7 décembre 2011

[Paix Liturgique] Diocèses privés de motu proprio : Châlons-en-Champagne, un diocèse de plus qui se meurt

SOURCE - Paix Liturgique n°312 - 7 décembre 2011

Voici notre avant-dernière enquête sur les diocèses sans application du motu proprio Summorum Pontificum. Elle porte sur le diocèse de Chalons-en-Champagne dont l'évêque est Monseigneur Gilbert Louis.

La brièveté de notre lettre s’adapte à la réalité d’un diocèse pour lequel il n'y a malheureusement que très peu à dire. L’état de ce diocèse fait d'autant plus froid dans le dos que son cas n’est pas isolé : un nombre de plus en plus important de diocèses français plongent comme lui vers le néant. Et pourtant, rien ne saurait être désespéré : encore faut-il jeter les filets à la mer comme nous y invite le Christ dans l'Évangile.

Recouvrant le département de la Marne (51) à l'exception de l'arrondissement de Reims, le diocèse de Chalons-en-Champagne est organisée en six doyennés regroupant 34 paroisses pour plus de 400 communes. Fondé par saint Memmie, évangélisateur de la région au IIIème siècle, le diocèse compte pour fleuron le sanctuaire marial de Notre Dame de l’Épine, lieu de découverte d'une statue de la Vierge la nuit de l'Annonciation de l'an 1400 et dont la basilique constitue un superbe exemple de gothique flamboyant.

Moins flamboyante en revanche est la pyramide des âges des prêtres diocésains puisque 64 d'entre eux sur 73 avaient – au 24 octobre 2008, dernière statistique publiée – plus de 65 ans !

Comme à Viviers ou Mende, c'est un effroyable désert sacerdotal qui est en train de se dessiner à Chalons-en-Champagne.

I – UN DIOCÈSE DÉPRIMÉ, COMME TANT DE DIOCÈSES DE FRANCE

Pas de document pastoral depuis 2008, pas d'éditorial depuis mai dernier : si l'on mesure l'activité de Mgr Gilbert Louis, 71 ans, à partir du site internet du diocèse, on a comme l'impression que l'évêque de Chalons-en-Champagne a choisi de terminer son mandat en roue libre. Gratifié de quatre mitres dans le trombinoscope de Golias – un “honneur” par les temps qui courent tant Golias a du mal à trouver des évêques échappant à ce que sa rédaction appelle la “glaciation restauratrice” de Benoît XVI – il a en effet perdu ce zèle “novateur”, pour ne pas dire hétérodoxe, qui le faisait préfacer et promouvoir à l'occasion du Jubilé de l'an 2000 un ouvrage consacré par Mgr Rouet, alors archevêque de Poitiers, à l'art contemporain le plus transgressif (pornographie, pédérastie, scatologie). Intitulé "L'Église et l'art d'avant-garde - De la provocation au dialogue", cet ouvrage a récemment servi de caution aux avocats de l'auteur de Piss Christ, la photo d'un crucifix immergé dans de l'urine, dont une reproduction avait été détruite par de jeunes catholiques dans un musée d'Avignon. Serrano, l'auteur de Piss Christ faisait en effet partie des artistes plébiscités par le tandem Rouet-Louis...

S'il n'a pas renié ce livre scandaleux, Mgr Louis semble en revanche avoir pris conscience que l'Église de Champagne avait d'autres priorités qu'il ne pouvait ignorer. Ainsi, en 2008 - en désespoir de cause ? -, il s'est résigné à faire appel à la Communauté Saint-Martin pour endiguer la déchristianisation galopante de son siège épiscopal.

Bien d'autres évêques ont fait ou font comme lui (Dax, Nevers, etc.) au point que cette communauté, naguère honnie mais qui présente l'avantage de ne pas être purement et simplement traditionaliste, fait “monter les enchères” : juste retour des choses, elle dresse une liste d'attente des diocèses demandeurs et fait savoir qu'elle n'acceptera que des paroisses importantes. Mgr Louis lui a ainsi confié la paroisse de Châlons-centre (25 000 habitants) et la pastorale des jeunes pour toute la ville. Le latin et le grégorien ont donc pris depuis cette date leurs quartiers dans le diocèse, du moins en semaine, le matin et sous leur forme ordinaire. Cet appel à une communauté nouvelle, de surcroît de matrice traditionnelle, démontre que Mgr Louis ne pratique pas la politique de la terre brûlée et ne se satisfait pas de la mort lente de son diocèse, à la différence de tant de ses confrères progressistes.

L'évêque de Châlons-en-Champagne, qui dans les années 90 a été un artisan actif du regroupement paroissial – d'abord dans le diocèse de Sées dont il était le vicaire général, puis dans d'autres diocèses le sollicitant comme expert –, a-t-il compris que gérer la crise à coups de ciseaux c'est en fait l'alimenter ? En tout cas, à la différence de l'évêque de Viviers, Mgr Blondel (voir notre lettre n°292), il ne considère pas inéluctable la substitution des prêtres par les laïcs.

Dans le dernier de ses éditos disponible sur le site du diocèse, il s'appuie ainsi sur l'enseignement de Benoît XVI pour rappeler la singularité du diaconat et ce qui le distingue de la prêtrise pour écarter l'idée de confier aux diacres la pleine responsabilité de paroisses.

Dans le même état d'esprit, l'évêque vient de signer à la veille de l'été un appel en faveur du soutien au financement des études des séminaristes. À cette occasion, le diocèse a publié une plaquette présentant la formation des futurs prêtres, qui se déroule à Lille.

Certes, le diocèse n'en compte que deux mais, pour la première fois depuis 14 ans – pour la première fois depuis que Mgr Louis est évêque de Châlons ! –, on y a célébré une ordination sacerdotale. Une ordination depuis 14 ans... On est bien loin, on le voit, d'un coup d'arrêt dans le vieillissement et la réduction du personnel sacerdotal diocésain d'autant plus que ce petit miracle est très relatif comme on le verra ci-après avec le récit de la première eucharistie de ce nouveau prêtre.

Très certainement de sensibilité progressiste de par sa formation et son parcours (notamment en tant qu'aumônier de la Jeunesse Indépendante Chrétienne Féminine durant les années 70), Mgr Louis paraît aujourd'hui avoir pris conscience de la désastreuse situation de son diocèse et être décidé à ne pas tout laisser filer. De là à ouvrir les bras à la forme extraordinaire du rite romain, il y a sans doute un effort encore trop important pour lui.

II – LA FORME EXTRAORDINAIRE, KÉSACO ?

En 2008, une demande d'application du motu proprio a vu le jour à Châlons à l'initiative d'une famille de militaires. Malheureusement, le départ de cette famille pour cause de mutation a gelé la demande et l'essentiel des fidèles concernés ont du coup pris leur mal en patience, poursuivant leur pratique religieuse ordinaire, l'arrivée de la communauté Saint-Martin ayant, en partie, comblé les aspirations de ces demandeurs en matière de liturgie plus digne et fervente.

Il faut dire que les prêtres de la Communauté Saint-Martin qui desservent avec zèle la paroisse Saint-Étienne, en centre-ville de Châlons, ont entrepris un patient travail au service d'une progressive remise en ordre de la liturgie. Notamment en semaine où ils offrent la forme ordinaire en grégorien (messe à 7h25 et vêpres à 19h). Et les fidèles apprécient. Autant ceux qui sont sensibles à la forme extraordinaire que ceux qui n'en sont pas familiers.

En dehors de Châlons, de Vitry-le-François et d'Épernay, villes où il y aurait suffisamment de fidèles pour relancer une demande, le diocèse est en effet essentiellement rural et les habitants facilement attirés par les grandes villes voisines (Reims, Troyes), bien desservies par la route comme l'autoroute. De fait, de nombreuses familles du diocèse assistent aux messes des diocèses voisins : à la messe Summorum Pontificum dominicale hebdomadaire de Troyes et à celle mensuelle de Reims mais aussi aux messes que la Fraternité saint Pie X célèbre chaque dimanche dans ces deux villes et à Joinville, en Haute-Marne (diocèse de Langres, voir notre lettre n°304).

Du côté des paroisses, dans la plaine champenoise, comme en Argonne ou dans le Perthois, le simple fait de mentionner la “forme extraordinaire du rite romain” provoque la même réaction chez nos interlocuteurs :
- “La quoi ?”
- “Ben oui, vous savez, le motu proprio Summorum Pontificum...”
- “Le quoi ?”
- “Euh, le texte du pape qui autorise la messe traditionnelle...”
- “Ah, vous voulez dire la messe en latin ?”
- “Oui. Enfin, selon le missel de 1962...”
- “Oui, bon, ben non, ça ne nous concerne pas, on a déjà bien suffisamment de mal à célébrer la messe tout court.”
Voilà qui en dit long sur le peu de publicité fait dans le diocèse au document pontifical (1).

La commission de pastorale liturgique et sacramentelle du diocèse nous a indiqué, pour sa part, "n'avoir jamais eu aucune demande de messe, non vraiment aucune". "Le souci du diocèse est différent, c'est un secteur paroissial très rural où le problème est celui du manque de prêtres, la problématique étant donc de rendre les communautés rurales vivantes malgré tout."

Le responsable de la commission de liturgie est le prêtre ordonné cette année, le père Denis Véjux, 47 ans, ancien professeur de musique dans l'Éducation nationale. Voici comment le quotidien local, L'Union, décrivait sa première eucharistie, célébrée en l'église Notre-Dame d'Épernay : “Une cérémonie eucharistique pleine de dynamisme grâce aux chants africains sous la conduite des sœurs de Dormans, originaires du Burkina Faso, suivie d'un repas convivial qui a prolongé la journée placée sous le signe de l'espérance et de la joie.” C'est l'inculturation à la sauce de l'Église de France : une liturgie africanisée au cœur de la Champagne... Rien que de très ordinaire finalement dans un diocèse où la messe traditionnelle n'est qu'un lointain souvenir pour les plus anciens et un objectif encore hors de portée pour les plus jeunes.

III – UN SONDAGE POUR Y VOIR PLUS CLAIR

Si la forme extraordinaire est absente du diocèse de Châlons-en-Champagne, c'est donc finalement plus par ignorance que par idéologie. On se trouve là dans le cas, exemplaire, de cette Église de France qui se sent mourir, le reconnaît, mais est incapable de prendre des initiatives pour enrayer son mal. Une Église plus préoccupée par le devenir de ses structures que par celui des âmes que lui a confiées le Seigneur.

Pour aider Mgr Louis à aller puiser du côté du magistère pontifical les réponses à la crise de son diocèse (2), Paix liturgique a donc décidé de commander un sondage local sur la réception du motu proprio Summorum Pontificum et de lancer une grande enquête auprès des catholiques du diocèse, dont nous publierons les résultats au printemps 2012. En plus d'être un instrument au service de l'unité et de la réconciliation dans l'Église, la forme extraordinaire du rite romain est en effet aussi un outil à disposition de nos pasteurs pour le renouveau de la foi nécessaire à la nouvelle évangélisation voulue par le Saint Père.

(1) Mais il est probable que tous les documents romains et pas seulement le motu proprio souffrent de ce manque de publicité...

(2) Bien entendu, la situation du diocèse de Châlons-en-Champagne ne fait que s'inscrire dans la plus vaste crise de la foi que traversent les vieilles nations catholiques et que le pape Benoît XVI a si souvent diagnostiquée.