25 mars 2012

[Eric Bertinat - Controverses] Les 17 derniers jours de Mgr Lefebvre

SOURCE - Eric Bertinat - Controverses - La Porte Latine - 25 mars 2012

Entretien de Jo Grenon, directeur de l’hôpital de Martigny, à Eric Bertinat, pour Controverses.
Monsieur Jo GRENON est le Directeur de l'hôpital de Martigny. Il s'occupa avec un grand dévouement de Monseigneur durant son hospitalisation. Il nous a reçus avec beaucoup de gentillesse pour nous raconter les derniers jours du fondateur de la Fraternité Saint-Pie X.
Samedi 9 mars, Monseigneur Lefebvre entre à l’hôpital de Martigny. Vous avez été parmi les premiers à le voir. Comment l’avez-vous trouvé ?
Alité, souriant et confiant ! Monseigneur se trouvait aux urgences. Puis, nous l’avons installé à la chambre 213, une chambre privée située au deuxième étage. De cette pièce, Monseigneur avait vue sur la Forclaz, donc la France, et sur le col du Grand-Saint-Bernard, l’Italie, Rome…
Quels sont les examens qui ont été pratiqués sur Monseigneur lors des premiers jours ?
Durant toute la première semaine, Monseigneur fut nourri par perfusion, avec antibiotiques. A part les analyses de routine, il subit de nombreux examens dont certains sont très douloureux. Bien que les médecins aient déjà diagnostiqué le mal, ils jugèrent tout de même plus prudent de faire subir un scanner à Monseigneur Lefebvre. Aussi, nous devions conduire Monseigneur à l’hôpital de Monthey. Je lui ai demandé s’il ne préférerait pas s’y rendre en automobile plutôt qu’en ambulance, attaché à une civière. Bien que j’insistai pour la solution de l’automobile, Monseigneur préféra l’ambulance. Jeudi soir, je lui ai fait apporter un repas. Il souffrait de ne pas pouvoir manger normalement.
Monseigneur a-t-il beaucoup souffert ?
Oui ! A son arrivée, il m’a dit souffrir le martyre. Puis les douleurs se sont atténuées sous l’effet des médicaments.
Quels ont été les contacts entre Monseigneur Lefebvre et les infirmières qui le soignaient ?
Les infirmières l’ont trouvé très gentil, très doux, mais aussi exceptionnellement discret. Il n’a jamais utilisé la sonnette de service. Il ne voulait pas les déranger.
Comment était Monseigneur durant cette première semaine ?
Il a répété à plusieurs reprises durant cette semaine : « Je suis un vieil homme ». Il était un peu inquiet des suites d’une éventuelle opération. Mais il était en même temps résigné et confiant. Je pense qu’il n’a probablement pas su l’exacte ampleur de son mal.
Et spirituellement ?
Le lundi suivant, le 12, il a demandé à recevoir l’extrême-onction. Le lendemain, il m’a expliqué : « J’ai demandé l’extrême-onction, c’est très important ! Ma sœur est partie sans sacrement » A plusieurs reprises, il m’a dit : « J’ai terminé mon travail, je n’en peux plus. Je suis épuisé, il ne me reste maintenant plus qu’à prier et souffrir ».
A-t-il parlé de la Fraternité, de son avenir ?
Un long entretien avec Monseigneur au milieu de la première semaine m’a permis de l’entendre dire sa satisfaction de l’œuvre accomplie. « La Fraternité est dans de bonnes mains et riche de quatre évêques pleins de zèle » m’a-t-il dit. Et de s’émerveiller de Monseigneur Fellay qui parle cinq langues « comme je parle le français, vous rendez-vous compte ? » Il me parla aussi des directeurs et des professeurs de séminaires « dévoués et bien en place ». Monseigneur était parfaitement serein et apparemment très heureux pour l’avenir.
Vous m’avez parlé du respect qu’il imposait aux médecins…
Oui, oui. Un médecin m’a même rapporté avoir été subjugué par Monseigneur. « Quand on croise son regard, on rencontre la bonté divine » m’a-t-il dit.
Comment s’est déroulée l’opération, lundi 18 mars ?
A 9 heures, Monseigneur a été conduit en salle d’opération. L’opération a duré de 9 heures 30 à 12 heures 30. Puis il fut conduit dans la salle de soins intensifs. Monseigneur eut un réveil difficile et des souffrances intenses pendant 2 à 3 jours qui suivirent l’opération. Puis cela alla mieux ; on le leva un peux mais le cœur restait fatigué.
Les médecins donnèrent-ils à Monseigneur des médicaments pour calmer la douleur ?
Bien sûr. Monseigneur fut sous une surveillance médicale de tous les instants. Grâce à l’appareillage moderne dont est équipé l’hôpital, on suit avec exactitude la progression de la douleur. On put ainsi donner à Monseigneur, avec beaucoup de précision, la médication adéquate pour soulager ses douleurs.
Nous arrivons à la fin de la dernière semaine
Vendredi, il me demanda de lui apporter sa chaînette – cette pauvre chaînette, avec de simples médailles, reste pour moi l’un des souvenirs les plus émouvants des derniers jours de Monseigneur – sa montre et son appareil auditif : une preuve du mieux-être du malade. Samedi, on pense à le réintégrer dans sa chambre dès dimanche. « Mais les infirmières veulent me garde ici » me dit-il en plaisantant. Dimanche, l’espoir fait rapidement place à l’inquiétude. Monseigneur fait de la température. Le médecin cardiologue lui fait une échocardiographie et décide de garder Monseigneur aux soins intensifs. Dimanche après-midi, Monseigneur se met à parler beaucoup. Mais à travers son masque à oxygène, il est difficile de le comprendre. Je perçois cependant : « Nous sommes tous ses petits enfants ». Avait-il déjà la vision du ciel ? Il parlait en tout cas du Bon Dieu. Au moment où je le quitte, il me sourit pour la dernière fois et me tend la main en signe d’adieu… Dimanche soir, je reçois un téléphone de l’infirmière responsable. On est en train de réanimer Monseigneur et ça ne va pas très bien. Je décide d’alerter M. l’abbé Laroche. Puis l’infirmière responsable me rappelle pour me dire que le rythme cardiaque est reparti normalement. A 3 heures 30, un dernier téléphone pour m’avertir du décès de Monseigneur.
Vous êtes parmi les premières personnes à voir Monseigneur mort. Comment l’avez-vous trouvé ?
Je me suis immédiatement rendu aux soins intensifs. J’ai trouvé le corps inanimé de Monseigneur. J’ai été terriblement frappé par la ressemblance entre le corps de Monseigneur et les tableaux représentant Jésus descendu de la Croix. Monseigneur avait juste un drap qui lui couvrait les hanches. Ses mains et ses bras portaient les traces des longues souffrances qu’il venait de subir. Ses jambes étaient très abîmées, mais depuis des années elles le faisaient souffrir. Je pense, encore bien souvent à cette dernière image de Monseigneur, là, étendu sur son lit aux soins intensifs, tel le Christ descendu de la Croix…