5 décembre 2011

[Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX] Conforme à l’histoire de l’Église? - La doctrine de la liberté religieuse à Vatican II

SOURCE  - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX - décembre 2011

Les nouveaux principes sur la liberté religieuse proposés par la Déclaration Dignitatis Humanæ sont-ils vraiment conformes à la doctrine et à la pratique de l’Église, telles que l’histoire nous les fait connaître ?
Un nouvel enseignement opposé à toute l’histoire de l’Église
A l’évidence, cette nouvelle doctrine est opposée à toute la vie de l’Église, dans son déroulement quotidien au cours des siècles. L’histoire nous montre clairement que les autorités politiques chrétiennes ont, à de multiples reprises et de diverses façons, interdit ou au moins restreint l’expression de croyances opposées à la foi catholique, et ceci au nom même de la foi catholique, et non seulement au nom de « l’ordre public ».
 
L’histoire nous montre clairement que les autorités ecclésiastiques ont, à de multiples reprises et de diverses façons, lorsqu’elles en avaient le pouvoir direct, interdit ou au moins restreint l’expression de croyances opposées à la foi catholique ; lorsqu’elles n’en avaient pas le pouvoir direct, demandé aux autorités politiques chrétiennes d’interdire ou de restreindre. L’histoire nous montre clairement que les autorités ecclésiastiques, non seulement ont demandé cela aux autorités politiques chrétiennes, mais l’ont carrément exigé, même par des textes doctrinaux et sous la menace des plus graves peines canoniques.
Au hasard, parmi des centaines d’autres, l’exemple d’un pape
Prenons simplement le pape Adrien VI, qu’au moment de son élection (1521) on regardait ordinairement comme un saint, et qui voulut être un pape ardemment réformateur de l’Église in capite et in membris (même si, en raison des circonstances, les résultats ne furent pas à la hauteur de ses efforts). En 1522, il envoya un nonce à la Diète de Nuremberg, porteur de divers courriers aux princes qui y étaient rassemblés. Dans une de ces lettres, il reconnaît « les abominations, les abus (…) et les prévarications » dont s’était rendue coupable “la Cour romaine” de son temps, « maladie (…) profondément enracinée et développée, propagée de la tête aux membres ». Ce passage a d’ailleurs été cité avec éloge dans le document Mémoire et réconciliation : l’Église et les fautes du passé, de la Commission théologique internationale en date du 7 mars 2000.
 
Mais, dans les mêmes courriers, ce saint pape réformateur, capable de « repentance », se plaint que les princes chrétiens d’Allemagne laissent Luther, pourtant condamné par le pape Léon X, sentence rendue exécutoire en Allemagne par un édit impérial, continuer à répandre ses hérésies. Adrien VI exhorte les princes et les peuples, pour l’honneur de leur antique foi, à s’opposer à cette grande ignominie, et à ne pas se laisser séduire plus longtemps par un petit moine apostat hors du chemin des Apôtres, des martyrs et des docteurs, comme si Luther seul avait reçu le Saint-Esprit, ainsi que le prétendait l’hérétique Montan. Le Souverain Pontife ajoute que les autorités germaniques doivent employer tous les moyens pour ramener Luther et les siens à la vérité par la douceur, ce qui est le voeu le plus ardent du pape. Mais si, malheureusement, les voies de la mansuétude n’y font rien, il convient d’appliquer la sévérité des lois, comme on retranche avec le fer et le feu un membre gangrené pour sauver tout le corps.
La lettre pressante du pape Adrien VI aux princes allemands
« C’est ainsi, écrit Adrien VI, que le Tout-Puissant précipita les schismatiques Dathan et Abiron vivants dans les entrailles de la terre ; qu’il ordonna de punir du supplice capital celui qui n’obéirait pas au commandement du pontife ; c’est ainsi que Pierre, le prince des Apôtres, prononça la mort d’Ananie et de Saphire pour lui avoir menti, ou plutôt à Dieu même ; c’est ainsi que les anciens et pieux empereurs ont frappé du glaive les hérétiques Jovinien et Priscillien ; c’est ainsi que, dans le concile de Constance, vos ancêtres ont fait subir la peine des lois à Jean Huss et à Jérôme de Prague, qui semblent maintenant revivre en Luther, leur admirateur. Si vous imitez les glorieux exemples de vos ancêtres, nous ne doutons pas que Dieu ne vous accorde dès maintenant la victoire contre les infidèles, et dans l’éternité la gloire de son royaume ».
 
Des textes de ce genre, venus de papes et d’évêques, dont beaucoup sont des saints canonisés, c’est par centaines voire par milliers qu’on pourrait les citer. Face à ce formidable ensemble, qui traverse les siècles, c’est une bien pauvre réponse que celle de Dignitatis Humanæ : « Il y a eu parfois dans la vie du peuple de Dieu des manières d’agir moins conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique ». C’est condamner comme antichrétien, d’un simple trait de plume, une pratique unanime, constante et publique, qui a tout de même une certaine valeur de fait dogmatique.
La doctrine traditionnelle rappelée par les papes
Après la Révolution française, et son engagement en faveur de la « liberté de conscience », les papes des XIXe et XXe siècles ont pris la peine de rappeler avec clarté cette doctrine et cette pratique traditionnelles de l’Église. Certes, les Souverains Pontifes l’ont fait avec toutes les nuances nécessaires, et toutes les adaptations aux circonstances que requérait l’époque moderne. Mais ils l’ont fait sans équivoque, en soulignant que cette doctrine n’était pas facultative ou discutable, mais bel et bien inscrite au coeur de l’enseignement de la foi.
 
Citons simplement trois textes frappants qui émergent de ce riche corpus doctrinal.
 
« Un nouveau sujet de peine dont Notre coeur est encore plus vivement affligé, et qui, Nous l’avouons, Nous cause un tourment, un accablement et une angoisse extrêmes, c’est le 22e article de la Constitution [de 1814]. Non seulement on y permet la liberté des cultes et de conscience, pour Nous servir des termes mêmes de l’article, mais on promet appui et protection à cette liberté, et en outre aux ministres de ce qu’on nomme les cultes » (Pie VII, Post tam diuturnitas, 1814).
 
« Nous arrivons à une autre cause des maux dont Nous gémissons de voir l’Église affligée, en ce moment, savoir à cet “indifférentisme” ou à cette opinion perverse qui s’est répandue de tous côtés par les artifices des méchants, et d’après laquelle on pourrait acquérir le salut éternel par quelque profession de foi que ce soit, pourvu que les moeurs soient droites et honnêtes (…). De cette source infecte de l’indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu’il faut assurer et garantir à chacun la “liberté de conscience” » (Grégoire XVI, Mirari vos, 1832).
 
« Il s’en trouve beaucoup aujourd’hui pour appliquer à la société civile le principe impie et absurde du “naturalisme”, comme ils l’appellent, et pour oser enseigner que “le meilleur régime politique et le progrès de la vie civile exigent absolument que la société humaine soit constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la religion que si elle n’existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie et les fausses religions”. Et contre la doctrine de la sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères, ils affirment sans hésitation que “la meilleure condition de la société est celle où l’on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande”. À partir de cette idée tout à fait fausse du gouvernement des sociétés, ils ne craignent pas de soutenir cette opinion erronée, funeste au maximum pour l’Église catholique et le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d’heureuse mémoire, qualifiait de “délire” : “La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée. Les citoyens ont droit à l’entière liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions quelles qu’elles soient, par les moyens de la parole, de l’imprimé ou tout autre méthode sans que l’autorité civile ni ecclésiastique puisse lui imposer une limite”. Or, en donnant pour certitudes des opinions hasardeuses, ils ne pensent ni ne se rendent compte qu’ils prêchent “la liberté de perdition” » (Pie IX, Quanta cura, 1854).
 
Il est intellectuellement et religieusement impossible de faire « comme si », de se boucher les yeux devant l’évidence d’une opposition entre ce qu’enseigne clairement l’histoire et ce qu’affirme le Concile : de prétendre, donc, qu’il y a continuité là où la discontinuité est si flagrante.