pourtant si vigoureusement (quoique si mal) pourfendues, peut-être aurait-il pu au moins noter à leur sujet qu’elles étaient directement issues des sacres de 1988, comme l’indique jusqu’à leur nom. Libre à Bougainville d’interpréter l’histoire contemporaine de l’Eglise comme il l’entend ; mais qu’il s’abstienne au moins d’y mettre trop d’évidences, il n’en sera que plus crédible. 
D’opportunes coupes dans les citations de notre Saint-Père le Pape
Bougainville poursuit en déclarant que l’appel du Saint-Père à l’obéissance dans son sermon de la messe du Jeudi saint vise tout autant les fidèles de la FSSPX que les « ridicules rebelles autrichiens de la Pfarrer Initiative » – ridicules assurément, mais massivement appuyés par un clergé local fort peu romain et peut-être tout simplement fort peu catholique, et guère réprimés par une hiérarchie plus soucieuse de confirmer des homosexuels pratiquants et déclarés dans leurs responsabilités paroissiales que de maintenir la discipline ecclésiastique. Bougainville, pour appuyer ses dires, cite l’homélie de Benoît XVI, ce dont l’on ne saurait le blâmer, tant les accents trouvés par le Souverain Pontife pour magnifier le sacerdoce catholique sont justes et beaux :

« Ce qui est demandé, c’est une configuration au Christ, et en ceci nécessairement un renoncement à la si vantée autoréalisation. (…) La désobéissance est-elle un chemin pour renouveler l’Eglise ? (…) Peut-on percevoir en cela quelque chose de la configuration au Christ, qui est la condition nécessaire de tout vrai renouvellement, ou non pas plutôt seulement l’élan désespéré pour faire quelque chose, pour transformer l’Église selon nos désirs et nos idées ? »

Je veux bien admettre que les fidèles de la FSSPX soient concernés par ces paroles du Saint-Père, en tant qu’elles s’adressent bien évidemment à tous ; mais peut-être n’est-il pas entièrement inutile de citer également les phrases du même passage que Bougainville a curieusement jugé bon de taire :

Récemment, un groupe de prêtres dans un pays européen a publié un appel à la désobéissance, donnant en même temps aussi des exemples concrets sur le comment peut s’exprimer cette désobéissance, qui devrait ignorer même des décisions définitives du Magistère – par exemple sur la question de l’Ordination des femmes, à propos de laquelle le bienheureux Pape Jean-Paul II a déclaré de manière irrévocable que l’Eglise, à cet égard, n’a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur[3].

Il y a donc dans la prédication de Benoît XVI un discours général, que Bougainville peut regarder comme un « bilan » indirect adressé aux fidèles de la FSSPX ; il n’en reste pas moins que le Pontife romain s’adresse aussi explicitement qu’il est possible aux rebelles autrichiens, et ne mentionne jamais les prêtres de la Fraternité. Cela, c’est un fait, et un fait aisément explicable, en un jour où l’Eglise du Christ célèbre l’institution du sacerdoce, puisque jamais Mgr Lefebvre et ceux qui l’ont suivi n’ont remis en cause la doctrine catholique du sacerdoce, bien au contraire, alors que c’est peu dire que ce n’est pas le cas des Autrichiens de la Pfarrer Initiative.
En conclusion, de grands principes et une citation (sans référence)
Bougainville juge bon de conclure son article par un bref paragraphe dont on peut supposer qu’il résume toute sa pensée :

Il ne faut pas avoir de nostalgie pour une forme de sainteté passée. Dieu nous veut saint pour le temps dans lequel Il nous place. Le cardinal John Henry Newman, pour parler de la Tradition de l’Eglise, parlait du grand fleuve de la Tradition, avec ses confluents et ses courants. C’est dans cette grande Tradition que nous devons nous réconcilier.

Le problème de ce genre d’affirmations est qu’elles ne sont, pour ainsi dire, même pas fausses. On ne peut qu’y souscrire, parce qu’elles sont tellement générales qu’elles n’engagent en fait à rien et que personne ne les conteste. Car personne, ni à la FSSPX, ni à l’IBP, ni où que ce soit, n’a jamais prétendu le contraire ; personne n’a jamais prétendu qu’il ne fallait pas se sanctifier dans le temps que la divine Providence a arrêté pour chacun d’entre nous. Quant à la citation du Bienheureux John Henry Newman, elle aussi donnée sans référence, ce qui est bien dommage, elle ne prouve pas plus la vérité du discours de Bougainville qu’elle ne l’infirme[4] : car en quoi nous montre-t-elle que la conception de la « grande Tradition » portée par le cardinal Newman est celle qu’il a exposée en creux tout au long de son article ? La diversité des charismes n’est pas moins admise par la FSSPX, qui compte parmi ses alliés des communautés d’inspirations bénédictine, franciscaine ou dominicaine, que par le reste de la sainte Eglise. La citation apparaît donc comme purement gratuite et n’apporte strictement rien à l’argumentation, à laquelle elle ne fait qu’apposer un ornement qui lui demeure foncièrement étranger.
La tentation intellectuelle
Au début de la première partie de notre article, nous avons désigné le texte de Bougainville significatif de ce que nous appelions la « tentation intellectuelle ». Peut-être avons-nous tort, mais il nous semble qu’en relève de manière exemplaire cette accumulation de citations sans références, d’accusations ou d’affirmations gratuites, cette manie de passer sans ordre ni cohérence d’un point à l’autre, qui rend la contradiction aussi laborieuse que malaisée, puisque l’on va en somme toute fort peu de lignes, de la rapide revendication de la communion sous les deux espèces à l’incontestable nécessité d’être saints en notre temps en passant successivement et à toute allure par le caractère soi-disant pathologique de l’attitude théologique des traditionalistes, la condamnation de Harry Potter par l’abbé de Cacqueray, les accusations d’antisémitisme voilé, les obstacles supposés que la Tradition met à l’évangélisation, le problème du nouvel offertoire et de la possibilité de le remettre en cause, la signification des sacres de 1988 et l’homélie du Pape : tout cela en à peine un peu plus de trois pages, ce qui, il faut bien le dire, relève de l’exploit, quand on sait la quantité d’encre qu’a pu faire couler par exemple la controverse autour du nouvel offertoire[5].

A cette propension manifeste à l’accumulation vertigineuse s’ajoute un certain goût pour les formules supposées percutantes, formules que nous avons relevées, de l’exutoire collectif au nom d’une théocratie catholique fantasmée à la balade gourmande aux frontières du schisme, pour les comparaisons expéditives censées rendre compte de la situation (Civitas et la Ligue, l’abbé de Tanoüarn et Luther), ainsi tout simplement qu’une tendance perceptible à la suffisance.

Car ce qui est insupportable, en plus de tout le reste, c’est ce ton de commisération, ce ton de condescendance de l’intellectuel revendiqué qui regarde avec une pitié mêlée de mépris les lamentables intégristes qui n’ont définitivement rien compris au Concile ou à l’enrichissement mutuel supposé des deux formes de l’unique rite romain ; qui pense qu’il n’est dans le fond pas la peine d’argumenter contre le misérable abbé de Cacqueray, dont un simple point d’exclamation doit suffire à prouver la bêtise, ou contre le « prêtre un tantinet pharisien » qu’est l’abbé Héry, tellement idiot et borné qu’il suffit pour l’achever de lancer un « Au secours ! » supposé spirituel ; qu’il n’est pas la peine non plus de donner ses références ou de procéder méthodiquement ; que l’on peut, dans le fond, affirmer n’importe quoi dès lors que l’on prend la pose, que l’on cite une phrase en hébreu et que l’on mentionne le cardinal Newman, ce qui est devenu du dernier chic. Car le pharisien, c’est bien connu, c’est l’autre et c’est surtout le tradi, encore que l’on veuille bien le prendre en pitié, parce que dans le fond, comme dit Jean Mercier, journaliste à La Vie, les traditionalistes sont des « gens ultra-blessés » ; puisque c’est pathologique, puisqu’ils sont incultes, malades et obtus[6], on veut bien leur pardonner, du haut de sa magnanimité d’intellectuel patenté, de chrétien exemplaire qui accueille avec une « humilité filiale » et surtout autoproclamée les décisions de l’Eglise de Dieu.

Voilà donc une plaisante opinion sur la réconciliation des catholiques. Il faut reconnaître au moins une vertu aux traditionalistes en général, et à la FSSPX en particulier : celle d’attirer contre eux, en véritables signes de contradiction, les coups de tous les intellectuels de service qui ont évidemment tout compris et ne manquent pas de nous le faire savoir.

Louis-Marie Lamotte
[1] http://revue.objections.free.fr/005/005.042.htm

[2] « La troisième plaie, ce sont les nouvelles prières de l’offertoire. Elles sont une création entièrement nouvelle et n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la croix que celle d’un banquet, rappelant les prières du repas sabbatique juif. Dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la croix (cf. p. ex. Paul Tirot, Histoire des prières d’offertoire dans la liturgie romaine du VIIème au XVIème siècle, Rome 1985). Une telle création absolument nouvelle est sans nul doute en contradiction avec la formulation claire de Vatican II qui rappelle : « Innovationes ne fiant … novae formae ex formis iam exstantibus organice crescant » (Sacrosanctum Concilium, 23). »

http://reunicatho.free.fr/images/2012/interventionmgr.pdf
[3] http://gabriellaroma.unblog.fr/2012/04/10/messe-chrismale-homelie-du-pape-benoit-xvi-5-avril-2012/

La phrase que nous citons prend directement place dans le passage cité par Bougainville : « Ce qui est demandé c’est un lien intérieur, ou mieux, une configuration au Christ, et en ceci nécessairement un dépassement de nous-mêmes, un renoncement à ce qui est seulement nôtre, à la si vantée autoréalisation. Il est demandé que nous, que moi, je ne revendique pas ma vie pour moi-même, mais que je la mette à la disposition d’un autre – du Christ. Que je ne demande pas : qu’est-ce que j’en retire pour moi ?, mais : qu’est-ce que je peux donner moi pour lui et ainsi pour les autres ? Ou encore plus concrètement : comment doit se réaliser cette configuration au Christ, lequel ne domine pas, mais sert ; il ne prend pas, mais il donne – comment doit-elle se réaliser dans la situation souvent dramatique de l’Église d’aujourd’hui ? Récemment, un groupe de prêtres dans un pays européen a publié un appel à la désobéissance, donnant en même temps aussi des exemples concrets sur le comment peut s’exprimer cette désobéissance, qui devrait ignorer même des décisions définitives du Magistère – par exemple sur la question de l’Ordination des femmes, à propos de laquelle le bienheureux Pape Jean-Paul II a déclaré de manière irrévocable que l’Église, à cet égard, n’a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur. La désobéissance est-elle un chemin pour renouveler l’Église ? Nous voulons croire les auteurs de cet appel, quand ils affirment être mus par la sollicitude pour l’Église ; être convaincus qu’on doit affronter la lenteur des Institutions par des moyens drastiques pour ouvrir des chemins nouveaux – pour ramener l’Église à la hauteur d’aujourd’hui. Mais la désobéissance est-elle vraiment un chemin ? Peut-on percevoir en cela quelque chose de la configuration au Christ, qui est la condition nécessaire de tout vrai renouvellement, ou non pas plutôt seulement l’élan désespéré pour faire quelque chose, pour transformer l’Église selon nos désirs et nos idées ? »

[4]  Dans son article, Bougainville cite également le journaliste de La Vie Jean Mercier. Celui-ci déclarait que, à rebours du « fixisme » traditionaliste, le Pape avait béatifié le cardinal Newman. Il me semble que Jean Mercier est le grand inventeur de l’aversion supposée des traditionalistes pour ce Bienheureux. Que sa pensée ne soit pas à la base de leur théologie est un fait (que l’on ne peut leur reprocher, du reste : car à ma connaissance, Newman n’a pas été déclaré infaillible, mais bienheureux, ce qui n’est tout de même pas la même chose), mais je n’ai trouvé (peut-être faute d’avoir assez bien cherché) aucun texte venant de la FSSPX et mettant en cause la béatification du Cardinal.

[5] Pour ne donner qu’un exemple :

http://www.salve-regina.com/salve/L'offertoire_de_la_Messe_et_le_Nouvel_Ordo_Missae

[6] D’ailleurs, ne répète-t-on pas rituellement, dans les milieux intellectuels conservateurs, surtout parisiens, qu’ils sont « demeurés à l’écart du renouveau théologique, scripturaire et patristique » ? Le « tradi », c’est avant tout un inculte, un borné, un attardé, quelqu’un qui n’a évidemment rien compris.