13 mai 2011

[temoignagechretien.fr - Philippe Clanché] Rite extraordinaire : une instruction qui instruit peu

SOURCE - temoignagechretien.fr - Philippe Clanché - 13 mai 2011

Le texte romain tant attendu sur l'application du motu proprio Summorum Pontificum de 2007 n'est guère révolutionnaire.

Depuis plusieurs mois, les passionnés de débat liturgique attendaient un document du Vatican. Le document devait préciser les modalités d'application d'un texte donné en 2007, le motu proprio Summorum pontificum, libéralisant l'utilisation du rite pré-conciliaire de la messe, apprécié par la frange traditionaliste du catholicisme, particulièrement en France. Moult fois repoussée, l'instruction Universae ecclesiae a enfin été rendue publique ce 13 mai.

Il convient de revenir d'abord sur les grandes lignes du texte de 2007, qui a fait sortir de la semi-clandestinité le rite ancien dit « de saint-Pie V ». Cette façon ancienne de célébrer la messe, « jamais abrogée » mais largement abandonnée, constitue depuis 2007 une des « deux mises en œuvre de l’unique rite romain » (A. 1). Ce rite extraordinaire est alors autorisé sans condition pour les messes sans fidèles ou dans des communautés religieuses.

Dans les paroisses « où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé appréciera lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l’Évêque (…) en évitant la discorde et en favorisant l’unité de toute l’Église » (A. 5).

Commençons par un point décevant du nouveau texte. Celui-ci tente de définir ce que Summorum pontificum nommait «  groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure », ici appelé coetus fidelium. Un tel ensemble « pourra se dire stable s’il est constitué de personnes issues d’une paroisse donnée qui, même après la publication du Motu Proprio, se sont réunies à cause de leur vénération pour la liturgie célébrée dans l’usus antiquior et qui demandent sa célébration dans l’église paroissiale, un oratoire ou une chapelle. Il  peut aussi se composer de personnes issues de paroisses ou de diocèses différents qui se retrouvent à cette fin dans une église paroissiale donnée, un oratoire ou une chapelle ». La précision ne saute pas aux yeux, si ce n'est l'exigence d'une pérennité, que chacun pourra cependant interpréter comme il l'entend.

DISCERNEMENT DU PASTEUR

Passons aux sujets plus sensibles. Les esprits chagrins pourront voir un hiatus sur une vraie question : quelle est la liberté réelle du curé face à une demande de messe selon le rite extraordinaire? Le curé est censé « accepter cette célébration, tout en tenant compte des exigences liées aux horaires des célébrations liturgiques de l’église » (A. 16). Voici qui ne laisse pas beaucoup de place au discernement du pasteur.

Mais – surprise !-, l’article suivant indique que  « dans chaque cas, le curé prendra sa décision avec prudence, en se laissant guider par son zèle pastoral et par un esprit d’accueil généreux ». Cette seconde formulation, plus ouverte, consonne davantage avec le libre-arbitre offert dans le document de 2007. Nul doute que certains se glisseront dans cette faille pour montrer qu'un refus contreviendrait à l'esprit du nouveau texte romain.

On attendait des précisions concernant les célébrants du rite extraordinaire non issus des instituts dépendant de la Commission pontificale Ecclesia dei, qui le pratiquent en permanence (2). Le texte parle de prêtre « idoine » à cet office, lequel doit notamment « avoir du latin une connaissance de base qui lui permette de prononcer correctement les mots et d’en comprendre le sens » (ce qui n'était pas forcément le cas de tous les prêtres avant Vatican II).  Au-delà, il est demandé aux évêques « d’offrir au clergé la possibilité d’acquérir une préparation adéquate ».

Dans sa sagesse, le texte prévoit que cela ne sera pas facile dans chaque diocèse. En cas d'impossibilité de fournir un « prêtre idoine », et dans le même esprit que le texte de 2007, le nouveau document invite alors les évêques à « demander la collaboration des prêtres des Instituts érigés par la Commission Ecclesia Dei, soit pour célébrer, soit même pour enseigner à le faire ».

FORMATION

Pour trouver des célébrants, on pourra sans doute compter sur le zèle des prêtres de ces instituts, trop contents de ce retour en grâce amorcé en 2007. Mais concernant l'enseignement, il faudra trouver des formateurs et des candidats à la formation. Quand on connaît l'emploi du temps des prêtres diocésains français, on imagine difficilement que des heures d'apprentissage pour un rite demandé parfois par une poignées de fidèles puisse passer pour une priorité.

Universae ecclesiae évoque bien sûr les séminaires. L'instruction indique : « On devra pourvoir à la formation convenable des futurs prêtres par l’étude du latin, et, si les exigences pastorales le suggèrent, offrir la possibilité d’apprendre la forme extraordinaire du rite » (A. 21). Si les générations de futurs prêtres semblent avoir moins de mal que leurs aînés avec la langue de saint Augustin et de saint Thomas, on s'interroge sur l'estimation de l'« exigence pastorale » de la mise en place du dispositif. La plupart des centres de formation français étant aujourd'hui interdiocésains, cela promet de belles discussions entre évêques pour savoir s'il y a lieu ou non de prévoir dans la formation un modèle d'apprentissage du rite extraordinaire.

Concluons par un satisfecit. L'article 19 apporte une nouveauté qui va réjouir les catholiques attachés au Concile et qui vivent au quotidien à côté de férus de l'ancien rite. « Les fidèles qui demandent la célébration de la forme extraordinaire ne doivent jamais venir en aide ou appartenir à des groupes qui nient la validité ou la légitimité de la Sainte Messe ou des sacrements célébrés selon la forme ordinaire, ou qui s’opposent au Pontife romain comme Pasteur suprême de l’Église universelle. » (A. 19).

Avec cette exigence, Rome demande de couper les liens persistants entre les ralliés et les toujours schismatiques. On peut espérer que, dans le même esprit, les dénigrements du rite ordinaire par les tenants de l'extraordinaire vont diminuer, rendant ainsi plus facile à vivre la cohabitation locale.

Auparavant, on demandait aux « modernes » d'être bienveillants envers les « anciens », sans que la réciproque soit pratiquée. Ainsi, à l'heure de la création controversée de l'Institut du Bon Pasteur à Bordeaux en octobre 2006, le cardinal Ricard (2) avait demandé à ses ouailles d'« entrer dans l’attitude évangélique de cet accueil du frère, qui implique toujours gratuité et espérance dans la foi », pendant que l'abbé Laguérie continuait d'exprimer son mépris pour les prêtres du diocèse. Avec une charité mutuelle réelle, bien des tensions pourraient s'apaiser localement.

Si ce texte, qui ne change en rien l'air du temps catholique, peut avoir cette vertu, les catholiques conciliaires peuvent  si ce n'est s'en réjouir, du moins ne pas s'en fâcher.

(1) On trouve notamment la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, l'Institut du Bon-Pasteur, ainsi que des monastères bénédictins (Le Barroux) ou dominicains.
(2) Membre de la Commission Ecclesia dei